À Djibouti, la chaleur fait partie du quotidien. Mais cet été 2025, notre pays vit un épisode sans précédent : des températures extrêmes, un premier incendie de forêt historique et une population qui tente de s’adapter, entre départs précipités, climatiseurs qui tournent sans relâche et forêts qui brûlent. Entre inquiétude et résilience, récit d’un été qui marquera nos mémoires.

Quand on vit à Djibouti, la chaleur n’est pas un simple sujet de conversation : elle rythme nos journées, dicte nos horaires et conditionne nos habitudes. Chacun d’entre nous a appris à vivre avec elle : on ferme les volets pour retenir un peu de fraîcheur, on reste à l’ombre aux heures les plus chaudes, on s’entraide pour protéger les plus vulnérables. Mais cet été 2025, même les plus anciens le disent : la chaleur a changé de visage.

Depuis le début du mois de juin, la canicule écrase Djibouti-ville et l’intérieur du pays sous des températures qui dépassent régulièrement les 45 °C. Dans certaines zones reculées, des habitants rapportent des pics proches de 49 °C, du jamais vu pour beaucoup. À cette chaleur extrême s’ajoute une humidité élevée, qui accentue la sensation d’étouffement. Pour beaucoup, rester dehors plus de quelques minutes devient un véritable défi.

Un événement inédit :  la forêt de Day en flammes

Mais la canicule de cette année ne se limite pas à des chiffres sur un thermomètre. Elle s’est matérialisée par un événement qui a choqué plus d’un Djiboutien : le 5 juin dernier, un incendie de forêt s’est déclaré dans la région de Day, au nord-ouest du pays. C’est là, dans ce massif isolé et fragile, que se trouve l’un des derniers poumons verts de notre territoire. Voir brûler ces arbres, si rares sous nos latitudes, a provoqué une onde de choc bien au-delà des cercles d’experts.

« C’est la première fois que nous enregistrons un incendie de cette ampleur dans une zone forestière », confirme un agent de la direction de l’Environnement, croisé sur place. « Day, c’est un trésor, un symbole de ce qu’il nous reste de forêt ; perdre ne serait-ce qu’une partie de ce couvert, c’est perdre une part de notre identité. »

Les pompiers, épaulés par des habitants venus prêter main forte, ont lutté des heures pour contenir les flammes. Les images des collines de Day, couvertes de fumée, ont rapidement circulé sur les réseaux sociaux, déclenchant une vague d’émotion. Pour beaucoup, cet incendie est un signal d’alarme : le climat, déjà rude, devient imprévisible.

La voix de la météo  :  une situation qui pourrait se répéter 

Pour comprendre ce qui se joue derrière ces chiffres inquiétants, nous avons contacté M. Mohamed Ismail Nour, Directeur général de l’Agence Nationale de la Météorologie. À la tête de cette institution, il observe de près l’évolution du climat à Djibouti.  

« Depuis plusieurs années, nous constatons une augmentation progressive des températures moyennes », explique-t-il. Mais cette année, nous franchissons un cap. La combinaison de la chaleur extrême et de l’humidité élevée rend la situation particulièrement difficile pour les habitants. L’incendie de Day est une conséquence directe de cette chaleur et de la sécheresse prolongée. Et il faut le dire clairement : sans mesures concrètes d’adaptation, ce genre de phénomène pourrait devenir plus fréquent. »

L’Agence multiplie désormais les bulletins d’alerte et appelle la population à redoubler de vigilance : éviter de jeter des mégots, protéger les zones sensibles, et surtout, rester hydraté. Mais pour M. Mohamed Ismail Nour, la prévention ne suffira pas. Il plaide pour une vraie stratégie d’adaptation : reboisement, gestion de l’eau, développement des énergies renouvelables.

Face à cette fournaise, certains Djiboutiens choisissent de fuir, au moins quelques semaines. Direction : l’Éthiopie ou le Somaliland, où l’altitude offre un répit bienvenu. « En ce moment, je transporte entre 150 et 200 passagers par jour vers la frontière », raconte M. Said Ahmed Houssein, chauffeur de bus depuis plus de quinze ans. Sur le parking poussiéreux où nous le croisons, les bagages s’entassent : valises, sacs de riz, bidons d’eau.

« Il y a quelques années, on voyait plus de monde partir. Aujourd’hui, la vie est chère, tout le monde ne peut pas se permettre ces vacances », ajoute-t-il en ajustant sa casquette pour se protéger du soleil. Pour beaucoup, partir reste un luxe inaccessible. Les obligations professionnelles et familiales retiennent la majorité en ville.

Pour Djibouti, impossible de se mettre sur pause, même sous une chaleur accablante. Le pays mise sur son rôle de hub régional : des milliers de conteneurs passent chaque jour par le port de Doraleh, vital pour l’économie nationale. Les dockers, les chauffeurs, les manutentionnaires travaillent souvent tôt le matin ou tard le soir pour éviter les heures les plus chaudes. Mais le soleil finit toujours par rattraper tout le monde.

« Il faut bien nourrir sa famille, alors on tient bon », confie Ali, docker rencontré à la pause. À ses côtés, ses collègues boivent de l’eau à grandes gorgées sous un auvent improvisé. Dans les bureaux climatisés de Djibouti-ville, la facture d’électricité explose. La climatisation est devenue un besoin vital pour les familles qui en ont les moyens. Les coupures de courant, parfois fréquentes, rappellent à chacun la fragilité d’un réseau électrique mis sous pression.

La plage comme échappatoire

Pour ceux qui restent, la mer devient un refuge. À la plage de Korambado, les familles arrivent en fin de journée, quand la brûlure du soleil faiblit un peu. Ici, on étend des nattes, on partage du thé, on laisse les enfants jouer dans l’eau. « On vient respirer, au moins ici il y a du vent », confie Amina, mère de trois enfants, venue du quartier de Balbala.

Ces petits moments de fraîcheur sont précieux, mais ils rappellent aussi les inégalités : tout le monde ne peut pas se payer une climatisation ni quitter la ville.

Dans les ruelles de Djibouti-ville comme dans les collines de Day, chacun sent que la chaleur devient un défi plus grand chaque année. Le réchauffement climatique n’est plus une théorie lointaine : il se vit au quotidien.

« On ne pourra pas échapper à ces canicules », prévient encore M. Mohamed Ismail Nour. « Mais on peut se préparer, protéger nos forêts, améliorer notre réseau électrique, développer l’énergie solaire, sensibiliser dès l’école. »

Sur le terrain, des associations plantent des arbres, des ONG forment des jeunes aux métiers des énergies renouvelables. Mais pour beaucoup, cela reste insuffisant face à l’urgence. Djibouti, petit État aux moyens limités, doit faire entendre sa voix pour obtenir plus de soutien international. Notre position stratégique, si convoitée pour le commerce mondial, doit aussi devenir un levier pour exiger des ressources pour protéger notre environnement.

Un été qui restera dans les mémoires

Cet été 2025 restera gravé dans nos esprits. Non pas seulement pour ses températures record, mais pour cette forêt qui a brûlé, pour ces familles qui fuient quelques semaines, pour ces chauffeurs de bus qui chargent valises sur valises, pour ces mères qui, le soir, emmènent leurs enfants à la mer pour trouver un souffle d’air.

À Djibouti, nous savons faire face. Nous savons résister. Mais pour combien de temps encore ? Le climat nous rappelle qu’il ne nous laisse plus le choix : nous adapter ou subir.

Sous la fournaise, entre plage et forêt calcinée, chacun comprend qu’il est temps d’agir. Pour que demain, nos enfants puissent encore trouver un coin d’ombre, et pour que la forêt de Day ne devienne pas un simple souvenir.

Asma Ahmed