Le Transnational RedSea Center, une initiative suisse conjuguant science et diplomatie en faveur de l’étude et de la préservation des coraux de mer Rouge, « refuge » corallien le plus prometteur au monde, vient d’achever mercredi dernier une mission scientifique de douze jours dans le golfe de Tadjourah en collaboration avec ses partenaires djiboutiens et soudanais.

Avec le soutien du Ministère de l’Environnement et du Développement durable et la participation de l’Université et du Centres d’Etudes et de Recherches de Djibouti (CERD) ainsi que de l’Université de la mer Rouge à Port Soudan, cette mission pluridisciplinaire a permis d’observer la parfaite santé des récifs en plusieurs endroits du littoral malgré une température de l’eau à son quasi maximum annuel.

Cette nouvelle mission conjointe, après celle menée en juillet-août dans le nord du golfe d’Aqaba, complète les bases du tout premier état des lieux de l’écosystème corallien et de la biodiversité à l’échelle de la mer Rouge en cours d’élaboration. Toutes deux s’inscrivent dans le cadre de la diplomatie scientifique promue par le TRSC avec le soutien officiel de la Confédération helvétique.

A Djibouti, les coraux du golfe de Tadjourah se portent à merveille, et ce qui devrait être une évidence n’appelant aucun commentaire particulier mérite en réalité d’être amplement souligné. Le long des côtes de ce pays de la Corne de l’Afrique situé à l’extrémité sud de la mer Rouge, ces animaux vivant en colonies à la base d’écosystèmes complexes, riches et essentiels à la vie sous-marine – et humaine! -, offrent un chatoiement de formes et de couleurs particulièrement réjouissant. Coraux branches, plateaux ou massifs, ils abritent une myriade de poissons multicolores quand partout ailleurs dans le monde, à l’exception de la mer Rouge, leurs congénères meurent massivement des effets du réchauffement climatique. Une catastrophe écologique qui fait peser une menace nous moins massive sur les populations vivant directement et indirectement de leurs services, au premier rang desquelles la pêche et le tourisme. Cette bonne santé exceptionnelle des coraux de Djibouti, c’est la réalité porteuse d’espoir que le Transnational RedSea Center a pu observer lors de la mission scientifique qu’il a effectuée dans les eaux djiboutiennes du 16 au 28 septembre.

Malgré une température moyenne de l’eau de 31 degrés – son quasi maximal annuel – qui devrait les stresser, aucun signe particulier de blanchissement (la rupture de la symbiose entre le corail et la micro-algue qu’il abrite et qui lui apporte sa couleur, mais aussi et surtout ses nutriments) n’a été détecté sur les six sites inventoriés par la mission entre les îles Moucha et Mascali, à Ras Corali, Goubet ainsi qu’à proximité de Tadjoura et d’Obock.

« Sur chacun des six sites sur lesquels nous avons mené nos différents programmes scientifiques, nous avons été frappés par la très bonne santé générale et la très grande diversité des coraux de Djibouti », s’enthousiasme le Prof Anders Meibom, directeur du Transnational RedSea Center, une initiative suisse créée en 2019 à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et conjuguant science et diplomatie en faveur de l’étude et de la préservation des coraux de mer Rouge, avec le soutien du Département fédéral suisse des Affaires étrangères (DFAE). « Cette très bonne santé ne nous surprend pas vraiment, à vrai dire. Elle nous conforte au contraire dans le fait que les coraux de mer Rouge sont particulièrement résistants à la hausse de la température de l’eau. Celle-ci était en moyenne à 31 degrés durant notre mission, son quasi maximal saisonnier, soit bien au-delà de ce que les autres coraux peuvent supporter dans d’autres régions du monde », poursuit le chercheur. « Notre hypothèse est que les coraux de mer Rouge ont développé cette résistance il y a des millions d’années quand, à l’issu du dernier Age Glaciaire la mer Rouge a été reconnectée à l’ocean Indien, ils ont re-colonisé celle-ci en passant par une région extrêmement chaude: le bab el-Mandeb, entre Djibouti et le Yémen. Ils se sont alors progressivement adaptés à ces très fortes températures jusqu’à développer ces caractéristiques génétiques qui les rendent uniques et fait de facto de la mer Rouge le dernier « refuge » corallien au monde », explique le Prof Meibom, l’un des initiateurs du TRSC. « Autant dire que dans ces conditions, les coraux de mer Rouge et de Djibouti constituent l’une de nos rares chances que subsiste un dernier récif corallien majeur d’ici le milieu du siècle. Il est est donc urgent de les préserver des sources de pollution et de destruction locales », insiste le Prof Meibom. « C’est toute l’ambition du Transnational RedSea Center en  étroite collaboration avec ses partenaires régionaux, académiques et gouvernementaux. »

Lors de la mission à Djibouti, le TRSC a mis en œuvre cinq programmes scientifiques de base portant sur 1) l’évaluation de la réponse métabolique des coraux au stress thermique afin d’estimer leur potentiel d’adaptation au réchauffement climatique; 2) la structure, la dynamique et le potentiel d’adaptation des populations de récifs coralliens grâce à la génomique des paysages marins ; 3) l’estimation des assemblages d’espèces coralliennes grâce au métabarcodage de l’ADN environnemental (ADNe); 4) l’évaluation de l’impact de la pollution par les plastiques et les métaux-traces; et 5) la cartographie 3D des récifs coralliens peu profonds grâce à l’apprentissage automatique.

Le TRSC entend déployer ces programmes de façon systématisée sur tout le pourtour de la mer Rouge dans le cadre de son expédition 2022-2025 dans le but d’établir le tout premier état des lieux de l’écosystème et de la biodiversité des récifs coralliens à l’échelle de l’ensemble de la mer Rouge. Les résultats de ces programmes ont pour vocation à être mis à disposition des acteurs gouvernementaux de la région pour contribuer à l’élaboration de politiques de conservation pertinentes et efficaces.

Pendant douze jours, la mission a rassemblé une équipe multinationale comptant, outre des chercheurs et étudiants de plusieurs laboratoires de l’EPFL, des enseignants, techniciens et étudiants de l’Université de Djibouti, du CERD ainsi que de l’Université de Djibouti. La mission vise en outre à sensibiliser la communauté scientifique régionale à la spécificité des coraux de mer Rouge et aux enjeux de préservation qui en découlent, en l’associant pleinement à une initiative de long terme dont le but est aussi de susciter des vocations ou de renforcer des compétences dans le domaine des sciences matines.

Dans cet esprit, au terme de la mission, un groupe d’une quinzaine d’étudiants et étudiantes en sciences de l’Université de Djibouti a effectué mercredi une visite à bord du bateau de la mission pour aller à la rencontre de l’équipe scientifique et des programmes de la mission.

Tous les résultats de la mission serons mis à disposition des autorités et des partenaires académiques de Djibouti dans un esprit de partage des connaissances ainsi accumulées.

Mohamed Chakib