A l’occasion du trentième anniversaire de la Constitution djiboutienne, j’ai souhaité faire les choses avec la grandeur qui convenait en permettant au public de connaître la Constitution. La Constitution dont nous fêtons le trentième anniversaire, reste le pilier des institutions politiques djiboutiennes. Son rôle est défini par une triple exigence : permettre une attribution libre du pouvoir, assurer un exercice efficace et garantir les droits fondamentaux. La Constitution de 1992 a été révisée trois fois. Malgré ces révisions, l’esprit qui a guidé la rédaction de la constitution de 1992 demeure. Sa longévité est remarquable. Elle est le reflet du génie du père fondateur de cette norme fondamentale.

Rappel historique : l’avènement d’un nouveau constitutionnalisme

Les premières générations des lois fondamentales ont été adoptées au lendemain de l’indépendance du pays en juin 1977. Quinze ans après la mise en place des lois constitutionnelles de 1977, le peuple djiboutien manifeste auprès des autorités sa volonté d’engager des réformes démocratiques. De plus, les deux lois constitutionnelles de 1977 et organiques de 1981, qui faisaient chacune deux pages, ne permettaient pas de réglementer toutes les nouvelles situations juridiques, et ne pourraient jamais représenter à long terme des textes de référence.

C’est dans ce contexte d’obsolescence et d’inefficacité des lois constitutionnelles et organiques, que sera finalement adoptée une nouvelle Constitution en 1992.

Pour valider ce projet de nouvelle constitution, le peuple djiboutien (détenteur de la souveraineté nationale) est appelé par référendum le 04 septembre 1992 pour approuver ou non la nouvelle constitution. En clair, le peuple est appelé à répondre par oui ou non à deux questions fondamentales :

– Approuvez –vous le projet de constitution élaboré pour notre pays ?

– Acceptez-vous la limitation des partis politiques au nombre de quatre ?

Le peuple a finalement approuvé la nouvelle constitution qui rentrera en vigueur le 15 septembre 1992.

Les différentes révisions apportées à la norme fondamentale depuis son adoption en 1992

Le cycle de vie des constitutions, montrent qu’ « une constitution est vivante : elle reproduit le cycle biologique. Elle naît, se développe et meurt…. ». Toutes les Constitutions prévoient les modalités selon lesquelles elles peuvent être modifiées : on parle de procédure de révision (art.91 et art.92).

Depuis l’adoption de la Constitution en septembre 1992 jusqu’à nos jours, la loi fondamentale a subi successivement trois modifications en 2006, 2008 et 2010.

•En 2006, c’est une révision sans grande importance réorganisant la procédure législative (les séances de travail parlementaire) qui va ouvrir le processus de révision depuis l’adoption de la première constitution du pays en 1992.

• La seconde modification constitutionnelle a eu lieu en 2008. Il s’agit de l’article 66 de la Constitution où le groupe de mots « la Chambre de Comptes et de discipline budgétaire de la Cour suprême » est remplacé par le groupe de mots suivants « la Cour des Comptes ».

• Enfin, la Constitution du 15 septembre 1992 a été révisée en 2010 pour la troisième fois. Après son adoption par la seule assemblée nationale, par un vote unanime de 59 sur 65 députés, la loi constitutionnelle N°92/AN/10/67èmeL a été promulguée le 21 avril 2010 par le Président de la République. Cette révision portait sur plusieurs articles du corpus constitutionnel.

En somme, les différentes révisions constitutionnelles effectuées, sont porteuses des principes fondamentaux et participent surtout au renforcement de la démocratie et l’Etat de droit. Voici quelques principes :

– L’attachement de la République de Djibouti aux valeurs de la dignité humaine avec notamment l’abolition de la peine de mort, désormais inscrite dans la Constitution. L’article 10 dans sa rédaction nouvelle dispose que « nul ne peut être condamné à la peine de mort».

– La constitutionnalisation de l’autonomie financière et administrative des collectivités territoriales. En réalité, la libre administration implique de facto la capacité des collectivités à bénéficier des ressources propres.

– Il est important de souligner également que la loi constitutionnelle de 2010 a mis un terme définitif au cumul des mandats à Djibouti. C’est une innovation constitutionnelle importante, au même titre que l’incompatibilité entre le mandat parlementaire et le portefeuille ministériel (il s’agit d’une revitalisation du principe de séparation des pouvoirs).

– Enfin, la constitutionnalisation du rôle du Médiateur de la République, le passage au bicaméralisme parlementaire, l’introduction d’une limite d’âge dans les modalités de désignation du président de la République, sont autant des réformes constitutionnelles s’inscrivant dans la modernisation des institutions politiques.

Le Conseil constitutionnel, garant du respect de la Constitution

La protection de la Constitution par le juge constitutionnel est un combat quotidien justifié par la nécessité de consolider la démocratie. Le juge constitutionnel, pour faire court, est un arbitre ayant essentiellement pour mission de contrôler le respect du domaine de la loi par les représentants du peuple.

Institution méconnue du public, le Conseil constitutionnel est le garant de la vie démocratique djiboutienne et des libertés individuelles.

• La composition du Conseil constitutionnel

La Constitution prévoit en son article 76 que le Conseil constitutionnel est composé de six membres, dont le mandat dure huit ans et n’est pas renouvelable.  La grande particularité du Conseil constitutionnel de Djibouti réside en effet dans l’article 76 de la Constitution de 1992, qui pose clairement les conditions de désignation des six juges constitutionnels en ces termes : « deux sont nommés par le président de la République, deux autres par le président de l’Assemblée nationale et enfin les deux derniers sont nommés par le conseil supérieur de la magistrature ». Les deux premières nominations relèvent de deux autorités politiques (président de la République et président de l’Assemblée nationale). Pour ces derniers, leurs choix dépendent d’une volonté personnelle, c’est-à-dire qu’ils sont libres dans l’exercice des prérogatives que leur reconnaît la Constitution en matière de nomination des membres du Conseil constitutionnel. En revanche, la troisième nomination fait intervenir le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Le Conseil statue collégialement, c’est-à-dire, il faut obligatoirement l’accord des membres composant le CSM.

Cette année coïncide avec la nomination d’un nouveau président au conseil constitutionnelet l’arrivée des trois juges constitutionnels. M. Abdi Ismaël Hersi, membre du conseil constitutionnel depuis 2017 a été nommé président du conseil constitutionnel.

Trois nouveaux membres ont également prêté serment devant le chef de l’Etat le 04 juillet 2022. Il s’agit de M. Ahmed Osman Hachi, M. Hassan Idriss Samireh et Mme Saida Ahmed Abdallah.

• Les modalités de saisine du Conseil constitutionnel

La question de la saisine du Conseil constitutionnel est une des plus importantes du contentieux constitutionnel.

Sur la saisine du Conseil constitutionnel, il convient de préciser deux catégories de saisines : la saisine en matière de contrôle de constitutionnalité et la saisine en matière de contentieux électoraux et aux opérations référendaires.

– En matière de contrôle de constitutionnalité : Les dispositions constitutionnelles et législatives applicables sont : les articles 78 et 79 de la Constitution de 1992 et les articles 17 à 26 de la loi organique du 7 avril 1993 relative aux règles d’organisation et de fonctionnement du Conseil constitutionnel.

Avant la promulgation de la loi, le Conseil constitutionnel peut être saisi par : le président de la République, le président de l’Assemblée nationale ou dix députés.

– En matière de contentieux électoral : Les dispositions constitutionnelles et législatives applicables sont : l’article 77 de la charte fondamentale, les articles 30 et suivants de la loi organique du 7 avril 1993 et les articles 69 et suivants de la loi organique du 29 octobre 1992 relative aux élections. En vertu de l’article 69 de la loi organique du 29 octobre 1992 relative aux élections, le contentieux de toutes les élections nationales relève de la compétence du Conseil constitutionnel.

– Enfin, pour les opérations référendaires, le président de la République peut consulter le président du Conseil constitutionnel sur l’organisation des opérations référendaires.

• Les attributions du conseil constitutionnel

Les différentes attributions que la Constitution reconnait au conseil constitutionnel sont :

– Le contentieux électoral

– Le contrôle de constitutionnalité des lois

– Les missions exceptionnelles en période de circonstances exceptionnelles

Les décisions du conseil constitutionnel, rendues en la forme juridictionnelle, ne sont susceptibles d’aucun recours. Aux termes de l’article 81 de la Constitution de 1992, les décisions de la juridiction constitutionnelle sont revêtues de l’autorité de la chose jugée. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, et à toutes autres autorités administratives et juridictionnelles ainsi qu’à toutes personnes physiques ou morales.

En conclusion, la République de Djibouti reste un pays très attaché à sa stabilité constitutionnelle. La Constitution de 1992 dont nous fêtons le 30ème anniversaire a fait ses preuves et semble avoir encore de beaux jours devant elle.

Dr. OBSIEH ALI DJAMA

Docteur en droit public

Maitre de conférences en droit à l’université de Djibouti

Directeur des études en sciences juridiques et politiques à la faculté de droit de l’université de Djibouti