La quintessence du vibrant plaidoyer prononcé par le président de la République, Ismaïl Omar Guelleh, à la réunion de travail élargie qu’il présida, en compagnie du président du MEDEF International, Philippe Labonne, au siège du mouvement des entreprises de France, la principale organisation du patronat français, basé à Paris. C’était à l’occasion de sa dernière visite officielle en France, sur invitation de son homologue, Emmanuel Macron.

« En ces temps particulièrement difficiles, incertains et exigeants, il nous faut tous, à notre mesure, garder le cap, maintenir les projets et les ambitions à moyen terme et préparer l’après. Dans ce cadre, mon propos sera franc et direct. Djibouti est une terre d’avenir et d’opportunités. Et nous souhaitons que la France et les entreprises françaises participent activement à nos côtés au développement de ces opportunités. Aujourd’hui, je souhaite vous présenter la plateforme exceptionnelle que nous avons construite pour développer nos échanges et, qui plus est, reste la seule plateforme francophone à plusieurs milliers de kilomètres à la ronde. A l’exception de quelques entreprises et à l’exception de quelques grands amis qui connaissent très bien notre pays, à l’exemple du Président Geoffroy Roux de Bézieux, la France a eu beaucoup d’autres sujets d’expansion internationale et l’Afrique de l’Est, jusqu’à récemment, n’y avait pas tenu une grande place. Je crois que, par la volonté du Président Macron et de celle de nombreuses entreprises, ces temps sont révolus. C’est pourquoi je souhaite aujourd’hui engager avec vous un dialogue franc et décomplexé qui pourra tous nous permettre d’avancer et d’entériner un Partenariat qui soit fondé sur les valeurs qui nous sont communes, sur les avantages mutuels et l’équilibre de nos intérêts. Comme vous le savez, notre rencontre n’est pas la première du genre. Vous connaissez déjà, pour certains, Djibouti. Ce que vous savez peut-être moins, c’est que notre Port est devenu l’un des trois plus importants en Afrique sur les grandes routes mondiales, avec Durban et Tanger. Ce que vous savez peut-être moins c’est que 8 câbles sous-marins de télécommunications atterrissent à Djibouti. Ou encore que notre système financier est le plus stable de la Région. Notre monnaie est en parité fixe avec le dollar. Elle est convertible sans restriction. Il n’y a ni contrôle des changes ni double marché des devises. Et, dans une région où les paiements extérieurs sont un sujet de préoccupation, notre masse monétaire a une couverture de 110% en devises fortes et notre système bancaire commercial détient l’équivalent de 50% du PIB en avoirs extérieurs. Si nos banques sont sur-liquides c’est que nous ne sommes pas qu’un hub logistique : nous sommes devenus un hub financier. Nos projets en cours d’investissements en réseaux de fibre optique et en data centers y ajouteront un rôle indispensable de hub numérique. Vous avez sans doute observé que nous avons gagné 55 places en 2018 au classement Doing Business de la Banque Mondiale. Une évolution que la Banque n’avait jamais constatée. Dans le même temps le FMI revalorisait notre PIB de 38%, précisément parce qu’il n’avait pas enregistré le développement des industries ni l’exacte mesure de la dynamique des télécommunications. Cette évolution de Djibouti, nous l’avons construite, le peuple de Djibouti l’a construite. Notre « Vision 2035 » est celle d’une économie diversifiée. Nous ne voulons pas d’une mono-spécialisation logistique. L’avenir de tout le Continent, comme le nôtre est à l’industrialisation. Nos Zones Franches industrielles pèsent aujourd’hui 20% du PIB. Elles créent de la valeur ajoutée aussi bien pour les marchandises qui transitent par nos ports, que pour les matières premières de l’hinterland qu’elles transforment et conditionnent pour la réexportation. Elles forment le plus vaste ensemble de parcs industriels francs du Continent. Dans ces Zones, je vois des entreprises africaines et asiatiques et je m’en félicite. J’y verrais volontiers des entreprises européennes… Elles sont attendues, soutenues fiscalement et désirées. Notre modèle actuel de développement est cohérent pour profiter de la mondialisation. Mais l’équilibre de notre économie est aussi social. Une économie ne peut pas être simplement extravertie, elle doit être inclusive et satisfaire les besoins de base et le bien-être des populations. Je crois que là encore nous désirons la présence de l’Europe et singulièrement de la France. Oui nous avons besoin d’investissements, oui nous avons créé un écosystème pour les accueillir et les rendre rentables, mais nous avons besoin de plus que cela. Nous avons un besoin d’investissements socialement responsables et d’infrastructures sociales. Nous avons besoin d’entreprises actives dans tous les compartiments de la santé, de l’éducation, et du tourisme. Nous avons besoin d’entreprises à fort impact social. Je voudrais conclure en traitant de deux idées reçues qu’il faut oublier : La première tient à notre dette publique extérieure. Cette dette ne nous crée pas de risque macro-économique. Elle atteint 71% du PIB. Et je sais bien que je parle dans un pays où elle est bien plus élevée. On a pu laisser croire qu’elle allait dépasser 100%, mais c’était avant que le PIB soit recalculé correctement. Je voudrais préciser qu’elle est de maturité longue et de taux bas, car essentiellement composée de concours d’aide au développement. Le service de la dette est donc très soutenable. Mais le plus important c’est qu’elle ne finance pas des dépenses courantes, elle a pour contrepartie des infrastructures et des équipements. Tous sont indispensables au développement. Elle crée les externalités indispensables aux entreprises.

« Notre Port est devenu l’un des trois plus importants en Afrique sur les grandes routes mondiales »

L’essentiel des financements est très rapidement rentable. Avec des taux de rendement du capital très supérieurs à nos taux d’intérêt débiteurs. Comme le disait Mario Draghi, quand il était Président de la Banque Centrale Européenne, c’est de la « Bonne Dette ». C’est par exemple le cas des ports, de leurs zones industrielles, des télécommunications ou des énergies renouvelables puisque nous commençons d’exploiter, en partenariat Public-Privé, notre potentiel considérable géothermique et solaire. La dette qui a besoin d’une maturité plus longue, et qui pèse environ le quart du total, c’est celle du chemin de fer Djibouti-Addis Abeba, construit et financé par la Chine. C’est normal, vous connaissez bien cela avec les Lignes ferroviaires à grande vitesse ; il faut les amortir sur deux décennies. Dans notre cas, il faut encore compléter certains équipements, en énergie et en accès à nos sites portuaires, puis nous prévoyons de passer de deux trains à dix trains par jour, sur cette ligne électrifiée de 750 kilomètres … C’est absolument nécessaire pour transporter des volumes en croissance exponentielle, et le réaliser à des coûts financiers très bas et avec une empreinte carbone infiniment plus faible que l’actuel transport terrestre. C’est une réalisation unique en Afrique, la première solution à l’enclavement de très grandes économies. Elle va valoriser d’immenses territoires qu’elle ouvre à l’industrie, à l’exploitation minière et à l’agriculture. Son réseau créera des milliards de dollars de valeur foncière et urbaine. Il fallait simplement amortir cette dette sur une période qui corresponde au tempo du développement de cette immense création de valeur.

« Notre « Vision 2035 » est celle d’une économie diversifiée »

«  La France, qui est et restera un allié privilégié, a sa place dans le développement de Djibouti »

La Chine le comprend parfaitement et, avec l’Éthiopie, nous aménageons cette dette dans une bonne compréhension mutuelle. La seconde idée reçue c’est que nous privilégions certaines relations internationales par rapport à d’autres, par exemple que nous privilégions la Chine. Dans sa quête du progrès, Djibouti veut privilégier les cadres d’échanges et de dialogue avec l’ensemble de ses partenaires et exige des rapports de partenariat plus qualitatifs, plus justes et plus équitables. La conscience de l’urgence du développement que nous avons, nous enjoint d’élargir notre cercle de partenariat de sorte qu’il n y ait ni d’exclusion, ni d’exclusivité à Djibouti. Toutefois, mon message aujourd’hui est que la France, qui est et restera un allié privilégié, a sa place dans le développement de Djibouti. Ne nous regardez jamais comme un champ clos de rivalités, regardez-nous pour ce que nous sommes vraiment, et au sens propre : un havre de paix et une terre d’opportunités Je suis ouvert à toutes vos questions et surtout, si je suis très heureux d’être votre invité à Paris, je le serais encore plus que vous acceptiez mon invitation à Djibouti. »

Propos recueillis par notre envoyé spécial à Paris :

Fahim Ibrahim Ali