Sous le Haut Patronage de Son Excellence le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, le Centre d’Étude et de Recherche de Djibouti (CERD) a lancé, la semaine dernière, une série de conférences virtuelles sur deux enjeux de santé publique majeurs pour Djibouti: le paludisme et le cancer. Ces conférences s’inscrivent dans le cadre du programme de formation virtuelle du CERD en partenariat avec l’ICGEB (International Centre For Genetic Engineering And Biotechnology) et soutenu par le projet BIOTECHNET, visant à renforcer les connaissances biotechnologiques dans la Corne de l’Afrique. Cette initiative reflète l’engagement de l’Institut de Recherches Médicinales du CERD à innover dans le diagnostic et le traitement de maladies complexes, en mettant notamment en lumière des thérapies naturelles à base de plantes et d’huiles essentielles.
Approches et innovations dans la lutte contre le paludisme
La première partie de cette série de conférences, organisée les 21 et 22 octobre, est consacrée au paludisme, une maladie tropicale qui continue de menacer les populations vulnérables dans de nombreuses régions. Le paludisme, causé par des parasites du genre Plasmodium et transmis par les piqûres de moustiques Anopheles infectés, est évitable et guérissable, bien qu’il puisse être fatal sans un diagnostic et un traitement rapide. Parmi les cinq espèces de Plasmodium capables d’infecter les humains, P. falciparum et P. vivax sont les plus dangereuses.
Les différentes étapes du cycle de vie du paludisme sont essentielles pour comprendre la propagation de cette maladie. Après avoir été injectés dans le corps humain par la piqûre de moustiques infectés, les sporozoïtes pénètrent dans le foie où ils mûrissent avant de rejoindre la circulation sanguine. Ils infectent ensuite les globules rouges, ce qui provoque des symptômes tels que la fièvre, des frissons et une anémie. À ce stade, si un moustique pique une personne infectée, il peut reprendre les parasites et continuer ainsi le cycle de transmission.
La conférence a débuté par une présentation de M. Mohamed Ismael Dini, épidémiologiste au NPHI-Djibouti, qui offre une analyse de l’impact épidémiologique du paludisme dans la région. Dr Yahya Ali Ismael et Dr Daher Abdoukarim Omar ont présenté la prise en charge clinique, la gestion des complications rénales, et l’importance de la surveillance et du contrôle des vecteurs, notamment par l’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insecticide longue durée et la pulvérisation d’insecticide à l’intérieur des habitations.
Les résultats des travaux du CERD ont étés mises en lumière par des présentations de la directrice de l’Institut de Recherches Médicinales (IRM), Dr Fatouma Mohamed Abdoul-latif ainsi que les chercheurs du CERD, Dr Abdirahman Elmi, Ali Merito Ali et Dr Idriss Miganeh. Il était question dans ces présentations de la découverte des composés antipaludiques et des nouvelles cibles thérapeutiques à partir des plantes djiboutiennes, appuyée par l’exploitation des bases de données génomiques du parasite pour identifier de potentiels candidats médicaments et vaccins contre le paludisme.
Stratégies de prévention et innovations en recherche
La prévention est une priorité dans la lutte contre le paludisme et les conférences insistent sur l’importance des mesures de protection personnelle et du contrôle des vecteurs. Il est recommandé d’utiliser des répulsifs, de porter des vêtements couvrants, d’éliminer les eaux stagnantes autour des habitations et de suivre un traitement prophylactique antipaludéen avant de se rendre dans des zones à haut risque. Ces pratiques, associées à des innovations biotechnologiques telles que le développement des vaccins antipaludiques et la culture des parasites transgéniques, sont au centre des efforts de lutte contre le paludisme.En complément, les participants abordent les avancées dans l’utilisation des bases de données génomiques pour identifier des nouvelles cibles thérapeutiques et développer des médicaments innovants. Cette approche biotechnologique permet d’analyser le génome du parasite pour cibler plus précisément les étapes critiques de son développement et ainsi ralentir sa propagation.
Les huiles essentielles et leur potentiel anticancéreux
Les 23 et 24 octobre, les conférences du CERD sont orientées vers la lutte contre le cancer, en particulier à travers l’usage des huiles essentielles comme thérapies alternatives prometteuses. Le cancer, une des principales causes de mortalité dans le monde, frappe particulièrement les populations ayant un accès limité aux soins médicaux modernes. Les huiles essentielles (EOs), dérivées de plantes, sont de plus en plus étudiées pour leurs propriétés anticancéreuses. En effet, elles possèdent des composés bioactifs qui peuvent inhiber la prolifération des cellules cancéreuses en induisant l’apoptose (mort cellulaire programmée) et en modulant le stress oxydatif au sein des cellules tumorales.
Dr Fatouma Mohamed Abdoul-latif, directrice de l’Institut de Recherches Médicinalesdu CERD et Pr Tarik Ainane présentent les mécanismes par lesquels les huiles essentielles agissent sur les cellules cancéreuses. Ces mécanismes incluent :
• Induction de l’apoptose : les EOs peuvent induire la mort des cellules cancéreuses de manière contrôlée,
• Arrêt du cycle cellulaire : elles bloquent la prolifération cellulaire,
• Effets anti-inflammatoires : elles atténuent les inflammations chroniques qui favorisent la progression du cancer,
• Modulation des espèces réactives de l’oxygène : elles augmentent le stress oxydatif dans les cellules tumorales, ce qui peut conduire à leur dégénérescence.
Dr Goumaneh Omar Houssein a presenté l’épidémiologie des cancers.
Dr Abdirahman Elmi, chercheur au CERD, a présenté les résultats d’études de l’huile essentielle de Cymbopogoncommutatus contre le cancer ainsi que huit autres huiles locales qui ont montré un potentiel contre des cellules cancéreuses. Dr DaherAbdoukarim Omar, néphrologue, a discuté des syndromes paranéoplasiques, des complications rares mais importantes à prendre en compte dans la gestion des patients atteints de cancer.
Enfin, les séances de présentations ont étés closes par une intervention sur la prise en charge diagnostique des cancers: rôle de l’anatomopathologie par le Dr Goumaneh Omar Houssein, spécialiste en anatomopathologie. Il a exposé l’état actuel de la maladie, les facteurs de risque et les profils les plus fréquemment rencontrés.
Défis et perspectives pour l’intégration des huiles essentiellesdans les traitements
Malgré ces perspectives, l’utilisation des huiles essentielles soulève des défis. L’un des principaux obstacles est la nécessité d’une spécificité pharmacodynamique pour cibler les cellules cancéreuses sans affecter les cellules saines, ainsi que le développement de méthodes de livraison précise. Les chercheurs insistent également sur l’importance d’évaluer les effets à long terme des huiles essentielles et de mener des essais cliniques pour déterminer les doses optimales.
Djibouti, riche en flore médicinale, possède un potentiel exceptionnel pour la production de ces huiles essentielles, qui peuvent être explorées davantage dans des études culturelles et cliniques.
Importance de la sensibilisation et des perspectives de recherche
Outre les avancées thérapeutiques, une autre priorité de la conférence est de sensibiliser la communauté scientifique et la population générale aux enjeux du paludisme et du cancer, et à la manière dont les huiles essentielles pourraient compléter les traitements conventionnels. Djibouti, confronté à une prévalence élevée de cancers du col de l’utérus et du sein, peut tirer parti de ces approches pour adapter les traitements aux spécificités locales. Les chercheurs plaident pour des études épidémiologiques et cliniques qui permettraient de mieux comprendre le profil et la distribution des cancers dans la région, ainsi que l’évaluation de l’efficacité des huiles essentielles comme thérapies complémentaires.
Pour le paludisme, le projet BIOTECHNET et les ateliers virtuels sur les techniques de culture et de développement de vaccins antipaludiques visent à accroître l’autonomie de la région dans la gestion de cette maladie. En sensibilisant les jeunes chercheurs et en encourageant la formation dans les techniques avancées, le CERD contribue activement à renforcer les capacités locales dans la lutte contre le paludisme.
En organisant cette série de conférences, le CERD met en lumière des stratégies de lutte innovantes contre le paludisme et le cancer. L’approche basée sur les huiles essentielles, intégrant les savoirs traditionnels et les recherches biotechnologiques modernes, ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques pour Djibouti.
Ces conférences montrent la voie vers une santé publique plus durable et accessible, exploitant les ressources locales pour répondre aux défis sanitaires régionaux. Ce partage de connaissances et ces collaborations interdisciplinaires sont essentiels pour le développement d’une prise en charge de santé intégrée, alliant des pratiques traditionnelles avec des avancées scientifiques pour améliorer la qualité de vie des populations vulnérables.