
A l’occasion de la célébration de la fête nationale française du 14 juillet, nous ouvrons dans nos colonnes une tribune à l’ambassadeur de France à Djibouti, Arnaud Guillois qui, dans un entretien exclusif, nous livre ses pensées sur les relations historiques entre la France et Djibouti. La nouvelle dynamique de renforcement des liens de coopération lancés par les deux chefs d’état est au cœur de ce tête-à-tête que nous avons eu avec l’ambassadeur Guillois.
La Nation : M. l’ambassadeur, tout d’abord pourriez- vous nous dresser l’état des relations entre la France et la république de Djibouti ?
Arnaud Guillois : Bonjour et merci de m’avoir invité à rencontrer « La Nation » et ses lecteurs à un moment si particulier. Nos relations sont à la fois historiques, stratégiques, structurantes et en pleine expansion.
– Historiques parce que enracinées dans notre passé commun depuis près de 160 ans. Français et Djiboutiens partagent non seulement une langue commune mais aussi des valeurs d’ouverture, de tolérance et de dialogue. Ce n’est pas un hasard si Djibouti est appelé «Terre d’échanges et de rencontres ».
– Stratégiques car Djibouti et la France portent l’un et l’autre la plus grande attention à la sécurité mondiale, la stabilité régionale et au respect du multilatéralisme. Nous avons un dialogue politique constant, nous luttons ensemble contre le terrorisme (nos militaires contribuent à la formation des FAD mais aussi s’enrichissent de l’expérience des militaires djiboutiens acquise dans cette exigeante mission qu’est l’Amisom) et avons une vision convergente sur les enjeux de la Corne qu’il s’agisse du Yémen, de la Somalie ou de l’Ethiopie – d’où nous avons appelé à plusieurs reprises au retrait des forces érythréennes.
– Structurantes car elles touchent à de très nombreux domaines d’activités. Elles sont bien sur politiques, mais aussi économiques, éducatives, linguistiques et humaines. La communauté française à Djibouti, qui réunit presque 5 000 personnes, joue aussi un rôle important dans notre relation.
– Enfin, en pleine expansion, car sous l’impulsion de nos deux chefs d’Etat, nos liens ont atteint un niveau particulièrement élevé. Dans tous les domaines, ma feuille de route est de faire « plus et mieux » à Djibouti et c’est ce que j’essaye de faire au quotidien avec mon équipe et nos partenaires djiboutiens.
(( L’enjeu pour moi est aussi de renouveler les liens historiques et d’amitié par tous les moyens et de favoriser les lieux où Djiboutiens et Français s’enrichissent mutuellement ))
Quelles ont été les grands projets qui ont été mis en œuvre depuis la dernière visite du Président Guelleh en France ?
Permettez-moi de vous dire combien le Président Macron a été heureux d’accueillir le Président Guelleh en visite officielle à Paris en février dernier, après celle qu’il avait effectuée à Djibouti en 2019. Cette visite, au-delà des signes d’amitié réciproques, a permis d’avancer sur un grand nombre de dossiers.
Les deux Présidents ont d’abord signé au Palais de l’Elysée une déclaration d’intention dans le domaine de la Défense qui renouvelle et renforce les grands principes du Traité de Coopération en Matière de Défense qui nous lie et qui devra être renouvelé en 2023. Le dialogue stratégique de Défense que nous venons de tenir à Djibouti en application de cette déclaration était une nouveauté qui a confirmé non seulement nos convergences de vue sur la situation régionale mais aussi notre volonté partagée d’approfondir encore notre partenariat. La Ministre française des Armées, Madame Parly, est elle-même attendue à Djibouti cet automne, invitée par son homologue djiboutien.
Plusieurs accords économiques ont aussi été signés et qui commencent à être mis en œuvre. Je pense à la construction de deux centrales solaires par Ausar Energy en lien avec EDD, à Tadjourah (2MW) et Obock (1MW), dont j’ai visité le futur chantier au printemps. Le Groupe Accor investit fortement à Djibouti avec le Groupe Kamaj pour la rénovation et la construction de trois hôtels. J’ai d’ailleurs rencontré l’un de ses directeurs régionaux de passage à Djibouti le mois dernier. Et puis, sur don du gouvernement français, Aéroport de Paris Ingénierie et Egis ont signé le 3 juin dernier un protocole d’accord avec l’APZFD pour réaliser les études de faisabilité autour du nouvel aéroport de Djibouti. Ce sujet était au cœur des discussions entre les Présidents Macron et Guelleh en février.
Dans le domaine de la coopération, nous avons signé une feuille de route qui vient confirmer un renforcement de l’engagement de l’Agence Française de Développement à Djibouti (au moins 100 Millions d’Euros sur 2018/2022) et qui se matérialise déjà dans de nombreux secteurs comme l’assainissement ou l’éducation. Nous avons aussi pris l’engagement d’accompagner Djibouti dans de nouveaux domaines de coopération : je pense aux questions de genre sur lequel nous travaillons avec le ministère de la femme et de la famille et le tissu associatif djiboutien ou bien la coopération muséale puisque le Musée du Quai Branly-Jacques Chirac fera prochainement une mission à Djibouti avec le Ministère de la culture. L’Institut Français de Djibouti développe plusieurs projets avec les acteurs culturels et les artistes djiboutiens et propose des animations variées à un large public.
Enfin, avait été signée à Paris une déclaration d’intention entre Djibouti et la Région Sud – Provence Alpes Cotes d’Azur. Cette lettre d’intention est devenue un accord formel et nous attendons dans les toutes prochaines semaines les premières actions concrètes nées de ce jumelage. Il est aussi à noter que le Président de la Région, Renaud Muselier, récemment réélu, a été invité en visite officielle à Djibouti par le Président Guelleh.
La France reste le principal partenaire de notre pays dans plusieurs domaines cruciaux, pouvez-nous en citer certains ?
La liste serait bien longue. Mais je voudrais en évoquer quelques-uns, parfois méconnus.
Celui de la coopération dans le domaine de la police judiciaire, grâce au partenariat de nos deux gendarmeries. L’école du PK 23 est une vraie réussite régionale où viennent se former des officiers et sous-officiers de toutes les forces de sécurité intérieure du continent africain et de l’océan indien avec le concours de la coopération française ;
Celui de l’archéologie. Cette coopération est ancienne – on se souvient des venues régulières d’Haroun Tazieff – mais vient d’être renouvelée à l’occasion d’un accord que j’ai signé récemment avec le Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, le CERD djiboutien et le CNRS français.
(( La ministre française des Armées, Madame Parly, est attendue à Djibouti cet automne, invitée par son homologue djiboutien ))
Nous aurons le plaisir d’accueillir ensemble dans quelques semaines des artefacts djiboutiens vieux de plusieurs dizaines de milliers d’années, qui ont été analysés et restaurés en France et qui pourront être présentés au public djiboutien.
Celui de la décentralisation. Expertise France, sur financement européen, accompagne la décentralisation à Djibouti dans les régions où j’ai souvent plaisir à me rendre. Le Département de Charente Maritime est très engagé dans ce programme. L’AFD a pour sa part un programme de gouvernance avec la Mairie de Djibouti et ses 3 communes.
Enfin, celui de la formation. Plusieurs milliers d’enfants djiboutiens ont bénéficié de notre programme d’appui au Ministère de l’éducation pendant le confinement dû au Covid l’an passé pour que le télé-enseignement puisse de développer. Nous sommes en train également d’appuyer la création d’une chaire des métiers du numérique à l’Université de Djibouti par l’AFD. Nous poursuivons notre appui à la formation des cadres djiboutiens au travers de l’IED ou de l’INAP. Enfin, Djibouti va bientôt être en mesure de construire un nano-satellite grâce à ses propres étudiants formés à Montpellier. Voilà qui est très prometteur.
La France et Djibouti ont une longue histoire commune, certes. De ce fait, quelles sont les perspectives d’avenir pour nos deux pays ?
Ces perspectives sont excellentes parce que justement elles sont tous azimuts. L’enjeu pour moi est aussi de renouveler ces liens historiques et d’amitié par tous les moyens et de favoriser les lieux où Djiboutiens et Français s’enrichissent mutuellement. Je pourrais ainsi parler des écoles françaises à Djibouti – Lycée français et l’Ecole de la Nativité – où se côtoient sur les bancs tous les jours 2500 élèves, Français, Djiboutiens et d’autres nationalités. Voilà des liens humains indéfectibles qui se créent. Nous comptons près d’un millier d’étudiants djiboutiens en France qui se forment, se spécialisent et qui viendront demain apporter leur contribution à la croissance djiboutienne. Tous les jours, nos entreprises travaillent ensemble y compris dans le cadre du Groupe d’Affaire France-Djibouti qui réunit une trentaine d’entreprises françaises et djiboutiennes.
Un mot pour conclure ?
Un seul mot ? C’est difficile….Peut-être merci. Merci aux Djiboutiennes et aux Djiboutiens de l’accueil chaleureux qu’ils me réservent depuis bientôt deux ans que je suis sur leur sol. C’est un grand honneur pour moi de représenter la France ici mais avec le concours de mes partenaires et amis djiboutiens, c’est en plus un vrai plaisir.
Propos recueillis par N.Kadassiya