« Le ministère des Affaires Sociales et des Solidarités a fourni de grands efforts pour implanter dans les régions des projets sociaux et des programmes d’activités génératrices de revenus »

Dans un entretien exclusif accordé à notre journal, la ministre des affaires sociales et des solidarités, Mouna Osman Aden fait un compte rendu de l’édition 2021 de la semaine nationale de l’action sociale organisée par son département ministériel en collaboration avec le secrétariat d’état à la décentralisation (SED). La ministre Mouna Osman Aden dresse également un bilan des activités de son département ministériel et de leur évolution. Entretien.

La Nation : Madame la ministre, vous venez de clôturer la semaine nationale de l’action sociale qui est devenue au fil des ans un rendez-vous annuel pour faire le point sur les réalisations de vos services. Quelles conclusions tirez-vous de cette semaine dont les activités se sont déroulées dans les régions de l’intérieur ?

Mouna Osman Aden : La Semaine Nationale de l’Action Sociale constitue le rendez-vous de début de l’année, à travers lequel nous présentons, évaluons et mettons également en perspective les stratégies, les programmes et les projets réalisés dans le domaine du développement social.

Co-organisée avec le Secrétariat d’Etat à la Décentralisation, l’édition 2021 de la Semaine Nationale de l’Action Sociale qui s’est achevée en début février dernier avait pour thème «Vers une société plus résiliente». Elle avait une importance toute particulière, en raison des crises qui ont non seulement fortement impacté la situation économique de nos concitoyens, mais qui ont également perturbé le déroulement normal de notre politique sociale nationale. Il s’agit donc pour nous de mettre en place une société plus résiliente et d’assurer le suivi des doléances des populations exprimées lors de la tournée du président de la république dans les régions de l’intérieur, de discuter avec les communautés de certaines localités de leurs besoins particuliers en développement et notamment en services sociaux essentiels et de lancer à l’occasion de nouveaux projets d’inclusion et d’autonomisation des populations en situation de fragilité.

Pour coordonner les interventions de l’Etat avec les autorités régionales et locales, une forte délégation conduite par moi-même et le Secrétaire d’état de la Décentralisation (SED), accompagnée de nos collègues de l’intérieur et de la santé, s’est rendue dans le cadre de cette semaine nationale, dans les localités et les villes chefs-lieux des régions de l’intérieur qui ont toutes bénéficié des interventions de l’Etat.

Parmi ces interventions, je rappellerais ici que l’année 2020 a vu l’extension du nombre de ménages bénéficiaires de l’allocation du Programme National de Solidarité Famille dans le milieu rural. Ces ménages sont aujourd’hui au nombre de 8 362 auxquels s’ajouteront incessamment 2000 ménages. Dans le milieu urbain, 4000 ménages bénéficient du Programme National de Solidarité Famille.

Au niveau du Programme d’Assistance Sociale Santé, autre programme d’envergure nationale, l’effectif des bénéficiaires vivant en milieu rural est passé à 14 452 ménages, soit 37 470 individus.

Le programme ASERI (assistance aux étudiants des régions intérieures) qui avait débuté officiellement le 16 décembre 2019, en collaboration avec l’université, a bénéficié durant l’année scolaire 2019/2020 à un nombre important d’étudiants, soit 2083 étudiants.

Ainsi, comme nous luttons contre les inégalités dès le plus jeune âge, nous nous employons à réduire les disparités entre les régions rurales et les centres urbains.

Dans ce contexte, outre les infrastructures sanitaires et éducatives, le ministère des Affaires Sociales et des Solidarités a fourni de grands efforts pour implanter dans les régions des projets sociaux et des programmes d’activités génératrices de revenus.

De plus, le travail en commun entre les institutionnels, la société civile et les institutions internationales permet d’évaluer sur un mode pluriel les réalisations des Pouvoirs Publics et de proposer des solutions durables et coordonnées pour surmonter les barrières d’accès aux services sociaux essentiels dans le monde rural.

Depuis ces dernières années, en effet, la politique sociale est passée d’une approche minimaliste de la solidarité à une solidarité au travers de l’ensemble de la société entre générations, entre communautés, entre hommes et femmes et entre régions. L’Etat joue à ce niveau un rôle d’encadrement qui se manifeste, depuis 2019, par l’adoption d’une stratégie nationale de protection sociale comprenant un Socle de droits et de garanties couvrant la population dans une logique de cycle de vie et par la mise en place, depuis 2016, d’un Département de la Décentralisation dont la mission tend à promouvoir le développement régional.

D’ailleurs, l’essentiel de notre activité dans les régions, au cours de la semaine nationale de l’action sociale, a été focalisé sur le suivi des infrastructures sociales et marchandes réalisées par l’ADDS et sur les efforts fournis en matière de renforcement des capacités.

Il convient d’indiquer ici que la réalisation des infrastructures sociales et marchandes a profité, dans le cadre des travaux à haute intensité de main d’œuvre (HIMO), à 671 820 hommes/jours. En outre, le nombre de bénéficiaires formés dans les compétences liées au travail (artisanat, maçonnerie, ouvriers etc.) est de 2 500.

En outre, et à titre d’exemple, le nombre de bénéficiaires directs de l’éclairage public est à ce jour de 4970, le nombre de ménages mis en conformité et raccordés à l’électricité est de 522 et 41 768 personnes bénéficient de la centrale solaire de Ali Addeh.

La Nation : Madame la ministre, l’année passée a été marquée par diverses calamités dont notamment la pandémie de la COVID-19 et l’invasion des criquets pèlerins. Quelle a été la stratégie adoptée par notre gouvernement pour éviter un surcroît des populations vulnérables ?

MOA : Une stratégie de réponse sociale a été rapidement mise en place pour faire face à l’impact de la pandémie. Ses principales composantes étaient les suivantes :

La mobilisation des partenaires. Un travail préliminaire de préparation et d’organisation a été fourni dans le cadre du groupe de travail du secteur social composé, outre le ministère des Affaires Sociales et des Solidarités, du secrétariat d’Etat chargé de la Décentralisation, des ministères du Travail, du Commerce, de l’ANPH et de l’UNFD. Les partenaires techniques et financiers qui ont apporté leur appui étaient essentiellement la Banque Mondiale, la Banque Islamique de Développement, le PNUD, le HCR, l’UNICEF et l’Organisation Internationale du Travail.

La continuité des transferts monétaires habituels. Dans le souci d’assurer la continuité de ses prestations habituelles, le ministère avait accéléré la distribution des transferts monétaires pour les 12 362 ménages bénéficiaires des programmes habituels d’assistance du MASS.

La mise en place d’un réseau d’approvisionnement. Identification et sélection d’un réseau de commerçants pour l’approvisionnement des bénéficiaires dans les communes de Boulaos (11 boutiques) et de Balbala (23 boutiques) avec l’appui du ministère du Commerce.

La mobilisation sociale. Le Ministère des Affaires Sociales et des Solidarités a mobilisé 150 travailleurs sociaux pour assurer la mise en place, la distribution et le suivi du programme et mise en place d’un mécanisme de gestion des plaintes ainsi que les réseaux et leaders communautaires. 

La prévention sanitaire. Formation de l’ensemble du personnel du Ministère des Affaires Sociales et des Solidarités sur les mesures de prévention sanitaire et de distanciation sociale.

La mise en place d’un dispositif de lavage des mains coordonné par le secrétariat d’Etat chargé de la Décentralisation sur tous les sites (devant les boutiques et au sein des quartiers).

La police nationale a apporté, pour sa part, son appui pour le respect de la distanciation sociale et la sécurité.

Grâce à cette mobilisation, et grâce également au ciblage rapide des bénéficiaires permis par le Registre social national dans sa majorité et par les leaders communautaires, il a été possible d’assurer la sécurité alimentaire au profit des 65000 ménages ciblés. Le  gouvernement est même allé au-delà de sa cible en couvrant plus de 71 079 ménages au niveau national. L’assistance en matière alimentaire continue encore aux niveaux urbain et rural.

La Nation : Pouvez-vous nous donner des éclairages sur les progrès réalisés ces dernières années  par notre pays dans le domaine de la gouvernance sociale ?

MOA : La gouvernance sociale se veut être le reflet des grandes orientations sociales du pays contenues dans la Vision 2035. Comme l’objectif premier consiste à lutter contre la pauvreté, le traitement des problématiques sociales combine à la fois les programmes sur les court, moyen et long termes.

Sur le court terme, et compte non tenu des aides accordées dans le cadre de l’assistance anti-covid19, l’année 2020 a vu 8816 familles bénéficier d’aides ponctuelles dispensées sous forme de vivres (4150), de viande sacrificielle pour l’Aïd El Idha (4266), aides à l’achat de médicaments, de fauteuils roulants et d’habits (400 familles ont bénéficié d’habits pour enfants pour l’Aïd El Idha). 580 ménages avaient bénéficié d’un logement décent à travers la Fondation « Droit au Logement » au cours du premier semestre de la même année.

Parallèlement, nous avons toujours conduit notre politique sociale en combinant les réponses aux chocs et aux crises avec une approche d’inclusion socio-économique permettant à nos compatriotes les plus fragiles de compter sur leurs efforts et leur savoir-faire propre pour vivre avec autonomie et dignité.

Dans ce cadre, nous avons toujours œuvré à assurer la durabilité des progrès enclenchés.

Dans un monde en mutation constante, et même si nous sommes fiers de nos traditions d’entraide et de solidarité et comptons toujours sur elles pour leur impact sur la société, nous avons choisi aussi de promouvoir au maximum une culture de la gouvernance de la chose sociale en phase avec notre époque.

Ainsi, en termes d’instruments d’aide à la décision, Djibouti dispose aujourd’hui du Registre Social national qui permet un choix juste et équitable des bénéficiaires de l’intervention de l’Etat, qu’elle soit accordée à court ou à long terme. Nous disposons également d’un corps de travailleurs sociaux qui déploie un travail de proximité, à travers 12 guichets sociaux, mais également à travers ses visites de terrain et ses enquêtes documentées qui vont alimenter le Registre Social National.

Du reste, c’est grâce à ces moyens humains et ces instruments de gestion, que nous pouvons déployer aujourd’hui des stratégies et programmes d’envergure nationale.

La première de ces stratégies sociales est notre stratégie nationale de protection sociale. Elle préconise la mise en œuvre d’un ensemble de garanties ou droits que l’Etat prendra en charge pour assurer une protection sociale durable aux plus démunis de nos compatriotes. Il s’agit de leur assurer la sécurité alimentaire, de garantir un revenu aux enfants et à leurs mères, de doter les personnes âgées et les personnes handicapées d’allocations régulières leur assurant un minimum de vie décente.

Cette stratégie qui épouse tout le cycle de vie est soutenue par des mesures d’accompagnement aidant les ménages à s’assurer une sortie définitive de la pauvreté. La loi sur l’économie sociale et solidaire, promulguée en 2019, rentre, pour sa part, dans le cadre de cet objectif national, de même que le développement de la micro-finance, la promotion des coopératives et bientôt la mise en place des caisses de résilience fondées sur des approches communautaires et de solidarité.

Un autre élément de la gouvernance sociale qui me fait plaisir et qui se confirme de plus en plus est que les priorités d’intervention, les projets à mettre en œuvre et les bénéficiaires sont le choix des communautés concernées. Ce  développement construit par la communauté (DCC) est un élément de démocratie locale dont notre pays peut être fier.

L’Etat a tout fait pour l’encourager. Ainsi le nombre de ménages sensibilisés à l’approche d’investissement communautaire a atteint 16 757, soit 50 271 personnes environ. Le nombre de comités constitués est de 50 et le nombre des membres des comités de développement local est de 619.

En outre, 205 associations ont été financées par le fonds de développement communautaire. Ces financements ont profité à 57 519 bénéficiaires.

La Nation : En ce qui concerne les perspectives d’avenir du projet mondial sur le capital humain dont vous êtes le point focal national. Quels sont les projets prévus dans ce domaine?

MOA : Depuis son adhésion à l’initiative de la Banque Mondiale sur le développement du capital humain en avril 2019, notre pays n’a pas cessé de travailler pour l’élaboration d’un plan national pour le développement du capital humain. Ce plan sera suivi et évalué tous les deux ans et nous sommes déterminés à inscrire l’indice qui en découlera parmi les plus performants.

Cet objectif n’est pas une vue de l’esprit. Nos réalisations plaident en sa faveur.

En effet, d’abord notre stratégie nationale de protection sociale vise en premier à lutter contre l’insécurité alimentaire auprès des mères enceintes et allaitantes, auprès des bébés pendant les 1000 premiers jours et auprès des enfants et adolescents. Ce faisant, nous permettrons à notre pays d’éviter la mortalité maternelle et infantile et de disposer d’une population jeune en bonne santé et avec une espérance de vie plus élevée.

D’autre part, Djibouti a fourni des efforts tangibles pour construire les logements sociaux, promouvoir l’éducation et atteindre la parité filles/garçons au primaire et au secondaire. Les parcours de formation ont été diversifiés pour atteindre, hors le circuit de l’éducation nationale, les jeunes appelés à disposer du minimum de qualifications pour s’adonner à des activités génératrices de revenus. En outre, un effort important est déployé en faveur des programmes d’alphabétisation, avec prés de 7000 bénéficiaires pour la seule année 2020.

Comme l’a indiqué le Chef de l’Etat récemment, la lutte contre la pauvreté nous a permis de diminuer la pauvreté multidimensionnelle de 15% au cours des huit dernières années. Le PIB par habitant a augmenté de 10% au cours de la même période.

En outre, l’Etat assure dans le cadre de son programme phare de transferts des revenus, le PNSF, des allocations régulières à 12 362 ménages (qui seront incessamment rejoints par 2000 ménages supplémentaires actuellement en phase d’enrôlement biométrique)) sur une cible de 19 800 ménages en situation d’extrême pauvreté. Grâce au Programme d’Assurance Sociale Santé (PASS), 27 978 ménages bénéficient actuellement des soins médicaux gratuits, soit 75 224 individus dont 1099 personnes à besoins spéciaux.

La couverture des réfugiés atteindra 12 500 au cours de la nouvelle année.

Au cours du forum organisé conjointement avec la Banque Mondiale les 2 et 3 décembre dernier, nous avions souligné qu’aider la population à consolider sa résilience est certes un objectif du présent que l’Etat est en train de maîtriser, mais  que notre objectif tout autant stratégique est de construire un capital humain djiboutien ouvert sur l’avenir et capable d’en relever les défis.

La Nation : Quel est l’apport des organisations de la société civile dans les activités sociales ?

MOA : Nous avons pu, en un temps record, disposer d’un ensemble de travailleurs sociaux à qui nous avons accordé une formation de deux ans pour en faire des intervenants sociaux professionnels. Ces travailleurs ont toujours été en première ligne dans l’activité sociale normale mais également lors des chocs et des crises ayant un impact sur la population. Mais leur seule intervention reste insuffisante dans le champ social.

En effet, si la contribution qu’ils apportent au développement de la résilience des personnes, des ménages et des communautés face aux risques et catastrophes est louable, elle est également fonction de la façon dont les organisations de la société civile prennent en charge les dynamiques sociales.

Les organisations de la société civile ont un rôle capital de soutien aux efforts de l’Etat en raison de leur capacité d’adaptation, de leur connaissance du terrain et de leur capacité à travailler dans des contextes de proximité avec la population.

J’aimerais ici décerner une mention spéciale à l’UNFD et à sa Présidente la Première Dame de Djibouti en qui nous avons toujours trouvé un partenaire toujours disposé à nous prêter main forte et à faire montre de savoir- faire et de professionnalisme dans la gestion des responsabilités qui lui incombent dans nos projets de développement social. Je m’en veux pour preuve, entre autres, la campagne de sensibilisation aux pratiques sociales essentielles menée avec réussite en coopération avec l’UNICEF.

La Nation : En ces temps de pandémie, pensez-vous que Djibouti présentera un bilan positif en termes de réalisation des Objectifs de Développement Durable (ODD) ?

MOA : Nous avons souvent démontré la grande convergence entre les objectifs stratégiques de la « Vision 2035 » et les Objectifs de Développement Durable. Pour leur part, les différents axes de la stratégie nationale de protection sociale croisent largement les objectifs de développement durable des Nations Unies.

Si nous ajoutons à ces synergies la ferme volonté politique du Président de la République d’impulser au progrès social le même élan connu par le développement économique, nous sommes en droit d’être optimistes quant à la capacité de notre pays à obtenir des résultats avancés en termes d’Objectifs de Développement Durable. D’ailleurs, nous présenterons bientôt le coût jusqu’en 2030 des garanties de notre Socle national de protection sociale grâce auquel nous serons parmi les pays en mesure d’atteindre une bonne part des Objectifs de Développement Durable.

La Nation : Nous sommes à la veille d’un quinquennat que le Chef de l’Etat a voulu consacrer aux jeunes. Quel sera l’apport de votre département ministériel dans ce domaine et quel message voulez-vous adresser aux jeunes ?

MOA : Les jeunes sont les forces vives de notre Nation. Ce que nous entreprenons aujourd’hui en leur faveur en fera les futurs et dignes dépositaires des valeurs et des constituants de notre civilisation.

Récemment, le Chef de l’Etat avait déclaré qu’il envisageait de tripler le revenu par habitant d’ici quinze ans et que le bien-être social doit connaître le même élan que notre croissance économique. L’affirmation de ces objectifs émane de sa volonté d’offrir à la jeunesse djiboutienne les conditions d’un bien-être qu’ils sont en droit d’attendre d’un pays, le leur, qui réalise des taux de croissance économique plus qu’honorables.

En outre, ces dernières années ont vu se mettre en place un cadre juridique moderne relatif à l’obligation de l’éducation jusqu’à l’âge de 16 ans, des dispositions réglementaires favorables à l’adaptation de l’enseignement aux besoins du marché de l’emploi, la multiplication des parcours de formation hors les formations à l’école et l’institution de l’assurance maladie universelle.

Je voudrais dire également que les projets pour une digitalisation de nos activités dans un horizon proche répondent entièrement à l’effervescence positive perceptible chez les jeunes et leurs associations et qui montre leur conscience quant à la nécessaire adoption des TIC pour aborder l’avenir avec les meilleurs atouts.

Enfin, il est important pour les jeunes d’être conscients que la stabilité dont jouit notre pays, les objectifs de développement de ses capacités de croissance et de développement et les solidarités qui s’affirment de jour en jour dans notre société sont autant d’atouts qui doivent nourrir leurs ambitions et leur foi en l’avenir.