Dans cette série d’articles intitulée «À la poursuite de notre passé lointain à travers… » , les titres des premiers épisodes se complétaient avec « les hiéroglyphes de Kamit ». Dans les deux derniers articles, nous avons poursuivi notre passé lointain à travers la génétique, ce qui a permis de lever le voile sur la relation entre la variété de nos idiomes (familles linguistiques) et celle de nos couleurs (branches génétiques de l’ADNmt). Désormais, nous allons découvrir que le passé lointain des peuples couchitiques, dont font partie les somalis et les afars, est fortement lié à celui de l’humanité dans son ensemble. En effet, la Corne de l’Afrique aurait été témoin de deux événements prépondérants dans l’histoire d’Homo Sapiens. Premièrement, le sud de l’Ethiopie serait l’épicentre génétique des premières lignées humaines, il y a environ 190 000 ans. Ensuite, la traversée, il y a environ 80 000 ans, du détroit de Bab el-Mandeb qui sépare Djibouti et le Yémen aurait permis aux ancêtres de tous les humains modernes non-africains de peupler toute la planète. Depuis le début de cette aventure, chaque nouvelle population qui s’installait dans une terre inconnue portait en elle les gènes et la langue de leur foyer d’origine : le berceau de la Corne de l’Afrique. La découverte d’une forte relation linguistique entre la langue du royaume de Kamit et le somali, évolution moderne d’une langue proto-couchitique qui était probablement parlée par les habitants du pays de Pount, permet de remonter le temps jusqu’à la langue originelle dont sont issues toutes les langues modernes parlées dans le monde.

En effet, il s’avère que les racines couchitiques dites « kamito-somali », qui ont pu être identifiées en comparant les hiéroglyphes de Kamit avec le somali, se retrouvent présentes dans d’autres familles linguistiques que celles dont ils font partie, c’est-à-dire la famille afro-asiatique dont le foyer d’origine est la Corne de l’Afrique. Cette observation permet de développer une hypothèse émise en 1994 par le linguiste Merritt Ruhlen dans son livre « L’origine des langues ». À contre-courant du consensus de ses collègues linguistes, il estime qu’il existait une langue originelle qui était parlée autrefois en Afrique de l’Est, et que toutes les langues humaines modernes en seraient issues. Il affirme même que « à long terme, nous sommes sûrs que la masse de données témoignant de la monogénèse des langues existantes deviendra si contraignante que la question ne sera plus de savoir si toutes les langues du monde sont apparentées, mais pourquoi il a fallu si longtemps à la communauté linguistique pour s’en apercevoir. »

Décédé en 2021, Merrit Ruhlen aurait certainement apprécié et étudié la découverte récente de l’omniprésence des racines kamito-somali dans toutes les familles linguistiques du monde ainsi que dans la liste des racines mondiales présentées dans son livre. Même si des études plus approfondies seront nécessaires, le « ri-in-kamit » parlé il y a environ 6 000 ans et le somali moderne formeraient un axe couchitique qui permet de confirmer l’hypothèse de Merrit Ruhlen concernant une langue originelle commune à toute l’humanité et dont l’épicentre linguistique se situerait dans la Corne de l’Afrique.

Des linguistes et des auteurs somalophones, tels qu’Osman Abdinour Hashi, Rachid Ibrahim Mohamed ou Abdi Good Abees clament que le somali est la langue la plus proche de celle parlée par nos plus lointains ancêtres que sont Aadan et Haawa. Faisant office de pont entre une étude purement scientifique et des études basées sur une langue à forte tradition orale, les racines kamito-somali corroborent les hypothèses de Merrit Ruhlen et de ces linguistes et auteurs somalis susmentionnés. Dans les trois prochains articles, nous allons faire un tour du monde de racines kamito-somali et de mots issus de la langue originelle est-africaine qui auraient traversé le temps et les territoires jusqu’à atteindre notre époque et tous les confins de la planète.

ABI-PAUL LACLé