Dans notre société, on lit de moins en moins, jeunes comme plus âgés, l’enjeu est de taille, alors comment donner le goût de la lecture et rapprocher nos jeunes et le livre?  Souhaib Ali Youssouf, jeune poète nous livre son expérience et sa passion

 pour la lecture et exhorte par la même occasion les jeunes à goûter au plaisir de lire. Voici l’intégralité de l’entretien :

Comment susciter l’amour de la lecture chez nos jeunes ?

L’amour de la lecture est comme une graine fragile qui demande attention et soins, un chuchotement au creux de l’oreille qui dit : « Entre ce monde, il t’appartient ». Pour susciter cet amour chez nos jeunes, il faut d’abord semer des histoires qui résonnent en eux, des récits qui vibrent avec leurs réalités. Ça doit passer par une approche intime, où chaque livre devient un compagnon de voyage. Dans mon expérience, le simple fait d’organiser des cafés littéraires à Djibouti a permis à beaucoup de jeunes de découvrir des auteurs dont ils n’avaient jamais entendu parler. Je leur ai appris que la lecture n’est pas une corvée scolaire, mais un voyage intérieur. Comme je le dis souvent lors de mes conférences, chaque livre est un miroir où le lecteur trouve des fragments de lui-même. La clé réside donc dans l’introduction à la diversité des textes, dans la liberté de choisir et de s’égarer dans les pages jusqu’à ce que l’on trouve ce qui nous parle, ce qui nous emporte.

Le goût de lire vient aisément ou ça s’apprend à l’enfance ?

Le goût de lire, c’est comme le goût d’un fruit rare. Certains en tomberont amoureux dès la première bouchée, tandis que d’autres devront s’y habituer. Il y a certes, une initiation qui peut se faire dès l’enfance, mais j’ai rencontré de nombreux jeunes qui n’ont découvert ce plaisir qu’à l’adolescence, ou même plus tard. Dans mon propre parcours, la lecture a d’abord été un refuge, un lieu secret où j’ai découvert des mondes inconnus. Ce n’est qu’au fil du temps que ce refuge est devenu une passion. Ainsi, on peut apprendre à aimer lire à tout âge, pourvu qu’on rencontre le bon livre, celui qui nous fait vibrer, celui qui parle à notre âme.

Quels sont les obstacles qui empêchent les jeunes de goûter au plaisir de la lecture ?

Les obstacles sont nombreux et variés. D’abord, il y a le tumulte des distractions modernes – les réseaux sociaux, les écrans omniprésents qui capturent l’attention. Dans les écoles où j’interviens, j’ai souvent remarqué que le manque de modèles littéraires est aussi un frein : comment aimer lire si personne autour de soi ne lit ? Un autre obstacle est la perception que la lecture est une obligation académique. À travers des initiatives comme La Caravane du Livre, j’ai tenté de renverser cette idée en créant des espaces où la lecture est un plaisir partagé, un moment de découverte collective. Enfin, il y a aussi le manque d’accès aux livres, surtout dans certaines régions. Mais là où les livres manquent, la créativité peut naître : j’ai vu des jeunes se passionner pour des récits oraux.

Qu’est-ce qu’on trouve dans un livre qu’on ne trouve pas ailleurs ?

Dans un livre, on trouve l’éternité. Là où tout est éphémère, un livre est une porte ouverte sur l’infini des idées, des émotions, des mondes. Un livre est une conversation silencieuse entre l’auteur et le lecteur, où chaque mot est une clé pour un univers inconnu. Ce que j’ai toujours trouvé fascinant dans la lecture, c’est ce sentiment d’intimité, ce lien unique qui se tisse entre soi et le texte. Il y a des choses qu’on ne trouve que dans un livre : l’immobilité du temps, la possibilité de revivre encore et encore une même scène, la capacité d’interpréter à sa manière une même histoire. Un livre est à la fois une question et une réponse, un refuge et une évasion.

Qu’a représenté pour vous la lecture dans votre cursus scolaire ?

La lecture a été ma boussole, mon phare, mon ancre et mon fil d’Ariane. À chaque étape de mon parcours scolaire, elle m’a guidé, éclairé. Elle a été le lieu de mes premières évasions et de mes plus grandes découvertes intellectuelles. Lorsqu’on m’a initié aux grandes œuvres classiques, arabes comme françaises, de Voltaire à Camus, j’ai compris que la littérature était bien plus qu’un simple divertissement : elle était un miroir de la condition humaine. Chaque livre lu en classe a été une fenêtre sur l’univers, une invitation à réfléchir, à questionner, à comprendre. En tant que jeune, la lecture m’a donné les outils pour naviguer dans les eaux parfois troubles du monde académique et social.

Qu’est-ce qui vous a donné le goût de lire ?

Le goût de lire m’a été donné comme un héritage silencieux. Je me souviens de ces après-midi où mon père feuilletait des ouvrages en silence, où les pages tournaient sous ses doigts avec une délicatesse presque sacrée. Mais c’est vraiment dans la solitude des nuits adolescentes, lorsque le monde s’endormait, que j’ai compris que la lecture était un monde à part, un refuge que personne ne pouvait m’enlever. Il y a un livre, un poème, un passage, qui parfois change tout. Ce fut la rencontre avec les vers comme ceux de Senghor, de Césaire, ces poètes qui ont su faire chanter l’âme africaine dans la langue du colonisateur. C’est là que j’ai senti, pour la première fois, la puissance d’un mot, d’un vers, d’une phrase bien placée. La lecture m’a offert des racines et des ailes.

Y a-t-il un livre lu en classe qui vous a marqué ?

Choisir un seul livre parmi les centaines que j’ai lus au cours des vingt dernières années serait un exercice bien difficile. En arabe et en français, à travers différents genres – de la poésie à la philosophie, du roman à l’essai – chaque ouvrage a laissé en moi une empreinte unique, un souvenir distinct. Que ce soit un recueil de poèmes qui a ému mon âme ou un roman philosophique qui m’a poussé à repenser le monde, chaque livre lu en classe ou en dehors a joué un rôle dans la formation de mon regard sur la vie. Ils sont tous, à leur manière, des compagnons fidèles de mon voyage littéraire.

Pour conclure, en tant que jeune écrivain, comment transmettre le plaisir de la lecture aux jeunes djiboutiens ?

Transmettre le plaisir de la lecture, c’est comme transmettre une flamme. Il faut la tenir avec soin, mais il faut aussi la partager sans la laisser s’éteindre. À travers mes écrits, mes ateliers littéraires et mes interventions, je cherche à montrer aux jeunes Djiboutiens que la lecture est bien plus qu’une activité solitaire. Elle est un pont vers le monde, vers soi-même. Pour moi, il s’agit de créer des espaces où la lecture est vécue comme un plaisir collectif. En organisant des cercles de lecture, des concours de poésie ou des discussions autour de livres, j’espère faire naître chez eux cette étincelle qui, un jour, deviendra une passion indomptable.

Propos recueillis par Souber