Parmi les grandes ambitions nationales récemment mises en œuvre, le projet « Zéro bidonville à Djibouti» se distingue à la fois par sa portée et son enjeu social crucial. Né d’une volonté politique affichée de requalifier l’habitat urbain, il vise à améliorer les conditions de vie des citoyens les plus précaires, tout en redonnant à la ville de Djibouti un visage digne de ses aspirations.

Disons-le d’emblée : l’intention est louable, urgente même. Qui ne rêverait pas d’une Djibouti affranchie de ses zones de misère où s’entassent des familles entières dans des constructions de fortune ? Au cœur même de la capitale, les anciens « quartiers indigènes », érigés durant la période coloniale, ne sont pas seulement une plaie esthétique. Ils constituent une fracture sociale béante. Conçus autrefois pour contenir plutôt que pour accueillir, l’habitat y est souvent vétuste, les infrastructures obsolètes et les services publics notoirement insuffisants.

À Balbala, en périphérie, les tôles ondulées font office de toit et les ruelles de caniveaux. Sans parler de l’accès aléatoire à l’eau et à l’électricité. Ces quartiers périphériques, nés dans les années 1980 de l’exode rural et de la croissance urbaine incontrôlée, sont devenus les refuges d’une population que la ville formelle a longtemps ignorée. Bref, les bidonvilles, ces zones de relégation urbaine, témoignent de notre échec collectif à répondre à l’exode rural, à l’immigration clandestine et à l’urbanisation galopante humaine.

Face à cette réalité, le projet gouvernemental « Zéro bidonville » frappe fort. Son objectif : en finir avec l’habitat précaire et urbaniser intelligemment pour offrir un cadre de vie décent à tous.

Mais pour éviter que l’écart soit vertigineux entre la promesse et sa réalisation, le projet prend en compte un certain nombre d’éléments. Tout d’abord, l’éradication des bidonvilles ne se fera pas sans une politique du logement capable de produire à grande échelle des habitations abordables pour les plus modestes. Car, par le passé, trop de projets de relogement, aussi vertueux étaient-ils sur le papier, ont buté sur la question cruciale de l’accessibilité financière. Chasser la pauvreté par bulldozer ne suffit pas ; encore faut-il que les familles puissent durablement s’installer ailleurs sans retomber dans une spirale d’endettement ou d’illégalité.

Le deuxième piège que les autorités entendent éviter est celui de la précipitation. La fin des bidonvilles ne se décrète pas par slogan ou à coup de décrets. Le risque, en voulant aller trop vite, est de recréer ailleurs des «guettos » éloignés des centres d’emplois, des services publics, des réseaux de transport… etc. La relocalisation ne doit pas être perçue comme un exil déguisé.

Enfin, un projet d’une telle ampleur exige une gouvernance transparente et participative. Les habitants des quartiers ciblés ne peuvent être de simples spectateurs de leur propre destin. Leur implication est une condition sine qua non de réussite. Notre histoire urbaine regorge de plans bien intentionnés avortés faute d’avoir écouté ceux qui en étaient les premiers concernés.

Le projet « Zéro bidonville » ne doit donc pas être vu comme une croisade contre les habitants des quartiers informels, mais comme un véritable pacte social fondé sur la justice et l’inclusion. C’est à ce prix que la ville de Djibouti pourra devenir ce qu’elle ambitionne d’être : une capitale où il fait bon vivre et non un territoire à deux vitesses.