Dans quelques jours, à Djibouti comme ailleurs dans le monde musulman, tous les yeux seront levés vers le ciel pour guetter le croissant lunaire. L’apparition de ce trait de lumière marque la fin du Ramadan et annonce l’Aïd El Fitr. Ce moment, à la fois attendu et solennel, clôt un mois d’effort spirituel, de maîtrise de soi et de communion. Mais au-delà des réjouissances, cette fête sacrée pose une question fondamentale : que reste-t-il de ce mois dans notre quotidien, une fois les tables garnies et les habits neufs rangés ?

En ce jour béni, les rues vibreront d’une joie spontanée, les maisons s’ouvriront en grand et les visages s’illumineront de ce sourire que seul procure le sentiment du devoir accompli. L’allégresse populaire, fruit d’un mois de privation et de prières, est sincère. Chacun, à sa manière, éprouvera cette fierté discrète d’avoir tenu bon et réussi l’examen. Mais dans les étreintes et les rires, il y aura aussi la trace d’un cheminement intérieur, silencieux mais profond.

Car si le Ramadan purifie les cœurs, l’Aïd, elle, révèle la société. Elle nous confronte aux choix et priorités que nous prenons dans la vie. Elle teste notre capacité à traduire la piété en justice, la solidarité en action et la prière en transformation sociale. Qu’avons-nous appris de la faim endurée de longues heures, sinon qu’elle est le lot de trop de nos concitoyens, bien au-delà du coucher du soleil ? Que vaut notre aumône, si elle ne s’accompagne pas d’un véritable sursaut collectif pour réduire les inégalités criantes ?

L’Aïd El Fitr n’est pas une fin, mais un seuil. Un seuil qui sépare le mois du jeûne du reste de l’année, celui qui oppose l’introspection individuelle au défi du vivre-ensemble. Or, vivre ensemble exige plus que des vœux pieux. Cela exige de bâtir une société où la dignité n’est pas un luxe, mais un droit, où la solidarité ne soit pas épisodique, mais structurelle et inscrite dans nos choix collectifs.

Dans une époque marquée par toutes sortes de fractures – sociales, économiques, parfois même communautaires – l’esprit de l’Aïd devrait être une boussole. Il nous appelle à désarmer nos égoïsmes, à faire de l’autre un frère et non un ennemi, pour recoudre le tissu social quand il s’effiloche.

Oui, ce dimanche ou ce lundi, nous célébrerons l’Aïd. Mais le vrai défi commencera le lendemain. Saura-t-on faire vivre, dans nos actes et dans nos institutions, l’élan de fraternité que le Ramadan a tenté de semer en nous ? Ce sera là le véritable témoignage de notre foi. Le reste ne sera que folklore.