Djibouti s’est toujours acquitté de ses obligations extérieures, même dans les heures les plus difficiles de son histoire

Monsieur le Ministre, vous venez d’être nommé à la tète de ce département, quelles sont vos premières impressions ?

En premier lieu, permettez-moi de vous remercier pour l’interview que vous m’accordez et j’espère que nous aurons l’occasion de renouveler cet exercice. La communication est un élément important de l’action du gouvernement et il convient que nous puissions davantage partager avec nos concitoyens nos contraintes mais aussi les enjeux et les défis qui sont les nôtres.

A peine arrivé à la tête de ce ministère, vous avez reçu une mission du FMI pour une mission de l’article IV. Comment s’est déroulée cette mission et quelles en ont été les conclusions ?

En effet, une mission d’évaluation du FMI au titre de l’article IV a séjourné à Djibouti du 09 au 17 Juin 2018. Les autorités ont apprécié l’appui apporté par le FMI pour améliorer les données statistiques qui a permis d’aboutir à une amélioration significative du PIB et des comptes nationaux, et d’avoir des indicateurs davantage en phase avec la réalité économique djiboutienne.

Aux termes des discussions échangées sur les évolutions du contexte économique, et des perspectives à court et moyen terme, les conclusions dégagées ont fait montre d’un profil d’endettement moins risqué, vu le niveau des indicateurs d’endettement qui sont désormais au vert et qui indiquent la soutenabilité de notre endettement. En effet, le ratio de liquidité et le ratio concernant la couverture de la dette par les exportations sont convenables et un seul indicateur concernant le taux de notre endettement pose problème et s’avère en deçà des normes prescrites par le FMI. Nous avons aujourd’hui un taux d’endettement de 70% du PIB alors que la norme voudrait que pour les PMA le taux d’endettement soit de 40%. Nous avons expliqué au FMI que ceci s’expliquait par deux contraintes, à savoir l’exclusion de Djibouti du mécanisme P.P.T.E. (pour lequel la dette de quasiment tous les pays d’Afrique Sub-Saharienne a été annulé)qui constitue un véritable aléa moral et la réalisation d’infrastructures régionales qui sont pour autant évaluées à l’aune de notre PIB.

De plus, les réformes structurelles engagées se poursuivent pour leur part en vue du maintien de la stabilité macroéconomique et de la viabilité budgétaire, ainsi qu’une meilleure gouvernance des établissements publics, et l’amélioration du climat des affaires. Ces dernières nécessitent toutefois d’être accentuées et accélérés. Concernant les perspectives de croissance de l’économie, les autorités ont fait savoir au FMI, le retour progressif de la croissance de 7,3 à 8,6% entre 2019 et 2024 avec la forte reprise des activités logistiques grâce au commerce éthiopien et des grands projets notamment l’important projet gazier (4 milliards US Dollars) de l’Ethiopie. L’on prévoit également, à moyen terme, une remontée des recettes intérieures avec le maintien d’une part de la pression fiscale et l’aboutissement des réformes visant à la rationalisation des dépenses fiscales et l’élargissement de l’assiette de l’impôt.

Le piège de la dette est un sujet souvent relayé par la presse internationale dès que l’on évoque les relations Afrique-Chine, et Djibouti n’y échappe pas, alors qu’en pensez-vous ?

La dette reste une problématique globale, compte tenu de l’évolution importante que connait l’endettement mondial ces dernières années sous l’effet de progression des dettes des économies avancées. Plus de la moitié de cette dette étant détenue par 3 pays, à savoir la Chine, le Japon et les Etats-Unis. Le niveau d’endettement des pays développés et des pays émergents avoisine les 150% du PIB. Face à cela, les pays d’Afrique restent les moins endettés avec un ratio de 53% du PIB. Certes, la dette de certains pays africains a connu un envol, ces dernières années, sous l’effet des investissements de haute valeur ajoutée, dans les secteurs des infrastructures qui restent très peu développés et qui constituent un réel frein au développement du commerce interrégional.  Il convient toutefois de noter qu’il s’agit des investissements rentables, susceptibles de générer des revenus à moyen et long terme. Face à ces besoins en infrastructures qui font l’objet d’un large consensus, la Chine reste un partenaire privilégié en Afrique, de par son appui non négligeable au financement de ces investissements.

Pour ce qui est de Djibouti, le partenariat avec le géant asiatique, guidé par une vision commune de renforcement de l’intégration régionale connait un fort élan. La Chine finance outre les ports annexes, la nouvelle ligne de chemin de fer reliant à l’Ethiopie et le réseau transfrontalier d’adduction d’eau potable, autrement dit des projets à vocation régionale.  Les dettes au titre de ces prêts font l’objet de remboursement régulièrement et ce, depuis 2014. Les échéances ont toujours été honorées conformément aux accords conclus. Seul, le projet du chemin de fer fait actuellement l’objet de discussions avec la Chine en vue de la révision des termes du prêt.

L’Ethiopie avec qui nous avons initié ces négociations a, pour sa part, finalisé les renégociations avec la Chine relatives à la restructuration de dettes du Chemin de Fer. Ces discussions devraient être conclues prochainement et une fois la dette restructurée, le service de la dette du prêt sera remboursé conformément au nouvel échéancier convenu.

Djibouti fait partie, de nombreux Etats débiteurs, qui ne sont pas acquittés de leurs dettes auprès de l’EBDI, d’après un communiqué publié le 7 juillet 2019 par Tehran Times, qu’en pensez-vous ?

Djibouti a toujours respecté ses engagements vis à vis de ses partenaires et s’est toujours acquitté de ses obligations extérieures, même dans les heures les plus difficiles de son histoire.

Concernant l’EDBI, nous ne pouvons que constater l’excellence du travail réalisé avec un Parlement national conçu de manière remarquable. Conformément à ce que j’ai mentionné ci-dessus, les premières échéances dues au titre du prêt de 2007 à 2011 ont été réglées conformément à l’échéancier communément convenu. Par la suite, les sanctions internationales à l’encontre de l’Iran ont rendu très difficiles les transferts de fonds à destination de ce pays. Certains transferts effectués ont été bloqués par les banques correspondantes occidentales et nous avons dû justifier la destination de ces fonds afin de pouvoir juste récupérer nos envois de fonds.  Un arrangement institutionnel avait été trouvé pour remédier à ce problème en 2011 à travers une délégation de pouvoir des autorités iraniennes en faveur de la société Stratus qui a construit le parlement Djiboutien mais cet arrangement institutionnel était limité dans le temps et les autorités Iraniennes ont refusé de la reconduire.

Compte tenu du contexte, les échéances en retard de paiement se sont accumulées et nous avons entamé par voie bilatérale des discussions bilatérales avec l’Iran en 2014 pour la restructuration de cette dette. Cette restructuration n’a pu aboutir entre 2014 et 2016 et de nombreux échanges de correspondances ont été effectués afin de régler ce dossier. Malencontreusement et pendant ces échanges, les relations diplomatiques entre nos deux pays ont été rompues.

Aujourd’hui ces problèmes peuvent toutefois paraitre mineurs compte tenu du contexte très sensible dans la région avec l’existence de tensions multiples et de véritable risque de guerre qui pourrait enflammer le détroit d’Ormuz, ce que personne ne souhaiterait.

Au cours de ces dernières années, l’économie de Djibouti a subi une profonde transformation grâce à une augmentation des entrées des IDE – principalement de la Chine et des pays du CCG  dans les secteurs portuaires, du Bâtiment et du tourisme. Quels sont les secteurs et projets qui offrent les meilleures possibilités pour les investisseurs internationaux à l’avenir?

L’économie Djiboutienne a subi une transformation profonde ces dernières années et le chemin parcouru est significatif. Il traduit les efforts consentis par les autorités ainsi que la population pour sortir de la pauvreté et aller vers le développement. Le chemin reste encore long mais nous sommes confiants en nos atouts et nos forces. Pour cela, nous devons continuer d’assainir nos finances publiques et avoir un cadre macroéconomique sain.

Les réformes entreprises par le gouvernement ont permis d’encourager et de mieux canaliser les investissements privés et d’améliorer le climat des affaires en République de Djibouti comme le montre le bond spectaculaire réalisé par DJIBOUTI dans Doing Business. Ces réformes, couplées avec un environnement macroéconomique sain, ont déjà permis un accroissement quantitatif de l’offre financière sur la place de Djibouti avec un afflux de banques. A travers cela, c’est une libre concurrence au sein du secteur financier qui s’est instaurée pour nos concitoyens ainsi que pour l’ensemble des agents économiques résidents qui bénéficient directement des bienfaits d’une intermédiation financière accrue avec un desserrement du crédit à l’économie qui est en progression de 20% par an depuis ces dernières années.

Djibouti a bénéficié des investissements directs étrangers réalisés dans les secteurs touristiques et de la construction. Le partenariat développé avec la Chine et les pays du Golfe s’est avéré déterminant et révélateur pour les investissements directs étrangers et a mis en valeur les potentialités intérieures et les opportunités d’investissement en République de Djibouti.

Djibouti continue de bénéficier des investissements directs étrangers réalisés dans les domaines majeurs dans les secteurs portuaires, le Chemin de fer, le tourisme. Outre l’afflux des IDE, il convient de souligner l’important programme d’investissements publics mis en œuvre par le gouvernement ces dernières années qui a permis des investissements conséquents pour les secteurs sociaux et plus particulièrement dans le domaine de l’Education, de la santé et de l’eau. Hormis les secteurs sociaux, les infrastructures économiques ont également bénéficié des financements qui ont permis la mutation du visage de Djibouti avec l’amélioration et l’extension du réseau routier, du réseau d’assainissement, de l’habitat, du secteur des télécommunications et de l’énergie. Les secteurs porteurs pour l’avenir restent le développement des énergies renouvelables avec les importantes ressources géothermiques de Djibouti, l’éolien au Ghoubet et le solaire avec la société ENGIE, les activités portuaires, le Gaz avec la construction d’une zone industrielle à Damerjog. Un mégaprojet gazier est actuellement en cours entre la République de Djibouti et la République Fédérale d’Ethiopie avec la construction d’un pipeline qui devrait relier nos deux pays et la construction d’un terminal gazier et d’une usine de liquéfaction en République de Djibouti. Cet investissement colossal de 4 milliards de Dollars US se fera dans le cadre d’un PPP.

Je constate donc la confiance des investisseurs privés des pays du Golfe, de la Chine en la place de Djibouti mais aussi une reprise légère des investisseurs privés européens et je ne puis que les encourager à accélérer leurs investissements en République de Djibouti.

Ces deux derniers mois nous avons relevé que le Trésor a payé les salaires le 25 du mois, et même avant les festivités du 27 juin le mois dernier. Est-ce un effet de conjoncture ou bien le début d’une discipline que vous voulez vous imposer dans la durée?

Je me dois de vous préciser que lorsque le Président de la République nous a exposé la feuille de route de l’action gouvernementale, le renforcement de l’administration publique à travers la rigueur dans la gestion publique et l’obligation de rendre compte pour les commis de l’Etat ont été au centre des priorités.  Depuis ma prise de fonctions, nos efforts se sont focalisés sur le respect des engagements de l’Etat et plus particulièrement pour le point suscité et le paiement des émoluments des agents et cadres de l’Etat selon les délais prescrits. Il en va de  l’efficacité de l’action publique et surtout de préserver le bien-être de nos concitoyens. Nul ne peut minimiser les incidences des salaires payés à temps sur le mode et train de vie des foyers djiboutiens et, par ricochet, sur l’économie nationale à travers l’argent injecté.

Il s’agit nullement d’une action de circonstance et ponctuelle mais d’une discipline que nous voulons inscrire dans la durée. Nous savons tous que l’Etat, de par l’immensité des besoins, a nombre de priorités et il a également des obligations qu’il se doit de respecter.