Sous les néons de notre époque, où tout scintille mais rien ne brille vraiment, il arrive qu’un café tiède devienne le théâtre d’une réflexion profonde. Entre deux gorgées, les mots s’échappent, désenchantés mais lucides, pour tenter de saisir ce que nous avons perdu en chemin. Ce n’est pas un simple regret du passé, mais une quête : celle de retrouver l’essence de ce qui nous rend humains. Alors, au-delà des vitrines et des écrans, osons plonger dans cette chronique, miroir d’une société emballée mais dépossédée de son goût.

Avant, c’était mieux…

Autour de ce café, entre compagnons d’infortune, les mots roulaient comme des galets sous la marée. On parlait de tout, de rien, et peut-être surtout pour éviter de parler de nous. Puis, comme un vieux vinyle qu’on dépoussière, la nostalgie s’est invitée. L’un d’entre nous, la mine grave et le regard perdu, a laissé tomber un verdict que personne n’a osé contester : « Avant, c’était mieux. »

Silence. Lourd comme un manteau humide. Ces quatre mots avaient jeté un pont entre les âmes. Avant quoi, exactement ? Avant qui ? Peu importait. Ce “mieux” désignait une époque où les cœurs battaient plus fort que les portefeuilles, où l’on aimait les choses pour ce qu’elles étaient, et non pour ce qu’elles valaient. Une époque où l’être avait encore un prix, avant que l’avoir ne devienne le maître absolu. Nous avons perdu l’être pour l’avoir, a murmuré un autre, et son souffle a dessiné des volutes qui semblaient s’évaporer dans le vide.

L’emballage du monde

Dans ce monde globalisé, on est devenus des porteurs de valises. Pas celles des grands voyageurs, non. Des valises vides. On y met ce que l’on nous vend : une vision du monde taillée sur mesure par un capitalisme effronté, qui a su transformer nos désirs en produits et nos rêves en slogans. Ce n’est pas le monde qu’on nous propose, mais son emballage. Un emballage brillant, léché, estampillé d’une seule promesse : consommez, consommez encore. Tout s’achète, tout se vend, même nos révoltes. On les conditionne, on les markete, on les distribue sous forme de hashtags bien propres. La vraie subversion? Elle a pris sa retraite, elle aussi. Et ce n’est pas seulement nos objets ou nos idées qui se vendent. Même l’amour s’est fait emballer. Ce qui autrefois se vivait, avec ses frissons et ses doutes, ses silences habités et ses éclats de rire inattendus, se consomme désormais comme un produit sur une étagère. Les applis nous vendent des âmes sœurs prêtes à l’emploi, compatibles à 98 %. Des amours sur mesure, taillés dans le moule de nos algorithmes, mais aussi fades qu’un café réchauffé. Le mariage ? Une institution devenue une performance sociale. On y investit comme dans une startup : décorations clinquantes, tenues hors de prix, photos taillées pour les réseaux. Mais quand les lumières s’éteignent, que reste-t-il ? Pas grand-chose, sinon le sentiment gênant d’avoir trop payé pour trop peu.

Une solitude collective

Alors, là, autour de ce café tiède, on s’est mis à chercher ce qu’on avait perdu. Pas les clés de la voiture ou le mot de passe de l’application, non. Ce qu’on avait vraiment perdu. La chaleur d’un silence partagé. La vérité d’un regard échangé. Le goût d’une parole donnée sans calcul. On s’est souvenus du temps où l’on se contentait d’être. D’être ensemble, surtout. Aujourd’hui, même les cafés ressemblent à des vitrines : tout est conçu pour être vu, pris en photo, partagé. Mais le goût ? Il s’est perdu quelque part, dans les algorithmes qui décident pour nous.

Un avenir à réinventer

Alors, quoi ? On s’apitoie ? On se contente de ressasser les gloires d’un passé révolu ? Peut-être. Mais il y a une étincelle dans cette nostalgie, un refus de mourir à l’intérieur. Car si nous avons perdu l’être, il n’est pas impossible de le retrouver.

Cela commence par un geste, une idée. Éteindre les écrans et rallumer la conversation. Se défaire de l’emballage et redécouvrir ce qu’il y a en dessous. Dire non à ce qui nous étouffe et oui à ce qui nous élève.

Et peut-être, qui sait, réapprendre à aimer. Non pas à consommer l’autre, mais à le regarder, à l’écouter, à le vivre. Réinventer l’amour comme une rencontre, et non une transaction.

Nous avons été trahis par le capitalisme, c’est vrai. Mais il ne tient qu’à nous de cesser d’être ses complices.

Et si, autour de ce café, ce jour-là, nous avions décidé de ne plus seulement parler de tout et de rien, mais de parler pour de bon ? Voilà une révolution qui commence doucement, mais sûrement. Un peu comme le café, qui finit toujours par refroidir, mais dont le goût, lui, reste.

Said Halato