Aucun développement ne peut être envisagé dans l’économie nationale si les recettes douanières ne sont pas mobilisées de manière efficace. La contrebande est un fléau qui perdure dans les villes frontalières avec la république de Djibouti. Trafic de khat, tabac de chicha, cigarettes et autre trafic illicite de divers produits continuent d’affecter la qualité de vie des habitants et la sécurité économique du pays, contraignant la douane nationale à multiplier intensément le contrôle et accumuler les saisies pour enrayer ce trafic qui nuit à l’économie du pays.
La frontière est un point de passage obligatoire pour tous les trafiquants qui viennent de l’Ethiopie ou de la Somalie, ils empruntent l’itinéraire Guelileh-Djibouti où circulent plus de 10.000 voitures et camions par jour, traversant la ville d’Ali-Sabieh avec sa gare routière d’un départ tous les 30 mn jusqu’au Poste de contrôle de PK51 où les saisies de khat, drogues et autres stupéfiants sont quasi quotidiennes.
Pour M. Houssein, fonctionnaire au service de la Douane : « Rien que pour cette semaine, nous avons saisi 60 kg de résine de cannabis et 750 kg de khat, et c’est comme cela tous les jours. Lorsque ce n’est pas les camions poids lourds, on aborde des véhicules spécialement trafiqués pour la contrebande ».
Pour la douane, débusquer les trafiquants est un vrai défi car ces derniers s’avèrent souvent plus malins et rivalisent d’imagination pour échapper au contrôle.
Quant à M. Mahmoud, inspecteur des Douanes, il nous explique : « Traditionnellement, la douane remplit trois missions essentielles, la première qui est aussi la plus connue est la mission fiscale, des droits et taxes pour alimenter le budget de l’Etat. La seconde mission est économique, permet d’accompagner et de promouvoir l’industrie locale par la mise en application des textes, de manière à ce que les produits qui entrent sur notre territoire ne puisse pas faire de concurrence aux produits locaux, et la troisième mission correspond à la surveillance de nos aéroports, des ports et de nos frontières terrestres afin que les produits illicites ne rentrent pas dans le territoire »
La Douane de Djibouti tournée vers la modernisation dispose d’une vision de professionnalisation et de perfection dont le socle serait la bonne gouvernance par un esprit de loyauté assumé au service public. La douane nationale a une identité visuelle perceptible par son insigne, ses emblèmes, son slogan et ses galons (du simple grade de préposé au grade de commandant). Sa devise se décrit en trois mots Discipline-Solidarité-Efficacité, trois mots attachés à une palette de valeurs qui exige de la part des agents rigueur, expertise, crédibilité et responsabilité. Les règles de mise en conformité qui régissent les règlements de l’administration de douane sont la transparence, la loyauté et l’esprit d’équipe.
Selon ce contrôleur, « le douanier doit être loyal envers son administration, honnête envers lui-même, doit être rempli de probités et d’intégrité irréprochables ».
CONTREBANDE DE CIGARETTES. Au nord, Loyada, ville frontalière avec Djibouti où il n’existe aucune restriction spécifique avec une économie qui repose sur le négoce, les affaires et le commerce de toutes sortes produits à bon marché en raison de l’absence de TVA, nombreux sont les Djiboutiens qui s’empressent à y aller pour faire leur shopping (Décoration, préparatifs de mariage, textiles, meubles, voitures d’occasion…). Mais, c’est aussi une ville qui abrite un lot important de contrebandiers de cigarettes et de stupéfiants, ils s’y approvisionnent là-bas au quotidien, en raison du manque de taxe sur les produits, à l’exemple des cigarettes et tabac qui sont vendues qu’en cartouche à des prix défiant toute concurrence, soit trois fois moins chère qu’à Djibouti. Ils sont une centaine de jeunes âgés entre 20 et 30 à se livrer dans ce business illégal et extrêmement dangereux entre les frontières. C’est le cas de M. Adaweh, jeune contrebandier de 27ans qui nous dit : « Cela fait maintenant 4 ans que je fais ce trafic et j’entame plus de 5 kilomètres pour contourner les forces de l’Ordre et la douane, mais souvent la plupart d’entre nous se font interpellés suite aux vastes opérations incessantes déclenchées par les gardes-frontières ». Pour M. Eleyeh Rayaleh, chef de commune de Douda, circonscription de la Préfecture d’Arta : « Depuis la mise en place d’un poste de contrôle de la gendarmerie à Douda, une bonne partie de nos jeunes qui s’initient dans le trafic de cigarettes ont abandonné et se sont mis à d’autres occupations, le calvaire et l’angoisse du village n’existent pas aussi, merci au gouvernement ». Pour piéger les fraudeurs, douaniers et gendarmes installent des postes de fouille à l’entrée de Douda et à Nagad, un passage obligé pour les trafiquants et touristes, revenant souvent de Loyada avec des marchandises interdites à l’importation ou non déclarées.
Or, au cas où ces marchandises pénètrent à Djibouti, l’enquête se focalise sur plusieurs points de passage comme le marché de bétail, où se monnaye et se négocie l’écoulement du trafic clandestin de cigarettes ayant échappé à la surveillance des services de la douane. Parmi tous les produits saisis, les cigarettes viennent en première position.
M. Djama, boutiquier au Q7 bis, nous apprend que le mois où la police se met à fouiller toutes les boutiques et confisque tous nos stocks de cigarettes de contrebande, le prix de cigarettes flambent et sa consommation diminue, et cela n’est pas rentable pour nous, ajoute-t-il. La raison, c’est parce qu’au marché noir et informel, le paquet de cigarette est revendu 3 fois moins cher. L’expérience de la République de Djibouti en matière de lutte antitabac remonte en 1991 avec la prise d’un arrêté ministériel portant interdiction de fumer dans les hôpitaux et services sanitaires. En 2005, la République de Djibouti a ratifié la Convention-Cadre de l’OMS pour la Lutte Antitabac (CCLAT) puis a adopté en 2007 la loi n° Loi n°175/AN/07/5ème L portant organisation de la protection de la santé contre le tabagisme, portant réglementation de la production, de la commercialisation et de la consommation de cigarettes et autres produits du tabac en République de Djibouti. L’adoption d’une telle loi suivie de la prise d’un décret pour son application en 2009, ainsi que des arrêtés interministériels matérialisent l’engagement ferme des autorités djiboutiennes dans la lutte antitabac. Cette volonté s’est également traduite par la prise de mesures fiscales successives à travers les différentes lois de finances.
Lutte contre l’importation illégale du khat. Le service de lutte contre la fraude et l’unité frontalière douanière interceptent quotidiennement des quantités de khat en provenance de l’Ethiopie estimées à de millions de francs. Il y a cependant ceux qui tentent de traverser la frontière par la manière forte, ceux qui redoublent d’imagination pour dissimuler leur marchandise dans des véhicules entièrement trafiqués avec des caches aménagées échappant rarement à l’œil vigilante du douanier, et enfin ceux qui se font intercepter avec leur quantité importante de khat brûlé sous leurs yeux, puis déféré à la justice. Mais aujourd’hui, pour les trafiquants, il n’y a pas que le khat, la drogue et les cigarettes qui paraissent un marché juteux, on fait aussi transiter par les autoroutes de tas de marchandises non déclarées, telle que la contrebande de pierres et de métaux précieux, commerce de produits piratés et contrefaits, trafic d’êtres humains (immigrés) et les voitures de luxe volés dans les beaux quartiers de Djibouti destinés à être revendus dans les pays voisins.
En conclusion, le gouvernement en est conscient que pour lutter contre la contrebande et l’évasion fiscale, il faut mobiliser à l’appui d’énormes ressources techniques et des formations pour que les fonctionnaires des douanes soient capables d’utiliser des moyens technologiques pour détecter plus efficacement les schémas commerciaux illicites et, ainsi, mieux lutter contre la fraude transfrontalière et protéger les recettes publiques.
Saleh Ibrahim Rayaleh