Une enquête d’opinion réalisée dans 28 villes rappelle que l’efficacité des stratégies de lutte contre la pandémie dépend de l’adhésion des populations concernées.

Alors qu’un certain nombre de pays africains commencent à alléger les mesures d’exception prises pour lutter contre la pandémie liée au coronavirus, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC-Afrique) ont appelé, mardi 5 mai, à la prudence. Tout en affichant leur compréhension eu égard aux conséquences économiques et sociales désastreuses provoquées par le confinement pour les populations les plus vulnérables.

Ce dernier point, empiriquement observé, est confirmé par la publication, mardi, d’une enquête d’opinion réalisée dans 28 villes réparties dans 20 pays d’Afrique et intitulée « Répondre au Covid-19 en Afrique : utiliser les données pour trouver un équilibre ». Ce document a été réalisé par le Partnership for Evidence-Based Response to Covid-19 (PERC), un consortium d’entreprises privées (Ipsos, Forum économique mondial…) et d’organisations de santé, dont le CDC-Afrique et l’OMS. Il est notamment destiné à fournir des données et des conseils aux gouvernements africains « pour prendre des décisions éclairées, adapter les mesures locales à mesure que la pandémie et la perception du public évoluent, et atténuer les effets négatifs en se concentrant sur la protection des populations les plus vulnérables », expliquent les auteurs.

Manque d’informations suffisantes

L’efficacité des mesures de lutte contre la pandémie dépend en effet de l’adhésion des populations concernées. Intervenant, mardi, par visioconférence à l’occasion de la publication de l’étude, le directeur général du CDC-Afrique, John Nkengasong, a certes salué la rapidité avec laquelle les autorités des différents pays ont adopté des mesures de santé publique et sociales. « Elles ont permis de freiner la propagation rapide de l’infection à travers le continent », juge-t-il.

Mais « ce rapport met aussi en évidence les importantes lacunes en matière d’information sur le Covid-19 qui existent en Afrique et qui menacent les efforts de réponse », avertit Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique. Un tiers des personnes interrogées estiment en effet « ne pas disposer d’informations suffisantes sur le coronavirus, y compris sur la manière dont il se propage et sur la façon de s’en protéger », et plus de la moitié d’entre elles sont convaincues que l’absorption d’une boisson vitaminée protège de la contamination. Une part non négligeable est également opposée à la fermeture des marchés (30 %) et des lieux de culte (17 %).

« Lorsque les gens ont peu confiance en la réponse du gouvernement et des leaders des communautés concernées, les difficultés quotidiennes d’endurer une pandémie peuvent déclencher des violences, comme on l’a vu à plusieurs reprises au cours de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014-2015 », avertissent les auteurs. Or plus des deux tiers des répondants (69 %) estiment que « la nourriture et l’eau représenteraient un problème s’ils devaient rester à la maison pendant quatorze jours», et la moitié d’entre eux « seraient à court d’argent». Dans l’ensemble, 62 % des personnes interrogées jugent que la pandémie aura « un impact majeur sur leur pays » et 44 % la considèrent comme « une menace pour eux en tant que personnes ».

Le PERC invite donc les gouvernements à renforcer les systèmes de santé publique, mais également à surveiller l’impact des mesures sociales et à communiquer. « En utilisant les données disponibles, les gouvernements peuvent trouver le bon équilibre et adapter leurs politiques au contexte local », estime le PERC. « De nombreuses mesures préventives ont été prises ailleurs dans le monde, les gouvernements ne peuvent pas se fier aux conjectures ou à l’instinct pour combattre le Covid-19 », rappelle Darrell Bricker, directeur d’Ipsos Public Affairs.

« Un marathon et non un sprint »

A ce jour, et pour des raisons qui demeurent assez mystérieuses, le continent reste relativement épargné par l’épidémie, avec quelque 49 000 cas confirmés de coronavirus et près 2 000 morts à la date du 6 mai, contre près de 3,7 millions de malades et plus de 250 000 décès dans le monde. En résumé, l’Afrique, qui héberge 17 % de la population du globe, ne compterait que 1,3 % des malades et 0,8 % des morts.

Selon le PERC, la jeunesse de la population africaine et les mesures de prévention précoces prises par les Etats expliquent en partie la lenteur de la propagation de la maladie.

Une autre explication serait d’ordre comptable et moins rassurante : la forte sous-estimation du nombre de cas, qui serait en réalité « huit fois plus élevé ». « La réponse au virus est un marathon et non un sprint. Les pays doivent maintenant trouver un équilibre entre réduire la transmission et empêcher les perturbations sociales et économiques », ajoute le consortium. L’enjeu est de portée mondiale. « La lutte contre le Covid-19, conclut John Nkengasong, ne sera pas gagnée tant qu’il y aura encore des cas en Afrique, surtout sur un continent aussi vaste. »

Christophe Châtelot (Source : Le Monde Afrique)