Mme Dana PURCARESCU est la première femme ambassadrice de France à Djibouti. Après son arrivée et sa prise de fonction, il y a plusieurs mois, elle a bien voulu nous recevoir dans son bureau pour évoquer les enjeux essentiels et les priorités de sa mission. Entretien…
La Nation : Vous êtes arrivée à Djibouti au mois d’octobre l’année dernière. Comment avez-vous été accueillie et quelles ont été vos premières impressions sur notre pays ?
Dana PURCARESCU : J’ai été très marquée par l’accueil si chaleureux et fraternel qui m’a été réservé aussi bien par les plus hautes autorités du pays que les habitants depuis mon arrivée. J’ai été touchée par la bienveillance du chef de l’Etat, au moment de lui remettre ma lettre d’accréditation. Le président de la République, Son Excellence M. Ismail Omar Guelleh, m’a fait ressentir l’hospitalité légendaire de Djibouti. J’ai retrouvé la même sincérité chez les membres du gouvernement. Même les grutiers du port m’ont réservé une place de choix parmi eux lors de l’escale du groupe aéronaval accompagnant le Porte-avions Charles de Gaulle. J’ai été particulièrement marquée par les femmes djiboutiennes qui m’ont entourée de tant de gentillesse. Au cours de mes déplacements dans les régions de l’intérieur, dans les écoles à As Eyla et Lahassa, à Beyo Addey et ailleurs dans l’arrière-pays, j’ai retrouvé cette même sincérité si communicative chez les populations rurales. Vous savez, les diplomates sont un peu comme les nomades qui évitent de s’attacher, on s’abstient donc de toute affectivité car nous avons vocation à repartir un jour ou l’autre. Mais le charme de Djibouti est tellement irrésistible que je n’ai pas pu refreiner les émotions fortes qui m’ont étreint depuis mon arrivée.
C’est la première fois qu’une femme représente la France à Djibouti. Peut-on croire que c’est une tendance qui s’inscrit dans les efforts pour instaurer une meilleure parité entre hommes et femmes dans la haute fonction publique et surtout la diplomatie française ?
Je trouve que j’ai beaucoup de chance de commencer ma carrière d’ambassadrice dans un pays aussi bienveillant et amical que Djibouti. C’est aussi une lourde responsabilité car je dois montrer l’exemple à beaucoup de jeunes filles et de jeunes femmes en début de carrière. Je voudrais servir de modèle de succès qui puisse inspirer et guider. Tout cela m’oblige à donner le meilleur de moi-même et tenter de satisfaire toutes les attentes que ma fonction peut susciter. Mais plus que la parité, je trouve plus juste de parler d’égalité des chances. Un meilleur équilibre dans l’administration en général et dans la diplomatie en particulier. On parle souvent de diplomatie féministe mais cela ne veut pas dire que l’on s’occupe uniquement de questions féministes. C’est un meilleur équilibre qui favorise l’égalité des chances sans aucune discrimination. C’est l’image que l’on attend d’une administration et d’une diplomatie performantes. Pour cela, il faut créer les conditions favorables à l’épanouissement des talents pour que chacun puisse jouer à armes égales dans une compétition saine. Je constate avec beaucoup d’intérêt le rôle des femmes dans la société djiboutienne. Elles occupent remarquablement bien l’espace public avec talent, énergie et résilience. Tout cela m’inspire beaucoup.
Est-ce aussi votre première mission en tant qu’ambassadrice ? Si oui, comment l’appréhendez-vous ?
En effet, c’est la première fois que je suis ambassadrice. Lorsque le président de la République, M. Emmanuel Macron, m’a confié cette responsabilité à Djibouti, un pays important pour la France, j’y ai vu une marque de confiance et une importante responsabilité. Maintenant il faut réussir, incarner la fonction, être exemplaire et avoir des résultats ! J’ai eu la chance au cours de ma carrière d’occuper presque tous les postes dans une ambassade. Cette expérience est une bonne préparation. Mais l’on ne réussit pas tout seul, c’est un travail d’équipe qui requiert beaucoup d’humilité vis-à-vis de ses collaborateurs et ses partenaires. En tout état de cause, j’ai le sentiment d’avoir les clés pour réussir et je suis sûre que les Djiboutiens vont m’y aider !
Quels sont vos chantiers prioritaires pour renforcer la relation de coopération entre Djibouti et la France ?
La relation entre Djibouti et la France est très spéciale et je travaille à la renforcer, l’enrichir et l’approfondir dans toutes ses dimensions stratégiques, politique, en matière de défense et de sécurité. Cette relation implique aussi d’accompagner le développement économique et social de Djibouti. Mon premier rôle est donc d’écouter pour mieux identifier et comprendre les attentes des Djiboutiens afin d’y répondre au mieux des moyens à ma disposition. Cela implique également les investisseurs et les partenaires car la croissance économique est le fruit de la conjonction de plusieurs facteurs et paramètres. Les priorités sont nombreuses, à commencer par le transport ferroviaire et intermodal, la logistique, l’assainissement, les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, l’urbanisme durable, etc. Je vais donc à la rencontre de tout le monde parmi les investisseurs français pour tenter de les connecter avec Djibouti et ses opportunités d’investissements. J’ai la chance de bien connaitre le fonctionnement de l’Union européenne. J’essaie de me faire aussi la porte-parole de la cause de Djibouti à Bruxelles. La France a un rôle particulier et souvent très actif au sein des institutions internationales, notamment les Nations unies et le conseil de sécurité, la Banque mondiale, le FMI, la FAO, l’OMS, l’UNESCO, etc. Avec mon équipe, nous nous efforçons d’éclairer au mieux les débats et les enrichir des expériences que nous vivons à Djibouti. Nous nous efforçons de jouer un rôle émancipateur à Djibouti, en aidant sans assister, ni enfermer dans une relation de dépendance. Nous voulons participer au développement durable de Djibouti en contribuant à renforcer les compétences et le savoir-faire indispensables à la construction d’un avenir durable à Djibouti. D’où notre appui renforcé à des secteurs comme l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche, etc. A ce titre, je voudrais souligner combien je suis extrêmement admirative de la filière d’excellence à Djibouti.
On s’accorde à dire que la francophonie décline fortement à Djibouti, cet ilot francophone dans un océan anglophone. Est-ce que vous prévoyez de tenter d’inverser cette tendance ? Si oui, comment comptez-vous vous y prendre ?
La Francophonie est précieuse pour Djibouti. Elle devrait être perçue comme la chance qu’elle représente, un pont d’accès vers le reste du monde. Le français d’ici est très visuel avec ses richesses, ses nuances et ses subtilités qui renvoient à des images et qui lui donne une profondeur. C’est un français vivant, dynamique et coloré qui enrichit la langue française classique. Je suis séduite par le français parlé à Djibouti. J’ai beaucoup d’admiration pour les jeunes écrivains djiboutiens qui sont édités ici même et qui font rayonner la langue française à Djibouti et ailleurs. Le français est une langue de plus qui ne vient ni se substituer ni entrer en compétition avec une autre langue. Parler plusieurs langues, je l’expérimente tous les jours, est une richesse qui nous permet de communiquer et interagir avec une autre partie de l’humanité. La Francophonie continue de vivre, je le vois à la fréquentation de la médiathèque de l’IFD, le développement des coins lecture dans les établissements scolaires, de la forte demande de livres dans les Centres de développement communautaires et les structures associatives, la création de la première maison d’édition djiboutienne que la coopération française appuie pour l’édition des œuvres littéraires des jeunes écrivains djiboutiens qui font vivre la langue et la littérature francophone. Je trouve tout à fait légitime d’apprendre d’autres langues pour élargir ses compétences professionnelles, culturelles et sociales. Je pense aussi que le français est une chance pour Djibouti en ce qu’il contribue à consolider une identité particulière, singulière dans une région du monde régulièrement secouée par des conflits ethniques. La francophonie peut être une façon d’échapper aux déterminismes ethnolinguistiques.
Propos recueillis par Kenedid Ibrahim Houssein
Bio express et parcours professionnel de Mme Dana PURCARESCU
Née en août 1977, Mme Dana PURCARESCU est diplômée de l’Institut d’études politiques (IEP) de Bordeaux, de l’Université du Sussex, ainsi que du Collège d’Europe et maîtrise les langues française, anglaise et allemande. Dana PURCARESCU est entrée au Ministère des Affaires Étrangères en 2001 à la Direction des Affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement (2001-2004). Elle a servi à Bruxelles, à la représentation permanente de la France auprès du Comité politique et de sécurité (2004-2006) et au Secrétariat Général du Conseil de l’Union Européenne (2006-2008). Elle a servi ensuite à Berlin (2009-2010) puis à Washington (2010-2014). Dana PURCARESCU a été conseillère à la délégation interministérielle à l’intelligence économique (2014-2015) puis conseillère diplomatique au ministère de l’économie, des finances et de la relance (2016). Elle a dirigé le centre de situation du Centre de crise et de soutien du Ministère français des Affaires Étrangères (2016-2019), avant de servir l’ambassade de France à New Delhi en tant que numéro deux. Dana Purcarescu est chevalier de l’Ordre national du Mérite.