Nommé en mai 2019 à la tête du Ministère du Budget, un département clé du gouvernement, Abdoulkarim Aden Cher, 52 ans, est décidemment un homme intègre et rigoureux. Sa nomination, on s’en souvient, avait suscité beaucoup d’espoir chez les djiboutiens. Derrière sa barbe grisonnante, ce fils du Quartier 7 devenu argentier du pays n’a visiblement rien perdu de sa prestance et de son autorité naturelle. Mais au-delà de ses qualités personnelles, quel changement voudrait-il apporter au Ministère du Budget ? Quelles sont les mesures entreprises par son département pour atténuer les conséquences budgétaires du coronavirus ? Quels sont les chantiers qu’il juge prioritaires et comment compte-t-il s’y prendre ? De ces questions et de bien d’autres encore, Abdoulkarim Aden Cher a bien voulu en discuter avec nous dans une interview exclusive.
Monsieur le ministre, merci de nous accorder cette interview. Tout d’abord, comment allez-vous ?
Alhamdullilah, Je vais très bien, Dieu merci.
Comme vous le savez, l’actualité est dominée par la pandémie du Covid-19, donc ma première question est : Quel est le rôle de votre département dans la lutte contre la covid-19?
Avant de parler du rôle de mon département dans la lutte contre la Covid-19, je voudrais rendre hommage à nos personnels soignants, ces hommes et ces femmes qui prennent tous les jours des risques, sauvent des vies et se battent en première ligne face à cet ennemi invisible. Je tiens également à saluer les efforts incessants des autorités sanitaires au premier rang desquels le ministre de la Santé, Mohamed Warsama Dirieh. Il faut savoir que dans cette guerre, chaque djiboutien à un rôle à jouer. Nous ne pouvons vaincre ce virus que si nous nous responsabilisons, chacun à son niveau, notamment en respectant les consignes des autorités sanitaires.
Si je reviens à votre question, dès l’apparition du virus sur le sol djiboutien, un comité de pilotage a été mis sur pied. Ce comité de pilotage, présidé par le Premier ministre, est composé de plusieurs départements ministériels clés dont celui du Budget qui préside la commission logistique et approvisionnement. Cette commission a en effet pour mission de réceptionner les dons et d’assurer les commandes des médicaments et autres matériels sanitaires. Elle est également en charge de la coordination de toutes les opérations d’approvisionnement et de logistique.
Monsieur le Ministre, vous n’êtes pas sans savoir que les effets de cette pandémie seront aussi économiques et financiers. Quelle est la réponse de votre département pour atténuer ces effets ?
N’oubliez pas que la Covid-19 est une pandémie planétaire. Ceci dit, son impact économique et financier est tout aussi désastreux que sur le plan sanitaire. Il s’agit d’une pandémie qui a bouleversé l’économie mondiale. Son éclosion a provoqué une large révision à la baisse des perspectives économiques. Alors qu’en est-il à Djibouti ? Sommes-nous touchés économiquement ? Bien sûr que oui. Plusieurs secteurs sont durement touchés, notamment le tourisme, l’hôtellerie, le transport aérien et surtout le secteur informel. Mais, vous-en-conviendrez, n’importe quelle situation de ce genre qui engendre un impact économique nécessite la réponse de l’Etat.
C’est dans ce sens que nous avons aussitôt prit des mesures notamment fiscales pour les entreprises afin de leur permettre de s’acquitter de leurs charges fiscales ultérieurement. L’Etat a également soutenu ces entreprises en leur assurant 30% du salaire de leurs employés. Et ce, conformément aux critères prédéfinis dans un décret adopté en Conseil des ministres.
L’impact de cette pandémie ne se résume pas à cela. Il est plus conséquent particulièrement au niveau budgétaire. C’est pourquoi nous avons mis en place il y a deux mois une commission des dépenses et une autre des recettes qui ont eu pour mission de réfléchir sur des mesures de relance et mettre en place une Loi des Finances rectificative 2020. Les travaux de ces deux commissions ont abouti sur le projet de loi de finances rectificatives qui a été adopté en conseil de Ministre du Mardi 30 Juin .
Un fonds d’urgence et de solidarité a été mis en place sous l’initiative du Président de la République.
Pouvez-vous nous dire comment ces fonds ont été utilisés ?
D’abord, il faut savoir que le Fonds d’urgence et de solidarité est l’élément déterminant qui a fait basculer la bataille contre la Covid en notre faveur et lequel, je l’espère, mènera notre pays vers une victoire. Sa création aura été décisive. Il s’agit d’une initiative du Président de la République, M. Ismail Omar Guelleh, qu’Allah l’assiste. Cette initiative a permis aux djiboutiens et aux djiboutiennes de mettre en lumière leur capacité à rester solidaire dans les moments les plus difficiles. Nous avons prouvé au monde entier que nous sommes un peuple uni qui compte d’abord sur lui-même.
Si je reviens maintenant à votre question, grâce aux fonds collectés, nous avons pu jusqu’à ce jour assurer la prise en charge des personnes atteintes, l’approvisionnement en médicaments, la motivation du personnel soignant, le soutien aux secteurs touchés économiquement, etc… C’est aussi grâce à ces fonds que nous avons pu réaliser des tests de dépistages massifs.
Nous avons également construits et équipés des centres de quarantaine dans certaines régions de l’intérieur (Ali-Sabieh et Arta). C’est vous dire donc l’importance du rôle de cette structure qu’est le Fonds d’urgence et de solidarité.
« Il nous faut plus que jamais défendre et préserver ce qu’on a de plus chers : la paix et la stabilité »
Fin avril 2020, des retenues ont été opérées sur les salaires des employés et cadres de l’administration centrale. Qu’avez-vous fait de cet argent ? L’avez-vous versé dans le fonds de solidarité ?
Bien sûr, toutes contributions y compris les retenues sur salaires des cadres et autres employés, ont été versées dans le fonds de solidarité Covid-19.
D’aucuns estiment que ces retenues ont été effectuées sur leurs salaires contre leur volonté ou tout simplement à leur insu. Qu’en dites-vous?
Je crois simplement qu’il y a eu un manque de communication. Et je comprends. Parce que nous étions sous pression et en pleine période de confinement.
Avant de procéder aux retenues sur salaires des cadres et employés de mon département, du Ministère du Budget donc, je les ai d’abord consultés. Ensuite je les ai sensibilisés puis convaincus de la nécessité de participer à cet élan de solidarité. Tout ça, pour éviter de prendre des décisions à leur place puisqu’il s’agit tout de même de leurs salaires. C’est vous dire, qu’ils n’ont pas été pris de court, au contraire les retenues ont été opérées avec leur consentement. D’autres ministres ont, eux, opté pour une autre approche. Au fait, ils n’ont pas voulu que les retenues soient effectuées sur les salaires de leurs personnels. Ils ont réalisé un système de cotisation en espèce. Vous comprenez donc que chaque département ministériel avait le choix d’adopter sa propre approche. Je ne suis pas habilité à effectuer de mon propre chef des retenues de solde sur des cadres et employés issus d’autres départements ministériels.
Dernière question sur la covid-19 : à l’heure où nous sommes, pensez-vous que le plus dur est derrière nous?
Non, je ne le crois pas même si nous avons réussi à stabiliser la situation. A l’instar du reste du monde, le danger nous guette toujours, la preuve en est que le nombre de décès liés au Covid-19 enregistre une légère hausse ces derniers temps. Nous sommes actuellement à 54 décès. C’est pourquoi il est primordial de rappeler à nos concitoyens de continuer à observer le strict respect des gestes barrières.
Parlons maintenant du Ministère du Budget. Vous êtes à la tête de ce département depuis un an déjà. Quels chantiers vous ont paru prioritaires et comment vous vous y êtes pris ?
Nous avons dés le début procédé au renforcement de la discipline et de l’orthodoxie budgétaire en engageant une approche restrictive sur le rythme des dépenses publiques et en lançant des opérations volontaristes et sans complaisance de recouvrement forcé des impôts directs auprès des contribuables négligents ou récalcitrants.
Les résultats ont été encourageants : un niveau et un rythme de recouvrement des recettes fiscales plus important que par le passé à la même période et un règlement plus régulier (le 25 du mois) des salaires du personnel de l’administration publique et des subventions aux établissements publics.
Nous avons mis en route une série de contrôles et d’inspection des directions techniques et financières du Ministère avec le concours de l’inspection générale, et des Etablissements publics avec l’aide de la Direction de la Comptabilité Publique.
Certains de ces processus sont encore en cours. Nous engagerons des réformes et des renforcements de compétences très bientôt
Nous avons mis en place au sein du cabinet, différentes commissions ou cellules de réflexion dont la mission a été de réaliser différentes études et proposer des recommandations. Elles ont réalisés un véritable travail de réflexion qui a abouti entre autres sur de nombreux rapports notamment sur l’évolution des recettes et des dépenses au cours des dix dernières années, le recensement du patrimoine immobilier et matériel de l’Etat et le renforcement du processus de décentralisation à travers le renforcement de compétences par le moyen d’une série de formations à l’intention des conseils régionaux. Ces formations ont permis d’intégrer dans la loi des finances 2020 des projets de budget des cinq régions de l’intérieur. Une première à Djibouti. Cela dit, il faut attendre au moins une année de plus pour se prononcer réellement sur les résultats des reformes déjà engagées et celles en cours. Des résultats qui, je n’en doute pas, seront positifs inchallah.
Quels types de réformes comptez-vous engager à court et à long terme ?
Les reformes que nous comptons engager en perspectives dans notre département sont multiples et concernent plusieurs domaines notamment la gouvernance, la politique de fiscalité, le dialogue public/privé, la rationalisation des dépenses de l’Etat, pour ne citer que celles-là. Ceci dit nous comptons également moderniser la conception du Budget de l’Etat de manière à répondre efficacement aux objectifs de développement de notre pays notamment dans le long terme. A la différence de la budgétisation basée sur l’emploi des ressources allouées à chaque département qui était appliquée depuis toujours, l’année 2020 consacrera le basculement en mode budget programme.
Une nouvelle approche qui privilégie un cadre programmatique pluriannuel associé à des objectifs, en vue d’atteindre des résultats mesurables par des indicateurs de performances annuels qui incluent la responsabilisation des acteurs et le renforcement du contrôle.
Nous comptons également procédé à la modernisation et au renforcement des compétences dans l’administration des impôts et de la Douane, notamment dans la dématérialisation des procédures. L’objectif étant d’élargir l’assiette fiscale. Autant de reformes que nous comptons engager dans les deux années à venir, et qui je n’en doute pas, auront un impact positif sur le budget national, mais aussi sur les administrés et les contribuables.
Monsieur le ministre, nous venons de célébrer le 43ème anniversaire de notre accession à l’indépendance. Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru par notre pays et sur son devenir?
Cela fait 43 ans déjà que le peuple de Djibouti, uni comme un seul homme, trouva dans l’olympe de sa destinée la lumière de sa liberté. Cette liberté, nous l’avons acquise au prix d’énormes sacrifices. J’ai une pensée pour nos mères, pour nos pères, pour nos jeunes qui furent torturés, violés, déportés, exilés, fusillés. Ce sont nos héros, nos martyrs et nous ne pouvons les oublier. Jamais. Aujourd’hui, si l’on jette un regard vers le passé avant de commenter le présent, nous pouvons constater combien le chemin parcouru est long.
Nous avons vécu des hauts et des bas sans jamais baisser les bras. Cependant, Les vingt premières années ont été consacrés à la consolidation de la paix et de l’unité nationale pour l’édification d’un véritable Etat sous le leadership du premier Président de la République, père de la nation le défunt El Hadj Hassan Gouled Aptidon (Paix à son âme).
Et depuis la fin des années 90 jusqu’à nos jours, nous ne pouvons nier les avancées économiques majeures, que notre pays connait avec la vision prospectrice du Président de la République Son Excellence Ismail Omar Guelleh. Tous les paramètres montrent que le pays avance. Il avance vers un avenir que nous savons meilleur. Il nous faut donc plus que jamais défendre et préserver ce qu’on a de plus chers : la paix et la stabilité. Pour finir, permettez-moi d’exprimer mes meilleurs vœux de bonheur et de santé au président de la République, M. Ismail Omar Guelleh à son épouse et à ses enfants. Je tiens également à souhaiter bonne fête à nos forces armées, ainsi qu’à tous les djiboutiens et à toutes les djiboutiennes d’ici et d’ailleurs.
PROPOS RECUEILLIS PAR AAD