Le 27 Juin 2022, la République de Djibouti fêtera le 45ème Anniversaire de son accession à l’Indépendance. Une indépendance, rappelons-le, acquise dans la douleur et la souffrance et malgré l’incertitude des premiers pas et la période d’apprentissage qui fut indispensable pour tenir debout et avancer, le pays a su écouter, apprendre et consolider ses acquis pour pouvoir assurer l’indispensable unité et l’incontournable paix. Ceci, grâce à des dirigeants qui ont su afficher une grande sagesse dans la prise de toutes les décisions et préférée renforcer l’égalité et la fraternité d’un peuple resté longtemps divisé. Depuis, beaucoup d’eaux ont passé sous les ponts. En effet, tout ce que nous vivons aujourd’hui, nous le devons à ces anciens qui ont eu l’intelligence de tourner la page des querelles coloniales et d’instaurer une paix solide et véritablement durable. Des hommes politiques qui, en réalisant de lourds sacrifices pour bâtir une Nation forte et un Etat sûr, sont entrés dans l’histoire pour la postérité. En avant goût de ce 45ème anniversaire, nous allons essayer de vous retracer modestement, l’histoire du pays en réalisant un léger survol, depuis ses premiers balbutiements à ce jour. En osant rectifier certains mensonges et instaurer les quelques vérités dont une partie commence à peine, de rattraper les mystifications semées par de hideux aventuriers. Jugez-en !!!

Dès l’ouverture du Canal de Suez, cette région de la Mer Rouge devint très convoitée par les puissances maritimes européennes. Mais ce raccourci extraordinaire, qui mène vers l’océan Indien et l’Extrême-Orient, était totalement dominé par les Britanniques. Une supériorité consolidée par l’invention de la machine à vapeur et la révolution industrielle. Grâce à cette avancée technologique, les navires de la première puissance maritime mondiale sillonnaient les mers permettant au Royaume-Unis, d’élargir son empire colonial déjà immense et de s’approprier ainsi, la plus grosse part du commerce international. Pour s’assurer le contrôle total de cette nouvelle voie maritime, ils vont donc s’installer respectivement au Yémen et au Somaliland,  réaliser une occupation stratégique de part et d’autre de la Mer Rouge et faire d’Aden, un incontournable port d’escale et le seul point de ravitaillement en charbon des bateaux.

Dans cette quête de domination et de profit, la France s’affiche comme étant le seul concurrent sérieux de la Grande Bretagne et reste, plus que jamais, son éternel adversaire. Cette concurrence va permettre à la France, de bâtir à son tour, un empire colonial à la mesure de ses ambitions et se tailler une part commerciale très conséquente. Britannique et  Français, qui dominent à eux deux plus de 80% de la planète, se partagent donc tous les marchés et amassent des richesses inestimables grâce au commerce et à l’exploitation des ressources naturelles des territoires conquis. Mais également, grâce aux trafics de tous genres et aux pillages culturels. Souvent ennemis, quelque fois associés, leur lutte reste sans merci et leur conflit éternel. Les éclaircis, même s’ils ont eu lieu, ne duraient pas longtemps. Jugeant cette concurrence française financièrement dangereuse et inacceptable, les Britanniques vont refuser d’assurer, en 1883,  le ravitaillement des bateaux français au port d’Aden. Cette décision perturba considérablement la navigation de la marine marchande française et de la marine de guerre à une époque où, la France déploie toute sa force pour protéger et défendre ses conquêtes d’Indochine.

Contraint de réaliser leur propre point de ravitaillement d’eau et de charbon, les français vont se rabattre sur le seul littoral maritime africain de la Mer Rouge libre de toute présence européenne et signer, en cette même année 1883, un traité de location avec les sultans Afars d’Obock. L’année suivante,  la France va dépêcher Léonce Lagarde et dix hommes de main sur les lieux, pour lancer la construction de quelques installations rudimentaires et un dépôt permettant d’assurer le ravitaillement en charbon de sa flotte.

Pour des problèmes de tirant d’eau et de vent, le représentant du gouvernement français va explorer tout le littoral du Golfe de Tadjourah et trouver sur sa rive sud, un lieu mieux adapté aux exigences navales recherchées et des points d’eau potable abondants et nourrissant en secret, de conquérir le marché Abyssin et Harrar, qui vient de tomber dans les mains de Ménélik.

Pour réussir ses différents projets, les prospecteurs français agiront en toute discrétion pour ne pas éveiller les soupçons britanniques et  s’installer en toute sécurité. Paris mandate alors Léonce Lagarde, fraîchement nommé commandant de la colonie d’Obock, pour négocier avec les Chefs coutumiers Issas, conduits par Guelleh Batal, grand-père du Président de la République. Et, c’est au mois de Mars 1885, qu’est signé le fameux traité d’Ambado autorisant à la France, de prendre pied sur cette partie du territoire et d’y construire, en toute légalité, les infrastructures nécessaires à ses besoins maritimes et autres. En échange, les Issas exigent la création d’un comptoir commercial capable de créer un débouché durable à ses nombreuses caravanes qui étaient l’unique moyen de transport pour ravitailler les marchés intérieurs.

En 1889, la France réussie à arracher du Royaume-Uni, la reconnaissance de sa Colonie d’Obock. Et c’est en 1892, après l’achèvement des premières installations sur le littoral sud du Golfe de Tadjourah, que Léonce Lagarde va effectuer le transfert de son administration vers un nouveau point d’escale qui sera désormais connu sous le nom Djibouti. Dans la même année, la France réussit une importante action diplomatique en demandant à la Grande Bretagne d’accepter ce nouveau territoire comme une extension de sa Colonie d’Obock. C’est après la signature de cet  accord, que les Britanniques vont réaliser l’actuel tracé de frontière qui définit les limites de ce futur territoire. Un territoire qui, en 1896, va désormais prendre le nom de Côte française des Somalis, avec Djibouti pour capitale. Les relations diplomatiques établies avec l’Ethiopie et signées entre le Roi Ménélik et Léonce Lagarde en 1894, accélérèrent la mise en place de ce nouveau statut du territoire qui disparaîtra des cartes en 1967.

Ayant négocié avec Ménélik, les traités qui aboutirent à l’octroi d’une concession d’exploitation à des entrepreneurs privés, la compagnie de Chemin de fer Impérial d’Ethiopie (CIE) est créée en 1896. Un an après, commenceront à Djibouti, les premiers travaux de pose des rails d’une ligne destinée à relier la CFS aux villes de Harar et d’Entotto (Addis-Abéba). Pour des raisons techniques liées au relief, les promoteurs du projet choisirons finalement Diré-Dawa où, la ligne arrivera en 1902. Cette même année, des difficultés financières sans issue, compliquées par une profonde mésentente entre français et éthiopiens sur des problèmes de dédouanement, vont faire échouer cette première concession. Mais la France, qui tient absolument de faire du Port de Djibouti le principal débouché de l’Ethiopie, s’implique davantage cette fois-ci et négocie la création d’une compagnie dénommée « Chemin de fer Franco-Ethiopien (CFÉ) ». Rassuré par la garantie financière du gouvernement français, Ménélek accorde en 1908, une nouvelle concession qui permettra de redémarrer les travaux de construction de la voie. Celle-ci atteignant, en 1917, la ville  d’Addis-Abéba. Une fois achevée, cette voie ferrée longue de 784 kilomètres, a largement contribué au développement des infrastructures portuaires, à la  croissance démographique et urbaine de la ville de Djibouti et à l’essor économique de la nouvelle colonie, car, le port charbonnier initial s’est développé très vite au rythme des activités  commerciales Éthiopiennes et des besoins de plus en plus accrus de la navigation coloniale. L’invasion et l’occupation Italienne de l’Éthiopie vont déclencher momentanément, une importante augmentation du trafic portuaire, multiplier les liaisons vers Addis-Abeba et créer une forte croissance économique à Djibouti entre 1936 et 1938. Le blocus de la marine britannique, déclenché par l’allégeance de l’administration locale au régime de Vichy, portera un coup de frein qui durera jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale. C’est durant ce blocus qu’apparurent les premiers soulèvements populaires et que naquît un fort sentiment anti colonial.

En effet, les britanniques ayant paralysé les principales voies d’acheminement des denrées alimentaires, l’administration coloniale expulsa de la ville les natifs du pays, qu’elle qualifiait de « bouches inutiles » afin de préserver son maigre stock alimentaire. Provoquant ainsi, une véritable famine et des centaines de mort parmi les femmes, les enfants et les personnes âgées.

Ce blocus prendra fin, une fois que tous les territoires de l’océan Indien furent libérés et passés du côté des Alliés. Enfin, Djibouti pouvait de nouveau jouer son rôle de port de transit à l’entrée de la Mer Rouge et de débouché naturel de l’Éthiopie. A la fin de la guerre, il faudra 10 ans de négociations avec l’Éthiopie pour que la frontière, à l’Est des lacs, soit tracée. Fixant définitivement les limites Nord, Est et Sud du territoire.

Malgré le retour de la paix et la reprise normale du cours de la vie, rien ne pourra plus être comme avant chez ceux, qu’on appelait les autochtones. Le blocus avait réveillé chez eux, un profond sentiment patriotique et une envie sincère de liberté. Ainsi naissaient, les premières idées embryonnaires en faveur de l’indépendance, avant même que le vent de libération qui soufflait ailleurs en Afrique, n’atteigne cette contrée. Ce sentiment va se développer, faire des émules et s’exprimer au grand jour pour être étouffé dans l’œuf en 1958.  En intégrant, la même année, la CFS aux Territoires d’Outre-mer (TOM), la France pensait l’éloigner de toute nouvelle tentative pour concrétiser cette indépendance qu’elle considérait comme étant un rêve. Mais, ce ne fut que partie remise !

Neuf ans après cette première déconvenue, qui déclenche à nouveau ce profond désir de liberté chez les patriotes. En effet, le Président français, se rendant en visite officielle en Ethiopie, décide de faire une escale de deux jours à Djibouti. Un énorme dispositif de sécurité, dépêché la veille de la métropole et composé essentiellement d’éléments de la Gendarmerie Mobile, fut mis en place de part et d’autre du parcours. La population locale était venue en masse pour accueillir le Général dans la liesse, pensait les responsables qui n’affichaient aucune inquiétude. Ni l’administration coloniale, ni la délégation présidentielle, ne s’attendait  voir cet accueil particulier que le peuple allait  réserver au président français. En ce début d’après-midi du 25 août 1966, des milliers d’hommes et de femmes s’étaient amassés, côtés quartiers populaires, le long du boulevard qui porte le nom du Général. Sans organisateurs, ni mots d’ordre apparent, l’attroupement s’est réalisé tout naturellement, dans le calme et la discipline.

Et derrière le véritable barrage humain formé par les gendarmes, tout le monde attendait le cortège officiel dans un silence qui semblait très rassurant. Soudain, comme par magie, des centaines de banderoles réclamant l’indépendance de la Côte Française des Somalis se déployèrent au fur et à mesure de l’évolution du présidentielle. Cette manifestation, qui avait pour seul but d’exprimer le désir de liberté de la population, se déroulait sans la moindre agitation, ni le moindre cri. Pourtant, elle fut sévèrement réprimée par toutes les forces présentes sur le parcours. Armées jusqu’aux dents, faisant usage de fusils automatiques et de mitraillettes, ils tirèrent à l’aveugle sur les manifestants, laissèrent derrière eux des centaines de morts et empêchèrent aux familles de récupérer les corps. Cette réaction inappropriée provoqua les manifestations de masse du 27 Mai, la terrible répression et la couvre feu qui s’en suivi. Avec ses lots de rafles, d’emprisonnements et d’expulsions. Sans oublier la chasse aux opposants qui fut systématique. Le 14 septembre 1966, les autorités coloniales vont mettre en place un barrage dont l’objectif était d’isoler la ville du reste du pays et de créer une enceinte militarisée pour restreindre le mouvement de la population et faciliter les contrôles. Le référendum, organisé le 19 Mars 1967, ne fut que de la poudre aux yeux destinée à détourner l’opinion internationale, à légitimer l’occupation et la politique de division que l’administration coloniale a décidé d’entreprendre pour consolider son règne. La même année, le pouvoir colonial imposa une nouvelle appellation du territoire : Territoire français des Afars et des Issas.

Sous la pression de l’Organisation de l’Unité Africaine (l’actuelle Union Africaine) et des Nations Unies, la France reconnaît 1975, le droit à l’indépendance du TFAI. Le détournement du bus scolaire au mois de février 1976 et sa prise en otage à la frontière de Loyada, qui fut largement médiatisé, précipita certainement la suite des événements. La France décida de mettre fin à sa politique coloniale et organisa un référendum le 8 mai 1977. Résultat, le « oui » l’emporta avec  98,8 % des voix exprimées. Le 27 juin 1977, l’indépendance du territoire est proclamée et le pays devient la République de Djibouti. Au cours  de ces évènements et durant les années qui vont suivre, la France, soucieuse de préserver ses intérêts et obsédée par le spectre de la « Grande Somalie », va déclencher l’opération « Saphir »  dans le secret le plus absolu et déployer pas moins de 17 bâtiments dans la région, dont les porte-avions Clémenceau et Foch. Soit la plus importante flotte déployée par la France, dans cette région, depuis la Deuxième Guerre mondiale. 138 ans après avoir posé les pieds sur le sol Djiboutien, les français sont toujours là. Et si Henry de Monfreid pensait que le territoire était l’anti chambre de l’enfer, il l’a quitté avec beaucoup de regrets.

Affirmant dans ses mémoires, qu’il n’aurait jamais dû abandonner cette perle de la Mer Rouge où, même les plus miséreux ne connaissaient pas la maladie. Aujourd’hui, le peuple Djiboutien estime très sincèrement, que leur pays est un don de Dieu ; qu’il a consolidé son existence contre vents et marées ; que son développement continu de défrayer les chroniques et que les prévisions économiques programmées étonneront plus d’un.  Loin d’être l’anti chambre de l’enfer, le peuple djiboutien a toujours été convaincu que cette terre est pour eux, un véritable coin du paradis.