La francophonie était à l’honneur durant le mois de mars un peu partout dans le monde. A Djibouti aussi, la grande famille francophone s’est retrouvée pour célébrer, avec fierté, son identité plurielle et multiculturelle. Un excellent prétexte pour interroger justement cette culture et son rayonnement dans les grands mouvements et les dynamiques régionales et mondiales. Qui mieux que Christophe Guilhou, ambassadeur de France à Djibouti et ancien haut fonctionnaire au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie pour répondre à nos questions ? Nous vous proposons cette interview exclusive que nous a accordée le diplomate français. Entretien à bâtons rompus…

« La langue française n’est pas seulement un vecteur de communication, c’est aussi une façon de penser autrement »

La semaine de la francophonie a été célébrée en mars à Djibouti et dans le monde. Quelle est justement la place de la langue française à Djibouti et dans le monde ? Qu’en est-il du recul du Français que certains évoquent à Djibouti ?

A Djibouti, la langue française est une langue qui est parlée depuis très longtemps et elle continue à bénéficier d’un statut privilégié. La majorité des Djiboutiens continuent à parler le français. Néanmoins, on s’aperçoit qu’un certain nombre de jeunes parlent le français moins bien que leurs aînés. Et c’est un vrai sujet de préoccupation pour la France. Certes, vous parliez d’un recul de la langue française. Mais ce recul de la langue française ne se traduit pas par une opposition avec une autre langue internationale. Qu’elle soit l’anglais ou l’arabe. Donc, le sujet pour nous c’est plus le recul de la qualité du français tel qu’il est parlé à Djibouti. Nous essayons donc avec les autorités djiboutiennes, les ministères concernés de faire en sorte que la pratique d’un français de qualité soit généralisée à tous les niveaux dans le tissu socioéconomique de votre beau pays.

…Et si vous reveniez sur la semaine de la Francophonie à Djibouti.

Djibouti fait partie de l’OIF.  A ce titre, l’Institut français de Djibouti(IFD) a organisé un certain nombre d’évènements durant la semaine de la Francophonie. Parmi les activités au programme figuraient un concours de dictée, des projections de films, d’un tournoi de pétanque, d’ateliers rébus, des karaokés, etc. Par ailleurs, un certain nombre d’auteurs djiboutiens francophones ont été mis en valeur, dont notamment Chehem Watta et Omar Youssouf qui ont animé des séances de récit de contes et de lecture de recueil de poèmes. L’IFD a abrité également des discussions autour de la production littéraire d’expression francophone qui ont attiré une foule de gens et largement dépassé les capacités d’accueil de l’institut. Dans le même cadre, l’IFD a accueilli une table ronde sur la langue française dans la littérature djiboutienne et un spectacle de Fahem Abbès autour de ses paroles de conteur kabyle pour montrer la diversité de la langue française. Dans la journée de jeudi 21 mars 2019, les remises de prix ont eu lieu ainsi que les tirages de Tombola et des concerts. L’idée était de fêter tous ensemble la francophonie à Djibouti et montrer également que la langue française est une langue extraordinairement vivante. C’est une des langues dont l’expansion est la plus dynamique à travers le monde. Djibouti fait partie de cette grande famille.

La langue française est-elle seulement un vecteur de communication selon vous?

La langue française n’est pas seulement un vecteur de communication, c’est aussi une façon de penser autrement. Quand on parle le français, on réfléchit différemment. On structure un raisonnement qui est différent de celui que l’on peut avoir dans d’autres langues. C’est donc aussi une  façon de voir le monde différemment. Il est important que Djibouti continue à avoir cette référence puisque le  français est une des principales langues de référence et de communication dans le monde. Il est important que les Djiboutiens puissent utiliser pleinement la langue française ainsi que les autres grandes langues de communication. C’est la condition pour s’intégrer complètement et faire de Djibouti un acteur de la mondialisation .Puisque Djibouti ambitionne de devenir un hub de communication, en utilisant sa position géostratégique privilégiée. Donc, le français comme 1ère langue officielle est une chance. Je suis un défenseur du plurilinguisme, et il est important aussi que l’on puisse parler d’autres langues comme le font les Djiboutiens dont la plupart parlent deux voire trois langues de manière tout à fait naturelle.

L’on constate depuis peu  un retour en force de Djibouti dans les grands cercles de la Francophonie. Qu’en est-il en réalité ?

Djibouti est un membre actif de la grande famille francophone. En cela, le pays tient son rôle au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie. Une organisation au sein de laquelle j’ai occupé de hautes fonctions avant d’être nommé ambassadeur de France à Djibouti. Et à mon arrivée à Djibouti, j’ai constaté que les liens s’étaient un petit peu relâchés entre l’OIF et Djibouti. Ce qui m’a incité à plaider et à encourager la Secrétaire générale de la Francophonie, Michaelle Jean, à effectuer une visite à Djibouti, la première en plus d’une dizaine d’années. Et c’est dans ce contexte que Mme Michaelle Jean a effectué sa visite, il y a un peu plus de deux ans. L’idée était de montrer que Djibouti, seul ilot francophone de la région, continuait de rayonner dans une région plutôt anglophone. J’ai essayé de convaincre mes différents interlocuteurs djiboutiens que cette organisation était une formidable ressource pour le pays. Car l’OIF est riche de ses réseaux. Parmi ces réseaux, il y a l’Union de la presse francophone (UPF) que Djibouti a intégré. Et cette plateforme d’échanges entre correspondants de différents pays qui se retrouvent à l’occasion de séminaires régionaux annuels est une chance pour la presse djiboutienne.

Notre pays a-t-il intégré d’autres réseaux de l’OIF? Mieux encore, Djibouti a réintégré également le réseau des cours des comptes francophones. Et je suis très heureux de constater que Djibouti est mise en valeur puisque le vice-président du Réseau des cours des comptes francophones est la présidente de la cour des comptes de Djibouti. C’est donc aussi un hommage rendu à la qualité des Djiboutiens. À plus forte raison, l’on peut se réjouir du retour de Djibouti au sein de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie qui a d’ailleurs tenu sa dernière réunion politique ici même, juste une année après la réintégration de Djibouti. Et le mercredi 20 mars 2019, j’ai participé à l’inauguration d’une école nationale à vocation régionale autour des métiers de la police judiciaire, aux côtés du Premier ministre. L’ambition de cette école est d’être un centre de formation et de rayonnement pour les polices et les gendarmeries francophones qui viendront se former aux métiers de la police judiciaire. Ce sont là quatre exemples très concrets qui montrent à quel point la francophonie est importante pour Djibouti qui doit utiliser ses atouts, sa capacité à communiquer et à penser en français pour attirer les autres pays membres de l’OIF. Vous convenez donc avec moi qu’il était primordial qu’une dynamique s’instaure entre l’OIF et ses réseaux d’une part et les autorités djiboutiennes d’autre part. Et je suis ravi que les choses soient désormais lancées.

Le président français Emmanuel Macron a effectué une visite historique à Djibouti. Et de nombreux sujets importants ont été abordés avec le président djiboutien, Ismail Omar Guelleh…

En effet, le président français Emmanuel Macron a répondu à une invitation de son homologue djiboutien Ismaïl Omar Guelleh qui avait eu l’occasion de le rencontrer à plusieurs reprises au cours de l’année 2018, et notamment à l’occasion des commémorations du 11 novembre 2018 pour la dernière fois. Je rappelle aussi que le président Ismaïl Omar Guelleh était venu en visite officielle en France, il y a deux ans en février 2017. Et le président Emmanuel Macron a fait ce déplacement dans le cadre d’une tournée dans la Corne de l’Afrique. L’objet de cette visite était de montrer l’attachement de la France à l’égard de Djibouti, et réaffirmer l’amitié qui unit nos deux pays et nos deux peuples. Une amitié séculaire puisque notre présence est très ancienne dans la région car elle remonte à plus de 150 ans. Raffermir les liens historiques, témoigner et rappeler la présence historique de la France à Djibouti étaient un premier objet de la visite. Dans un second temps, il s’agissait de saluer les forces françaises stationnées à Djibouti, puisque votre pays accueille la plus grande base militaire française dans le monde.

Que pouvez-vous nous dire sur les autres objectifs du récent séjour du président de la France à Djibouti ?

Le président Emmanuel Macron a également profité de l’occasion pour faire un point avec le président Ismail Omar Guelleh et recueillir ses vues ainsi que ses analyses sur la situation dans la région sachant que la Corne de l’Afrique est une région qui est en train de bouger et de vivre un profond changement depuis un peu moins d’un an. Nous assistons à des dynamiques, des interventions d’acteurs régionaux et en dehors de la région. Il était donc important que le président Macron puisse avoir l’analyse du président Guelleh sur ces dynamiques. L’ambition de la France à Djibouti est simple : nous voulons tout faire pour concourir à un développement harmonieux de Djibouti. L’action de notre ambassade, dans ses différentes composantes, y participe.

Soyez plus explicite sur ce dernier point.

Nous avons d’ailleurs créé, il y a un peu plus d’un an, le Groupe d’Affaires France-Djibouti (GAFD) qui réunit un peu moins d’une trentaine d’entreprises françaises et djiboutiennes. L’idée est de faire en sorte que les opportunités de Djibouti soient mieux connues par les investisseurs français et qu’ils puissent tirer davantage partie des opportunités d’affaires à Djibouti. Nous le savons, les Djiboutiens ont des liens très forts avec la France, puisque des milliers de Djiboutiens ont fait leurs études ou vécu en France. Et leurs références sont en France. Nous essayons donc d’utiliser cela pour développer les relations économiques à travers une plus forte présence des entreprises françaises à Djibouti.

J’aimerais préciser, à ce titre, que le président Macron était accompagné lors de cette visite par le Conseil présidentiel pour l’Afrique dont neuf membres sont venus à Djibouti et ont souhaité rencontrer les forces vives, notamment la jeunesse Djiboutienne. Cette rencontre s’inscrivait dans le droit fil des orientations qui ont été définies par M. Emmanuel Macron à Ouagadougou et s’adressent à la jeunesse africaine. Sur le continent africain, il y a un vrai dynamisme,  une vraie énergie chez la jeunesse. Et le CPA vise à faire le lien entre cette jeunesse africaine et djiboutienne en particulier et les institutions de leurs correspondants en France. Les membres du CPA sont venus ici dans le but de rencontrer les entrepreneurs dans le domaine des nouvelles technologies, de la formation et de la culture entre autres. Et c’est à ce titre qu’une rencontre a eu lieu à l’institut français de Djibouti avec de jeunes entrepreneurs, de jeunes artistes, de jeunes intellectuels, des jeunes liés à l’écosystème du numérique où il y a de vraies potentialités. À la lumière de ces échanges, le CPA essayera d’étudier dans quelle mesure il pourra accompagner et encourager le dynamisme de ces jeunes dans le circuit économique et du développement. Des contacts ont été pris, et le CPA est en train d’analyser tout cela, à la fois sur Djibouti, l’Ethiopie et le Kenya, avant de revenir vers nous dans les prochaines semaines et essayer d’encourager et d’associer à travers des réseautages les jeunes Djiboutiens et leurs interlocuteurs en France à travers notre ambassade.   

Propos recueillis par MAS