Mme Ismahan Mahamoud, Première Présidente de la Cour des Comptes, est une de ces Djiboutiennes qui forcent le respect par leur professionnalisme, leur sens de la responsabilité mais aussi le dévouement à la tâche et du travail bien fait. Nommée le 16 janvier 2017, cela fait deux ans déjà qu’elle dirige cette institution dont elle veut accentuer les contributions au renforcement de la bonne gouvernance. Sous sa houlette, la Cour des Comptes entend remplir son mandat en veillant au respect de la légalité, et des exigences de l’efficience dans la gestion des fonds publics. ENTRETIEN.
« JE FERAI DE MON MIEUX POUR QUE LA COUR PUISSE JOUER PLEINEMENT SON RÔLE POUR ASSURER LE BON EMPLOI DES DENIERS PUBLICS, QU’ELLE SOIT UNE INSTITUTION CRÉDIBLE ET EFFICACE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT DE LA NATION »
L’institution que vous dirigez joue un rôle important dans la gestion efficiente des deniers
publics. Êtes-vous satisfaite du travail qu’elle a accompli et de la performance de la Cour des Comptes ?
Satisfaite c’est trop dire. C’est un idéal ! Pour être satisfaite, il faut déjà accomplir un travail consistant, parvenir à couvrir le périmètre de contrôle fixé par la Loi, concrétiser la mission d’apurement des comptes qui est le premier mandat de la juridiction financière selon la Constitution. Il faut souligner que le mandat de la Cour des Comptes est bien large, la typologie de contrôle très variée. En plus, la matière soumise à l’appréciation de la Cour est relativement complexe : l’évolution de la gestion des finances publiques, la modernisation de l’administration et les innovations en matière de formulation de politique publique sont autant des questions qui influencent l’exercice du mandat d’une Institution Supérieure de Contrôle des Finances Publiques (ISC). Alors pour garantir sa pertinence, et assumer ses différents rôles, une ISC est constamment en chantier pour être à la hauteur de sa mission.
Pouvez-vous être plus explicite là-dessus ?
Depuis ces deux dernières années où nous sommes munis d’une nouvelle loi qui conforte l’indépendance, les modes opératoires de la juridiction d’une part et une forte volonté politique d’autre part, nous sommes déjà bien armés. Ce qui nous permet d’être très optimistes. Le fait d’avoir publié deux rapports publics partagés avec le grand public qui ont touché du doigt des questions d’importance sur l’organisation et la gestion des deniers publics de notre pays est déjà une avancée pour faire reconnaître le travail accompli par la juridiction financière. Si ces efforts sont reconnus par les parties prenantes, c’est déjà un encouragement. Cela dit, il y a encore beaucoup à faire. En tant que cheffe de la juridiction, je ferai de mon mieux pour que la Cour puisse jouer pleinement son rôle pour assurer le bon emploi des deniers publics, qu’elle soit une Institution forte, crédible, efficace et au service du développement de la Nation. Notre objectif premier est de d’appliquer et faire appliquer la loi en matière de gestion des affaires de l’Etat. Il faut dire à ce sujet, que le dispositif juridique en place à Djibouti est de haut niveau pour garantir la sauvegarde des deniers publics. La pleine application demeure un défi majeur.
Est-ce que votre rôle se limite à l’audit des finances publiques ou bien disposez-vous de prérogatives vous permettant de poursuivre les responsables en cas de constatations de malversations ?
Votre question me renvoie à la Loi portant sur l’organisation et le fonctionnement de la Cour des comptes. Celle-ci précise que la Cour a un double pouvoir : un pouvoir de juridiction et un pouvoir de contrôle. Quand on fait de l’audit, on utilise le deuxième pouvoir, celui de contrôle. Le contrôle permet de décortiquer les comptes, les politiques publiques, les systèmes et les pratiques de gestion en place, la gouvernance ou la gestion des entités publiques. Il permet de comprendre les situations, détecter les fraudes, les irrégularités, ou les mauvaises pratiques pour ainsi faire ressortir les faits qui sont susceptibles de redressement, ou de poursuite juridique. Le deuxième pouvoir de la cour est celui de juger et de prononcer des sanctions financières sans empiéter sur l’espace réservé au droit pénal. Elle juge les comptes des comptables publics en cas de manquement aux règles du droit financier. En effet, le comptable public est le premier gardien de l’argent public. La Cour des Comptes peut aussi juger les personnes responsables d’infractions à la discipline budgétaire, dont notamment le non-respect des codes des marchés publics ou le manque de diligences pour faire prévaloir les intérêts supérieurs de l’Etat dans les transactions financières.
Est-ce qu’il y a eu des précédents en ce sens?
Des gens ont-ils été inquiétés pour des faits similaires ?
La procédure juridictionnelle est longue en ce sens qu’elle est écrite et contradictoire. Les échanges de pièces et de vues prennent plus de temps. Il faut alors donner aux magistrats le temps d’épuiser la procédure. La lenteur rime avec la bonne justice, une justice équitable où le droit de la contradiction est pleinement respecté.
Madame la première Présidente, votre institution a remis au Président de la République un rapport en 2017 et un autre en 2018. Avez-vous l’intention de remettre un autre cette année 2019 ?
En effet, c’est le minima que la Loi exige. La Cour des Comptes doit chaque année remettre au chef de l’Etat dans un premier temps, un rapport général relevant les principales anomalies et faiblesses constatées au cours de l’année écoulée. Puisque c’est une exigence de la loi, nous devons se conformer à la loi. Nous y travaillons à pied d’oeuvre pour publier cette année un troisième rapport, Inch Allah.
Grosso modo, c’est quoi la teneur du rapport?
La teneur du rapport s’inscrit pleinement dans les prérogatives de la Cour des Comptes. Il y un chapitre spécifique qui comporte le regard d’ensemble sur l’exécution du budget de l’Etat de l’année écoulée. Le reste dépend de l’exécution du programme de contrôle de l’année. Les thématiques et les entités concernées sont déjà identifiées.
Y a-t-il des difficultés que vous rencontrez sur le terrain pour accomplir convenablement vos missions ?
Certes il y a des difficultés au quotidien, notamment lorsqu’on fait face à un manque de compréhension du fondement du contrôle. Néanmoins, ces difficultés ne sont pas de nature à nous empêcher de mener nos travaux de façon sereine.
Beaucoup d’intervenants opèrent dans le contrôle des finances publiques. Y a-t-il une coopération entre ces différentes institutions?
Il existe un bon nombre d’organes de contrôles dans notre pays comme vous le dites. Mais beaucoup c’est trop dire compte tenu de l’immensité du champ d’action et de la diversité des missions. En effet, il faut souligner que dans le cadre la bonne gouvernance financière, toute cette panoplie d’organes de contrôle et de lutte contre la corruption, chacun a sa place et un rôle clé à jouer. Me référant aux piliers de la lutte contre la corruption, les experts au niveau international, définissent onze à treize piliers fondamentaux pour lutter efficacement contre la corruption. Si vous comptez ces organes, on peut estimer être dans la norme au plan institutionnel. Concernant votre deuxième sous-question, des initiatives prises pour amorcer une coopération. Nous avons eu des échanges d’idées sans vraiment les concrétiser. Je dirais qu’il est grand temps de penser à mettre en place une stratégie nationale de lutte contre la corruption pour oeuvrer de façon cohérente et coordonnée.
Parlez-nous des perspectives d’avenir, dans quel sens la Cour des Comptes va-t-elle se développer ?
En termes de perspectives, conduire des contrôles qui relèvent des activités juridictionnelles pour répondre aux attentes du citoyen, améliorer sensiblement le taux de dépôt des comptes et fiabiliser les comptes publics est un premier terrain d’investigation. Il faut souligner que l’apurement des comptes n’est pas censé se conclure par des charges, il peut aussi se solder par une décharge, un quitus !
C’est-à-dire que la cour sera plus à même de poursuivre les responsables coupables de gabegie…
La Cour des Comptes n’étant pas une juridiction pénale, son rôle est de prononcer des sanctions financières et de demander à ces personnes qui ont exécuté des deniers publics de façon irrégulière de les reverser dans la caisse publique. Mais aussi, nous estimons qu’il y a lieu de disposer d’une communication plus accentuée envers les gestionnaires des deniers publics pour.
Que faut-il pour impulser une conversion aux vertus de la culture de la transparence chez nos compatriotes et autres responsables des deniers publics ?
Je dirai que beaucoup de nos justiciables ne comprennent pas le sens de la reddition des comptes.
Aussi, la pédagogie est de mise d’abord. L’information au citoyen est essentielle, enfin les sanctions contribuent énormément à l’efficacité de l’Institution qui au final se doit d’avoir le dernier mot en cas de gabegie avérée. Nous notons qu’Il y a beaucoup de laisser-aller, beaucoup de mauvaises compréhensions, de mauvaises appréciations et d’appréhensions. Et ça fait d’autant plus mal et une hémorragie continue des fonds publics.
Un mot pour conclure…
J’appellerais à plus sens de responsabilité, plus d’abnégation et plus de sérénité dans la gestion des finances publiques.
Propos Récueillis Par Kenedid Ibrahim Houssein