« Après la décennie des IDE, il faudra décréter la décennie de l’Entrepreneuriat  à Djibouti »

 Expert associé au cabinet de conseil en management Ernst et Young, Mounir Ghazali, a présenté un « diagnostic sur la stratégie nationale de promotion des investissements » lors d’un atelier organisé par l’ANPI, en présence de cadres des secteurs public, privé et des institutions financières de la place. L’occasion pour nous de faire le point avec lui sur les forces et les faiblesses de notre stratégie nationale et avoir ses recommandations.

La Nation : Lors de votre exposé sur les forces et les faiblesses de la stratégie nationale de promotion des investissements, vous avez mis en lumière la forte présence digitale de notre pays. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Mounir GHAZALI : Absolument, une analyse poussée et un examen condensé de « Big Data », données internet, nous a permis de constater la forte présence de Djibouti dans des médias spécialisés qui traitent d’économie et d’investissements. Il s’agissait notamment d’articles et des échanges sur des forums spécialisés sur les dynamiques économiques et les investissements. Cela démontre que la communauté d’affaires internationale se tient informée sur les évolutions du marché et du climat des affaires à Djibouti. Comparativement, le Sénégal et la Tanzanie sont 2 à 3 fois moins évoqués dans ces sites spécialisés. Et le plus impressionnant, c’est aux USA, en France, au Royaume Unie ou en Arabie Saoudite que Djibouti se retrouve au cœur des discussions et des articles dans ces sites spécialisés.

Quelles sont les tendances les plus notables de ces investissements ?

Sur la période allant de 2010 à 2017, on constate que plus de 1.7 Milliards de Dollars US ont été injecté dans l’économie sous forme d’investissements privés aussi bien des IDE (investissements directs étrangers) pour les 2/3 que des investissements locaux pour le tiers restant. Evidemment, les investissements publics sous forme de prêts concessionnels contractés auprès de la Chine pour des projets structurants ne sont pas comptabilisés.  Ces investissements privés vont vers les secteurs tertiaires et notamment le commerce et les services, mais aussi dans les industries légères et manufacturières. Ces programmes d’investissement ont généré plus de 4000 emplois permanents  pour la population locale et drainé ainsi un capital d’environ 11 milliards FDJ de salaire brut dont 2,2 milliards au titre de l’Impôt sur le Traitement et Salaire(ITS) et de charges sociales à la CNSS, sur une année révolue. 

Quelles recommandations faites-vous dès lors ?

L’atelier de restitution du diagnostic de l’existant nous a permis de faire certaines recommandations. Il s’agissait d’abord de  faire converger les investissements vers certains secteurs jugés prioritaires afin de faire émerger un secteur privé dynamique et impliqué dans cet élan. Ce secteur privé local doit se focaliser sur la transformation des produits de grande consommation comme l’agroalimentaire ou le vestimentaire afin de réduire la dépendance aux importations de ces produits de première nécessité. La seconde priorité c’est de faire davantage de marketing direct et tirer le meilleur avantage de la position de hub stratégique de Djibouti. En clair, Djibouti doit tirer profit de la fibre optique et des câbles sous marins et le Big Data qui transite par ici. Il faut aussi renforcer le secteur du tourisme et pour cela l’on doit attirer des investisseurs capables de renforcer les infrastructures nécessaires comme les routes, les hôtels, l’industrie des loisirs. Il faut donc attirer des investisseurs stratégiques, des multinationales et des grandes enseignes ou des marques de prestiges qui vont apporter leur crédibilité et asseoir l’image de marque de la République de Djibouti sur le marché mondial. A ce titre, l’ANPI et les autorités compétentes se sont fixés des objectifs précis.

Lesquels par exemple ?

Il s’agit d’attirer 25 investisseurs stratégiques d’ici à 2024, c’est-à-dire 1 investisseur stratégique chaque année pour injecter des fonds dans chacun des 5 secteurs névralgiques identifiés. Aussi, l’ANPI doit jouer un rôle plus important aussi bien dans la facilitation des procédures administratives et le marketing direct. Mais, l’agence doit faire du ‘LEAD GENERATION’ en visant une liste d’investisseurs stratégiques et en les démarchant à travers une prise de contact direct et du marketing renforcé et du BENCHMARKING, c’est-à-dire en mettant l’accent sur les avantages comparatifs de la destination Djibouti. Le gouvernement doit aussi jouer un rôle en faisant du Lobbying gouvernemental un peu à l’image du Business to Business (B to B) qui doit se transformer en  du Government to Government (G to G).

Peut-on parler dès lors d’un indispensable changement de paradigme pour une implication responsable de tous les acteurs ?  

Absolument, il faudra nécessairement faire de l’intelligence économique et préparer le développement du climat des affaires en impliquant l’ensemble des acteurs des secteurs clés qu’ils soient du public ou du privé mais aussi des institutions financières. Un constat simple sur le niveau entrepreneurial à Djibouti appelle en soi à ce changement. Aujourd’hui, l’on compte environ 4000 entreprises souscrites sur le rôle des patentes à Djibouti, lorsque l’on rapporte ce chiffre au 1 millions d’habitants, cela représente quelque chose comme 0.004%. C’est assez dérisoire, lorsque l’on compare ces chiffres avec le Sénégal où ce ratio en est à 5% pour une population bien plus importante, ou aux îles Maurice où le ratio est à 16%. D’où l’importance de relever substantiellement ces statistiques. Aussi, les 10 prochaines années doivent être décrétées « Décennie de l’Entrepreneuriat » où la libre entreprise doit être consacrée dans tous les domaines clés. D’ores et déjà, un écosystème qui favorise l’entreprenariat commence à se mettre en place mais il doit être renforcé afin que l’on puisse apparaitre des Capital-risqueurs qui soient capable d’injecter des capitaux et des participations dans des entreprises non cotées et qui n’ont pas encore trouvé leur point d’équilibre. Pour cela, un cadre légal devra être mis en place afin de faire émerger des acteurs nationaux capables de prendre des participations dans les investissements locaux. Il faudra donc légiférer et créer un environnement propice au développement de SICAR (société d’investissements au capital à risque). Ainsi seulement, la prochaine décennie sera celle de l’entrepreneuriat pour capitaliser sur les réalisations de la dernière décennie qui fut celle des investissements directs étrangers ayant permis le déploiement d’importantes infrastructures et les projets structurants.

Propos recueillis par MAS