
Dans les rues animées de Balbala, un modeste salon de beauté attire chaque jour une clientèle fidèle. Derrière ses rideaux colorés et ses miroirs soigneusement alignés se cache bien plus qu’un espace de coiffure ou de maquillage : pour de nombreuses femmes, cet endroit est devenu un véritable lieu de répit, de partage et d’émancipation.
Reportage.
Ici, tout semble conçu pour que chacune se sente unique. On y pénètre comme on entrerait chez une amie : avec un sourire, un thé parfumé, un mot gentil. Rien à voir avec les salons impersonnels du centre-ville où le rythme effréné laisse peu de place à l’écoute. « Je voulais un endroit à taille humaine, où chaque cliente est accueillie comme une invitée d’honneur », raconte Amina, la fondatrice, tout en ajustant une coiffe sur la tête d’une mariée rayonnante.

Amina, 28 ans, est une enfant du quartier. Fille aînée d’une fratrie de cinq, elle a grandi à Balbala et connaît chaque ruelle. Après avoir obtenu son diplôme, elle s’est inscrite au Centre d’Apprentissage et de Services Sociaux et de Formation de Balbala (CASSAF). Là, elle s’est formée aux techniques de coiffure, de maquillage et de soins esthétiques. Une opportunité rendue possible grâce à un partenariat entre le ministère de la Femme et de la Famille et l’Union Nationale des Femmes Djiboutiennes (UNFD), deux acteurs majeurs de l’autonomisation féminine dans le pays.
« À l’époque, mes parents n’avaient pas les moyens de m’envoyer faire de longues études. Mais je voulais apprendre un métier. Au CASSAF, j’ai trouvé une famille et un tremplin », se souvient-elle. Après sa formation, Amina a d’abord travaillé dans plusieurs salons de la capitale. Puis, en 2020, forte de ses économies et d’un petit prêt soutenu par un programme d’accompagnement de l’UNFD, elle ouvre enfin son propre établissement, ici même, à PK12.
Choisir Balbala n’était pas un hasard. Le quartier, qui s’étend du PK12 au PK20, abrite une population nombreuse, majoritairement jeune et féminine. Pourtant, jusqu’à récemment, les services de proximité y étaient rares, notamment en matière de soins de beauté.
« Avant, pour une simple coiffure ou un maquillage de cérémonie, il fallait traverser la ville jusqu’au Plateau ou à Gabode », explique Amina. « Pour une mariée, faire 12 kilomètres sous la chaleur, dans un taxi, avec un voile et une coiffure fragile, c’était souvent catastrophique. »
La situation n’était pas seulement inconfortable : elle exclut aussi celles qui n’avaient ni le temps, ni les moyens de payer un transport coûteux. Résultat, beaucoup renonçaient à ces petits moments de soin qui contribuent pourtant au bien-être et à la confiance en soi. « Le jour où j’ai ouvert ce salon, je voulais que chaque femme du quartier puisse venir se faire belle à pied si elle le souhaite, sans stress ni dépenses excessives », confie-t-elle. Très vite, le bouche-à-oreille fait son effet. Le salon attire d’abord les voisines, puis les amies des voisines. Aujourd’hui, Amina accueille des clientes venues de PK13, PK14 et même du quartier Nassib. « Ce qui me touche le plus, c’est de voir des jeunes filles, des mères de famille, des femmes âgées, toutes différentes, entrer ici avec leurs histoires et repartir le sourire aux lèvres », dit-elle.
Le salon emploie aujourd’hui quatre jeunes femmes, elles aussi formées au CASSAF. Toutes partagent la même philosophie : écoute, respect et bienveillance. « Parfois, on est psychologue, parfois confidente », sourit Najma, l’une des coiffeuses. « Ici, on ne vend pas seulement une coupe ou un soin, on vend un moment de répit, loin des soucis du quotidien. »
Témoignages de clientes satisfaites
Halimo, 34 ans, mariée et mère de deux enfants, habite à PK13. Depuis qu’elle a découvert le salon d’Amina, elle y vient toutes les deux semaines pour entretenir ses cheveux. « Avant, j’allais en ville, mais c’était trop compliqué avec les enfants. J’ai arrêté les soins, mes cheveux étaient abîmés. Depuis que ce salon existe, je revis. Je me sens belle, soignée, et en plus je n’ai pas à payer un taxi ! »
Aicha, 25 ans, se souvient quant à elle du stress de son mariage : « Franchement, ce salon m’a sauvée ! La veille du mariage, Amina m’a coiffée, maquillée, habillée. Tout était parfait, sans que j’aie à bouger du quartier. Le prix était trois fois moins cher qu’en ville. »
Sur un fauteuil voisin, Fatouma, une cliente plus âgée, acquiesce. « Moi, je viens ici pour me détendre. Je fais des soins du visage, un massage. On discute, on rit. Ça fait du bien de se sentir écoutée et chouchoutée, surtout quand on n’a pas beaucoup de moyens. » Le salon propose une gamme complète de prestations : soins du
visage, manucure, pédicure, coiffure moderne ou traditionnelle, tresses, henné, massages relaxants… Tout est pensé pour répondre aux besoins d’une clientèle variée, avec un budget accessible. « Même pour les mariages, nous avons des forfaits qui tiennent compte du budget de chacune », explique Amina.
Les produits utilisés sont soigneusement sélectionnés. « Nous privilégions des marques reconnues, mais aussi des gammes naturelles et respectueuses de l’environnement », souligne-t-elle. « Nos clientes méritent le meilleur, sans danger pour leur santé ni pour la planète.»
Un lieu de solidarité féminine
Au-delà des prestations, le salon est aussi devenu un lieu de solidarité. « Il arrive que certaines clientes n’aient pas de quoi payer tout de suite. Parfois, on accorde un petit délai. On ne ferme la porte à personne », confie Najma. Par ailleurs, Amina organise ponctuellement des ateliers pour apprendre aux jeunes filles des techniques de coiffure ou de maquillage de base. « Je veux transmettre ce qu’on m’a donné », insiste-t-elle.
Ce rôle social n’est pas passé inaperçu. Pour le ministère de la Femme et de la Famille, ce type d’initiative est un exemple concret de l’impact des programmes d’autonomisation. « Former, accompagner, puis voir ces jeunes femmes créer des emplois et dynamiser leur quartier, c’est exactement l’objectif », souligne un responsable du CASSAF.
Avec le succès grandissant, Amina envisage déjà d’agrandir son salon. « J’aimerais créer un deuxième espace, avec plus de fauteuils, peut-être même proposer des soins capillaires spécifiques pour les femmes ayant des problèmes de cuir chevelu. Et pourquoi pas ouvrir une petite boutique de produits naturels fabriqués localement », rêve-t-elle.
Mais au-delà de l’aspect commercial, Amina garde les pieds sur terre. « Mon but, ce n’est pas de devenir riche. Mon but, c’est de continuer à offrir un service de qualité, ici, pour mes voisines, mes sœurs. Et de donner du travail à d’autres jeunes femmes qui, comme moi, ont envie de se battre pour leur indépendance. »
Pour de nombreuses femmes de Balbala, le salon d’Amina est bien plus qu’un simple commerce. C’est un symbole de ce qui est possible lorsque les initiatives locales sont soutenues. « Dans nos quartiers, beaucoup de jeunes filles ont du talent mais manquent d’opportunités », note Halimo. « Amina nous montre qu’avec du courage et un peu de soutien, on peut changer les choses. »
Dans un pays où la question de l’emploi féminin reste un enjeu majeur, ce petit salon, avec ses murs joliment décorés et son parfum de henné, illustre à sa manière une dynamique plus large : celle d’une génération de femmes qui osent entreprendre, s’entraider et bousculer les habitudes.
Alors qu’Amina termine une tresse minutieuse sur une cliente, une autre pousse la porte, voilée et souriante, prête pour un soin du visage. « On se sent bien ici », glisse-t-elle, avant de s’installer. Le bruissement léger des conversations, le ronronnement du sèche-cheveux et le parfum subtil des huiles rappellent qu’ici, la beauté est avant tout une affaire de respect, de dignité et de proximité.
Une source d’inspiration
Dehors, le soleil tape sur les toits en tôle de PK12. À l’intérieur, le salon reste un cocon frais, animé par les rires et les discussions. Pour celles qui franchissent cette porte, il ne s’agit pas seulement de repartir maquillées ou coiffées. Elles en sortent avec quelque chose de plus précieux encore : un regain de confiance, un sentiment d’appartenance et la certitude que, même dans un quartier populaire, la beauté peut rimer avec dignité et autonomie.
Au fil des mois, ce petit salon est devenu un modèle. D’autres jeunes femmes du quartier viennent parfois demander conseil à Amina. « Elles veulent savoir comment s’y prendre pour lancer leur propre activité. Je leur dis toujours : commencez petit, formez-vous bien, restez honnêtes et proches de votre communauté. C’est ça, le secret », conclut-elle en souriant.
Neima Aden