Assurer une couverture sanitaire inclusive, élaborer et mettre en œuvre des programmes cohérents de développement social au niveau régional, tels sont les défis olympiens confiés à Mme Fathia Alwan au sein du Secrétariat Exécutif de l’Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD).  C’est en effet, cette figure féminine dont les valeurs cardinales sont la modestie, l’abnégation au travail et une probité professionnelle qui dirige la division de la Santé et du Développement Social de l’IGAD. Mme Fathia A. Alwan a bien voulu nous recevoir et nous donner un aperçu de la portée de son engagement afin de prendre à bras le corps la complexité des questions relatives à la Santé et au Développement Social dans cette vaste sous-région de l’IGAD…

Entretien !

La Nation : La Santé et le Développement Social, entre autres, ce sont là quelques-unes des problématiques qui se posent avec le plus d’acuité dans notre sous-région…

Mme Fathia Aboubaker Alwan : Cela va sans dire. Notre région est considérée comme l’une des zones géographiques où les indicateurs de développement humain sont des plus alarmants, et ce à plus d’un titre. Bien sûr, oser parler dans ce contexte de développement social pourrait sembler chimérique quand la couverture sanitaire universelle n’en est qu’à ses balbutiements. C’est un constat certes peu reluisant mais c’est aussi un défi et surtout une exigence morale pour agir ensemble et de manière concertée face à ce défi qui exige de nous tous une approche responsable et surtout une abnégation sans faille car la tâche est immense !

Une immense responsabilité en effet puisqu’il faut réussir le pari d’une bonne coordination entre les institutions publiques des sept (7) Etats membres de l’IGAD…

Les responsabilités professionnelles en termes de réussite ou d’échec dépendent en très grande partie du contexte et de l’environnement de travail. Pour ma part, les succès que nous avons enregistrés au sein de la division que je dirige sont surtout le résultat d’un travail d’équipe et de la confiance et du soutien sans réserve des Secrétaires Exécutifs qui se sont succédés à la tête de l’IGAD! Permettez-moi à ce titre de saluer l’engagement sans faille et le travail en bonne intelligence qu’ils ont su insuffler tour à tour aux différentes instances de l’IGAD. J’aimerais tout particulièrement rendre hommage à Son Excellence Dr Workeneh Gebeyehu qui n’a de cesse de nous encourager et nous soutenir en haut lieu! Et a vrai dire, il en a toujours été ainsi avec ses prédécesseurs, Son Excellence l’Ambassadeur Ingénieur Mahboub Maalin, et avant lui, feu Dr. Attalla Hamad Bashir. J’aimerais particulièrement rappeler ici l’importance centrale des instances politiques de notre organisation intergovernmentale, en particulier l’Assemblée des Chefs d’’États et de Gouvernements, organe suprême de l’IGAD qui fixe les orientations, les objectifs stratégiques ainsi que les programmes prioritaires dans tous les domaines, tels que l’agriculture, l’environnement, la paix et la sécurité, l’intégration économique ou la sante et le développement social. C’est donc avec beaucoup de fierté que je réaffirme ma reconnaissance au Secrétaire Exécutif de l’IGAD Son Excellence Dr Workeneh Gebeyehu, qui nous permet de travailler ici à l’IGAD en bonne intelligence avec les autorités des Etats membres ainsi que nos principaux partenaires au développement. Je suis toujours reconnaissante de son soutien indéfectible et de ses conseils éclairés dans l’exercice de mes fonctions au quotidien.

N’y a-t-il pas lieu aussi d’accroitre de manière substantielle les engagements des partenaires au développement de l’IGAD?

La région de l’IGAD abrite plus de quatre millions cinq cent mille (4.5 millions) de réfugiés et neuf (9) millions de déplacés internes, sans parler des migrants qui se comptent en millions. C’est dire l’étendue des efforts qu’il nous faut déployer en termes d’assistance technique et de contributions financières pour porter à la fois une assistance humanitaire et une aide à la réhabilitation, la réintégration et la réinsertion de ces millions de personnes vulnérables. Nos sollicitations en matière d’aide que nous adressons à  nos partenaires au développement traduisent l’ampleur du drame humanitaire dans notre sous-région et qui exige une assistance conséquente à laquelle ne rechigne presque jamais nos amis et partenaires techniques et financiers. J’aimerais citer à ce titre l’Union européenne, la Coopération Allemande comme la GIZ, le Royaume de Suède, les Etats Unis d’Amérique ou le HCR.

Quelles sont les priorités actuelles de l’IGAD en matière de Santé et de Développement Social?

La Division de la Santé et du Développement social est chargée de mettre en œuvre les politiques et les stratégies visant à améliorer les conditions de vie des habitants de la région. Vous imaginez combien il faut se démultiplier et intervenir dans toutes les questions liées au développement et au renforcement du capital humain en mettant un accent particulier sur les jeunes, les enfants, les femmes et les autres groupes de population vulnérables. Le mandat de notre division est en outre de coordonner, mettre en œuvre et superviser les projets régionaux de santé pour les populations vulnérables. Il s’agit en particulier de faciliter l’accès des services de santé et des services sociaux de base aux populations les plus nécessiteuses (population mobile transfrontalière, réfugiés, rapatriés, personnes déplacées, populations pastorales).

Nos interventions sont visibles dans toute une série de domaines tels que la surveillance transfrontalière de la santé, la numérisation des données en matière de santé, la surveillance et le suivi des épidémies afin d’ajuster nos ripostes transfrontalières et mieux coordonner les politiques et les approches de nos Etats Membres. Nous avons aussi la responsabilité du suivi au niveau régional des migrations et des déplacements forcés.

La Division intervient aussi dans les domaines de l’Éducation, des Sciences et des Technologies. Idem aussi pour les questions relatives à l’emploi, la protection sociale, la jeunesse, la culture et les sports qui relèvent aussi directement du mandat de notre division. Toutes ces questions sont prioritaires pour nous et nous n’en négligeons aucune. Je suis consciente de bénéficier de ce rare privilège d’avoir à travailler et de pouvoir tirer profit du capital de confiance d’une équipe pluridisciplinaire de collègues très compétents issus de nos Etats Membres et qui ne ménage aucun de leurs efforts pour faire avancer l’agenda du développement social de notre sous-région. De même, la mise en place du centre pour le Contrôle et la prévention des catastrophes régionales et notamment la COVID-19 est une autre réalisation forte de notre division.

Nous avons installé ce centre au sein des bâtiments de l’IGAD où sont disponibles l’ensemble des équipements et des moyens nécessaires.

Au plus fort de la pandémie du COVID 19, l’Union européenne a débloqué une enveloppe de soixante (60) millions de dollars US en réponse à l’appel lancé par les chefs d’Etats de la sous-région. Une unité de mise en œuvre d’urgence a été mise en place et a élu domicile à Djibouti.

Il est vrai que le département du Développement Social de l’IGAD fait souvent les gros titres de la presse régionale et locale !

A juste titre, ai-je envie de vous répondre ! La très grande visibilité au niveau local et régional montre l’importance et le caractère incontournable des programmes, projets et initiatives que nous menons de manière simultanée sur plusieurs fronts ! Je voudrais revenir spécialement sur ceux qui me semblent les plus importants pour ne pas trop nous égarer dans les détails. Pour n’en citer que les plus en vue, permettez-moi tout d’abord de rappeler la Déclaration de Djibouti sur l’Education des Réfugiés de Décembre 2017. Un événement majeur que notre division a initié et qui a mobilisé la communauté internationale sous le leadership du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés. C’est d’ailleurs le patron du HCR, Monsieur Phillipo Grandi qui a tenu personnellement à participer à cette conférence des ministres de l’Education de l’IGAD. Cette Déclaration de Djibouti a en quelque sorte permis d’ouvrir les bancs de l’école publique aux enfants des réfugiés. Dans le même ordre, nous avons organisé la Conférence Ministérielle de l’IGAD sur le travail, l’emploi et l’immigration en octobre 2021 toujours à Djibouti.

Les résultats ont été à la hauteur de nos attentes car cette conférence a permis de jeter les bases du cadre régional pour un emploi décent des migrants vulnérables dans leurs pays de résidence qui souvent finit par devenir leur pays d’accueil permanent.

Notre pays abrite d’ailleurs comme les autres Etats Membres, le Bureau de la Coordination Nationale de la Migration. J’aimerais profiter de cette tribune pour remercier l’Union européenne, la coopération allemande et notamment la GIZ, le Royaume de Suède et la Banque mondiale qui apportent les contributions financières indispensables à la mise en œuvre de nos priorités régionales.   Conférence ministérielle de l’IGAD sur Santé, mars 2022, Mombassa, Kenya.

Par ailleurs, j’aimerais indiquer que l’IGAD a mis en place, avec le HCR, une plateforme de soutien pour la gestion des réfugiés et des migrants, en 2018.

Cette plateforme lancée à Genève, en Suisse, avec le soutien de la coopération allemande (KfWDevelopment Bank) qui a débloqué un fonds de plus de sept cent cinquante millions de francs djiboutien (750 millions de FDJ) pour l’assistance aux populations déplacées et les communautés hôtes. Grace à cette contribution financière, nous avons pu procéder au lancement des travaux à Ali Sabieh et Ali Addeh. De même, toujours en République de Djibouti, nous travaillons également sur le corridor routier qui relie les axes de Tadjourah et Obock à Djibouti, grâce une fois n’est pas coutume, à la coopération allemande. Sans omettre non plus notre collaboration au renforcement des capacités de l’ADDS grâce à un projet intitulé DRDIP.  En outre, la Banque mondiale a débloqué une enveloppe de vingt-deux millions (22 Millions) de dollars US, la division a lancé un programme de lutte contre la malnutrition dans les villages abritant des réfugiés en collaboration avec le HCR à travers l’ensemble des Etats membres de l’IGAD. Ce programme d’urgence a nécessité une parfaite synchronisation et a permis de mettre en place une plateforme de coordination pour accorder les plans de riposte à une grave situation de malnutrition aigüe chez les populations des enfants des refugiés.

Toujours en matière d’assistance aux réfugiés, nous avons organisé la réunion du Comité des ministres de la santé de l’IGAD pour l’amélioration des services de santé de base en faveur des réfugiés et aux migrants ainsi qu’aux populations transfrontalières au mois de mars de cette année. Cette rencontre a porté ses fruits car les ministres de la Santé ont pris des engagements forts qui ont été actés dans les recommandations et le plan d’action consécutif au séminaire. Nous sommes également satisfaits du lancement du projet de réponse aux impacts des déplacements forcés (DRDIP) et ce en partenariat avec la Banque mondiale.

C’est un projet régional entre le Secrétariat de l’IGAD et les États membres. L’objectif poursuivi par le projet (ODP) du DRDIP est d’améliorer l’accès aux services sociaux de base, d’élargir les opportunités économiques et d’améliorer la gestion durable de l’environnement pour les réfugiés et les communautés d’accueil à Djibouti, en Éthiopie, au Kenya et en Ouganda. Nous disposons également d’une antenne à Kampala en OUGANDA qui abrite notre Unité de Gestion des Données sur la santé des populations, de suivi des épidémies et des maladies chroniques.

L’IGAD travaille à la numérisation des données sur la santé des populations. A ce titre, un projet de renforcement de la capacité des États membres à utiliser les systèmes de données existants pour une gouvernance efficiente et dans le respect de l’éthique et l’équité des technologies numériques est en cours de mise en œuvre avec des résultats très encourageants.

Suite à la déclaration de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la pandémie de nouveau coronavirus (COVID-19) le 11 mars 2020, la BAD a soutenu l’IGAD, l’EAC et l’OMS dans la lutte efficace contre la pandémie. Les efforts soutenus nécessitent une approche régionale coordonnée qui garantira la pérennité des gains réalisés par les pays voisins.

Dans ce projet, l’IGAD a reçu 730 000 USD pour les actions suivantes:

1. Améliorer la coordination régionale sur la réponse à la pandémie de COVID-19

2. Renforcer le système de surveillance régional pour prévenir la transmission transfrontalière du Coronavirus et sécuriser les flux commerciaux

3. Gestion efficace du projet, y compris l’élaboration d’un cadre de suivi et d’évaluation et de rapports mensuels

A ce jour, quelle évaluation faites-vous de vos actions et quels sont les défis les plus urgents ?

J’aimerais d’abord vous dire toute la fierté que nous éprouvons a la lumière d’un tel parcours qui représente un acquis et le socle solide pour bâtir un avenir autrement plus encourageant pour nos populations. Bien entendu, nos projets et programmes sont vastes et leurs mises en œuvre s’étalent sur des périodes plus ou moins longues. Donc, il ne serait pas censé de tirer des conclusions hâtives en parlant de succès ou même d’échec, même si ce dernier terme n’est pas du tout approprié. S’il faut évaluer l’impact et les résultats attendus, nos actions donnent toujours des motifs d’espérance à des populations parfois désespérées. L’IGAD travaille toujours aux côtés des gouvernements pour apporter toujours plus de santé et de bien-être dans des zones où l’espoir ne tient plus qu’à un fil ténu. Nous nous efforçons donc d’améliorer les structures de santé et d’éducation, mais aussi les moyens de subsistance et les conditions de stabilité et de sécurité pour rassurer les populations et leurs signifier que la lumière est au bout du tunnel lorsqu’il n y a plus que l’ombre du désespoir et du désœuvrement. J’aimerais aussi rappeler ici les retours très positifs de nos partenaires au développement quant à la haute valeur ajoutée des actions de cette division de l’IGAD. Ces partenaires nous témoignent toujours plus de confiance et sont engagés résolument à nos côtés dans cette noble mission pour continuer à servir au plus près nos concitoyens. 

Quels sont vos espoirs quant à une région de l’IGAD débarrassée des maux sociaux et des retards en matière de développement humain?

Votre question porte sur l’essence même de notre mission qui est de mettre en commun nos énergies et nos compétences multiformes pour que nos concitoyens et concitoyennes de cette très vaste région puissent accéder à des conditions socioéconomiques décentes seules capables de leur permettre de préserver leur dignité pour aller toujours de l’avant. Personnellement, je reste convaincue que notre région rejoindra sous peu, une fois les cycles récurrents des conflits définitivement brisés, le peloton de tête de ces pays développés où les populations n’ont pas à se soucier de l’essentiel, comme la santé, de la sécurité pour atteindre un niveau satisfaisant de développement social et économique. Le temps est notre allié, car aujourd’hui, les Etats membres de l’IGAD savent parfaitement la priorité stratégique que la sécurité humaine doit occuper dans la sécurité nationale de chacun des Etats ainsi que dans l’esquisse progressive de ce que devrait être notre sécurité collective en tant que région solidaire pour relever les enjeux et les défis de ce 21e siècle prometteur a plus d’un titre.