Dans le cadre de la réunion du Comité du Patrimoine immatériel de l’UNESCO, prévue le 7 décembre prochain à Kasane au Botswana, Djibouti propose le XEEDHO, un plat traditionnel à base de viande, de chameau ou de bœuf, enduit de beurre, pour inscription sur la liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente. Il s’agit pour les autorités djiboutiennes de préserver cet héritage culturel pour les générations futures.

A cause des origines nomades des différentes communautés ethniques qui la composent, la république de Djibouti, sise au carrefour entre la péninsule arabique et l’Afrique, est dotée d’un riche patrimoine culturel, comprenant un large répertoire de chants, poésies et danses variées, mais d’un immense patrimoine culturel immatériel dont notamment le Xeedho, un plat traditionnel à base de viande, de chameau ou de bœuf, enduit de beurre et conservé dans un récipient taillé de bois.     

Offert par les belles-mères de la communauté somalie aux nouveaux gendres, le Xeedho représente la mariée.

Sa fabrication est un art ancien qui nécessite un savoir-faire spécialisé et une compréhension profonde des techniques artisanales traditionnelles. Malheureusement, ces connaissances précieuses sont en voie de disparition de nos jours, car de moins en moins de personnes maîtrisent cet art traditionnel.

Autrefois, la fabrication du Xeedho était confiée à des artisans locaux, connus sous le nom de “Alaab”. Ces artisans étaient des experts dans la manipulation des matériaux naturels et avaient acquis une maîtrise exceptionnelle des techniques de sculpture et de tissage. Ils utilisaient des outils simples tels que des couteaux, des aiguilles et des fils pour donner vie au Xeedho.

Le processus de fabrication commençait par la sélection minutieuse des matériaux. Le bois était choisi pour sa durabilité, tandis que les fibres végétales étaient utilisées pour créer les courbes gracieuses du Xeedho. Les tissus colorés étaient soigneusement choisis pour ajouter une touche esthétique à l’ensemble.

Une fois les matériaux rassemblés, les artisans commençaient à sculpter le bois en utilisant des techniques ancestrales transmises de génération en génération. Chaque courbe était formée avec précision, en harmonie avec les lignes naturelles du bois. Les fibres végétales étaient ensuite tissées avec habileté pour créer une structure solide et élégante.

Après avoir terminé la structure de base, les artisans procédaient à la décoration du Xeedho. Des motifs entrelacés complexes étaient sculptés à la surface du bois, représentant des symboles de fertilité, de bonheur et de protection. Les tissus colorés étaient ensuite utilisés pour envelopper le Xeedho, ajoutant une touche vibrante et festive à l’ensemble.

Chaque étape de la fabrication du Xeedho était effectuée avec une grande précision et une attention méticuleuse aux détails. Les artisans consacraient des heures, voire des jours, à créer un Xeedho unique et magnifique, pour représenter la mariée.

Malheureusement, avec l’évolution des temps et l’influence croissante de la modernité, les connaissances nécessaires à la fabrication du Xeedho ont été négligées et oubliées. Les jeunes générations se tournent vers des options plus pratiques et accessibles, ce qui a entraîné un déclin alarmant de cet art traditionnel.

Cependant, il est crucial de préserver ces connaissances et de revitaliser cet artisanat ancestral. Non seulement cela permettrait de maintenir vivante une partie importante de la culture somalienne, mais cela offrirait également des opportunités économiques aux artisans locaux et contribuerait à préserver l’identité culturelle de la communauté.

Des efforts sont déployés par certains passionnés et organisations pour documenter et transmettre les connaissances liées à la fabrication du Xeedho. Il s’agit selon Mme Safia Nour Djama de renforcer en vitamine le marié. « Le nouveau couple ne sort pas de la chambre durant 7 jours et le Xeedho sert de repas durant ces nuits de miel » nous dit-elle avant de revenir sur la fabrication de ce plat traditionnel.

En préservant et en revitalisant la fabrication du Xeedho, nous pouvons espérer maintenir vivante cette tradition culturelle précieuse et honorer les artisans qui ont consacré leur vie à la création de ces magnifiques œuvres d’art.

La cérémonie d’ouverture du Xeedho…

Le processus d’ouverture du Xeedho était autrefois une étape cruciale et très attendue lors des mariages somaliens. Il comporte des procédures précises et des rituels symboliques qui ajoutent une dimension significative à la cérémonie. Cependant, de nos jours, ces pratiques formelles sont souvent négligées, simplifiées ou même omises lors des mariages modernes.

L’ouverture du Xeedho était souvent considérée comme une épreuve pour le marié, car elle montrait sa capacité à résoudre des problèmes et à relever des défis. Le marié était exclu de l’ouverture du Xeedho et un membre masculin de sa tribu, généralement un parent proche, était choisi pour accomplir cette tâche délicate. Cela ajoutait un élément de suspense et de divertissement à la cérémonie, car les invités étaient impatients de voir si l’homme réussirait à trouver l’ouverture du Xeedho.

Une femme de la famille de la mariée, appelée la garde, jouait un rôle crucial pendant le processus d’ouverture. Elle tenait un bâton doux et se tenait à côté du Xeedho, observant attentivement l’homme qui tentait de dénouer les cordes. La garde avait une connaissance approfondie des entrelacements et des nœuds spécifiques du Xeedho, car elle était souvent celle qui avait passé des jours et des jours à réaliser cette tâche complexe.

Le processus d’ouverture du Xeedho était une danse subtile entre l’homme et la garde. L’homme devait essayer soigneusement de dénouer les cordes, cherchant l’ouverture cachée parmi le dédale de nœuds. S’il faisait une erreur en plaçant ses mains du mauvais côté de la corde ou en essayant d’ouvrir la corde à partir d’un autre nœud, la garde le fouettait légèrement avec son bâton pour le corriger. Cela symbolisait la nécessité pour le marié de faire preuve de patience, de persévérance et de respecter les traditions.

Si l’homme réussissait à trouver l’ouverture du Xeedho, il tirait simplement sur un minuscule nœud dissimulé, ce qui permettait au Xeedho de se démêler complètement. Lorsque cela se produisait, il y avait souvent un sentiment de joie et de soulagement dans l’assemblée, car cela signifiait que le marié avait réussi cette épreuve et que les invités pourraient enfin déguster le plat. Cependant, si le Xeedho ne s’ouvrait pas cette nuit-là, la cérémonie de l’ouverture du Xeedho pouvait être reportée à la nuit suivante. Cela témoignait de l’importance accordée à cet événement et de la volonté de persévérer jusqu’à ce que le Xeedho soit ouvert correctement.

Malheureusement, avec l’évolution des mariages somaliens modernes, ces procédures formelles et rituelles sont souvent négligées, en faveur de cérémonies plus simplifiées et moins traditionnelles. Cela peut être dû à divers facteurs, tels que le manque de connaissances et la préférence pour des mariages plus rapides et plus modernes.

Cependant, il est important de reconnaître la valeur culturelle et symbolique de l’ouverture du Xeedho et de préserver ces traditions uniques. Les efforts de préservation peuvent inclure des programmes de sensibilisation et d’éducation pour raviver l’intérêt des jeunes générations pour ces coutumes et encourager la transmission des connaissances traditionnelles. En préservant la pratique du Xeedho, il s’agit pour la république de Djibouti de maintenir vivante une partie importante de notre identité culturelle. Et son inscription sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO nécessitant une sauvegarde urgente, permettra de préserver ce savoir-faire ancestral pour les générations futures.

Rachid Bayleh