Tanja Pacifico, Représentante de l’OIM à Djibouti
L’Afrique de l’Est connaît une migration à grande échelle et ces défis migratoires nécessitent une approche globale par les pays membres de cette région. A cet effet, nous nous sommes entretenues avec la Représentante de l’OIM, Mme Tanja Pacifico, sur les causes de ces migrations multiples et complexes et s’il existe des programmes répondant aux besoins des migrants qui favorisent leurs déplacements. Interview.
La Nation : Quelles sont les causes principales de la migration en Afrique ?
Mme Tanja Pacifico : Il est essentiel de reconnaître que la migration est un phénomène complexe et, souvent, de multiples facteurs peuvent interagir. Une compréhension approfondie des causes de la migration est essentielle pour élaborer des politiques et des programmes appropriés qui répondent aux besoins des migrants tout en favorisant un mouvement plus sûr, régulier et ordonné.
Entre 2000 et 2019, le nombre de migrants internationaux en Afrique est passé de 15,1 millions à 26,6 millions, soit l’augmentation relative la plus forte (76 %) parmi toutes les grandes régions du monde. En 2019, l’Afrique a accueilli 7,3 millions de réfugiés (y compris les demandeurs d’asile), soit 25 % de la population mondiale de réfugiés (28,7 millions), ce qui signifie qu’un migrant international sur quatre en Afrique est un réfugié, contre un migrant international sur dix dans le monde. Les causes de ces migrations sont multiples et complexes.
Quels sont les enjeux migratoires qui existent actuellement en Afrique de l’Est et dans la Corne d’Afrique ?
Actuellement, l’Afrique de l’Est et la Corne d’Afrique connaissent des défis et des opportunités liés à la migration. Ces questions sont complexes et multiformes et ont des implications importantes non seulement pour les populations migrantes, mais aussi pour les pays d’accueil et de transit. La migration forcée à cause des conflits, catastrophes et insécurité entraîne un afflux important de personnes à l’intérieur du pays, posant des défis à l’hébergement et à la protection de ces populations vulnérables.
L’Afrique de l’Est et la Corne de l’Afrique sont le théâtre d’une migration économique à grande échelle, de nombreux immigrants sont à la recherche d’opportunités d’emploi. Certains migrent vers les États du Golfe, l’Afrique du Sud ou l’Europe, créant un mouvement migratoire mixte dans la région. Ces défis migratoires nécessitent une approche globale et coordonnée par les pays membres de cette région, les organisations internationales et les acteurs humanitaires. La coopération régionale et internationale est essentielle pour relever ces défis et assurer la protection et le bien-être des migrants dans la région.
Les tendances de la migration et de la mobilité dans l’Est et la Corne de l’Afrique sont très complexes. Conflit, violence, pauvreté et les catastrophes liées au climat continuent d’être les principaux moteurs de la migration et de la mobilité dans la région. Ainsi, les enjeux qui pèsent sur l’avenir des migrations dans la région sont observables au niveau des zones de départ, de transit et d’accueil.
Dans les zones de départ, la pénurie de la main-d’œuvre demeure une difficulté pour la relance économique bien que les transferts de fonds des travailleurs migrants depuis les zones d’accueil participent au développement local dans certains contextes. Dès lors, la coopération régionale et internationale est essentielle pour relever ces défis et assurer la protection et le bien-être des migrants dans la région. Ce renforcement de la connaissance de la migration à travers une meilleure gouvernance de données migratoires est l’un des principaux défis à relever pour une réponse adaptée aux différents enjeux.
Pour affermir la gouvernance de la migration, quels sont les plans à mener et les aboutissements à atteindre ?
L’élaboration de politiques migratoires cohérentes est primordiale pour une migration ordonnée sûre et régulière. Notre partenaire principal est le ministère de l’Intérieur. La république de Djibouti a fait des pas importants vers le renforcement de la gouvernance migratoire avec la mise en place du Mécanisme national de coordination sur la migration en juillet 2021 ainsi que l’élaboration et le lancement de la toute première stratégie nationale de migration et son plan d’action quinquennal. Nous continuons à travailler en étroite collaboration avec le gouvernement pour traduire les objectifs et les engagements du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (GCM) en actions concrètes, avec le soutien de l’Union Européenne et du gouvernement des Etats Unis. La validation de la stratégie nationale sur la migration est, en ce sens, une étape importante et servira de base pour continuer à contribuer aux objectifs du GCM.
En supplément au renforcement des capacités institutionnelles, l’OIM Djibouti facilite l’identification des migrants en situation de vulnérabilité, y compris ceux qui sont en danger et qui ont été exposés à des abus, à l’exploitation et à la violence pendant leur voyage vers Djibouti, et s’assure qu’ils ont accès aux services de protection et d’assistance directe appropriés. Par l’intermédiaire de son Centre d’Orientation et d’Assistance aux Migrants à Obock, l’OIM fournit des services de protection, notamment des services de santé mentale et de soutien psychosocial, une assistance aux victimes de violence basées sur le genre et une orientation vers des services spécialisés.
L’OIM fournit également des services de protection et d’assistance aux enfants migrants à Djibouti-ville en partenariat avec CARITAS et SOS Villages. Ces services comprennent une assistance médicale et psychosociale ainsi qu’une aide au retour et à la réintégration. Des sessions de formation sur différents sujets de protection sont également organisées pour les partenaires concernés.
Pour faciliter la mobilité, l’OIM continue de soutenir le gouvernement de Djibouti par l’harmonisation des processus, la gestion de l’information et le renforcement de la capacité à gérer efficacement et effectivement les frontières aériennes, terrestres et maritimes. Le système d’information et d’analyse des données sur la migration (MIDAS) a été mis en place dans huit postes frontaliers pour collecter, enregistrer et traiter les informations relatives à l’identification des voyageurs.Cependant, le point essentiel est une sensibilisation et communication pour informer le public sur les avantages et les défis liés à la migration est essentielle pour promouvoir une compréhension plus équilibrée et une perception positive des migrants.
L’OIM accompagne aussi la mise en œuvre de la Stratégie Nationale pour les migrations de la république de Djibouti, particulièrement sur le volet renforcement d’une meilleure connaissance des migrations.Pour ce faire, la collecte de données sur les migrants s’avère être une des étapes capitales dans la connaissance des enjeux de la migration de départ, de retour et de transit à Djibouti. La collecte de données permet alors de disposer des informations utiles à même d’orienter les décisions politiques nationales et d’améliorer la protection des migrants et populations déplacées.
Récemment l’OIM a organisé un atelier sur la formation régionale des accords bilatéraux de migration de la main d’œuvre, et du recrutement éthique, quels sont les succès qui viendront avec le renforcement institutionnel du cadre juridique dans les questions migratoires des pays membres de l’Afrique de l’Est et de la Corne d’Afrique ?
La formation régionale sur les accords bilatéraux de migration de main-d’œuvre, le recrutement éthique, le droit international de la migration, les droits des migrants organisée à Djibouti début juillet 2023 a connu un succès et nous remercions le gouvernement de Djibouti et particulièrement le ministère de l’Intérieur et le ministère du Travail chargée de la formalisation et de la protection sociale pour leur soutien et l’accueil réservé aux 11 Etats membres de cette région. La réunion a été l’occasion de démontrer l’importance des échanges entre les Etats membres des pays de l’Afrique de l’Est et de la Corne de l’Afrique, et le choix de tenir cette réunion à Djibouti montre également le rôle important du pays dans la région.
Dans le cas du renforcement institutionnel du cadre juridique, un des objectifs majeurs est justement d’encourager la compréhension des normes juridiques internationales qui régissent la migration. Cela va permettre de renforcer la capacité des gouvernements de la région et aborder les questions liées à la migration de travail visant à protéger les droits des travailleurs migrants en tenant compte de leurs besoins particuliers et de leurs vulnérabilités.
Les traités, le droit coutumier, les principes généraux du droit sont des sources essentielles du droit international de la migration. Si les États restent les principaux sujets du droit international, les individus et les organisations internationales jouent également un rôle important. En comprenant l’essence du droit international de la migration, nous pouvons mieux naviguer dans ses complexités et les gouvernements pourront ainsi garantir la sauvegarde des droits des migrants, y compris ceux des travailleurs migrants. Un autre aspect important de cette réunion était d’offrir une plate-forme afin de renforcer le partenariat entre ces 11 pays et permettre d’échanger sur les bonnes pratiques développées dans d’autres pays.
Propos recueillis par Djibril Abdi Ali