Dans l’ombre d’un monde qui détourne les yeux, le sang palestinien coule, cri muet d’une humanité fracturée. Pourquoi ce silence assourdissant face à l’innommable, sinon parce que certaines vies pèsent moins dans la balance cynique des pouvoirs ? Levinas nous le rappelle : l’Autre est le miroir de notre dignité. En ignorant la Palestine, c’est notre propre humanité que nous abandonnons…car nommer l’injustice, c’est déjà rallumer la flamme fragile de la justice.

Dans l’immensité indifférente de notre monde actuel, le sang palestinien continue de couler, s’infiltrant dans une terre saturée de souffrances. La Palestine : un nom qui pour certains n’évoque qu’un lointain écho, une note discordante dans la symphonie bien rodée des intérêts géopolitiques. Pour d’autres, c’est un cri étouffé dans la gorge de l’Histoire. Jour après jour, notre indifférence collective érige un monument à notre capacité à détourner le regard devant l’insupportable. Cette négligence humaine, impardonnable, ne peut trouver justification dans l’immensité cosmique. Car il s’agit ici de la négation systématique des droits, de l’humanité même, du peuple palestinien.

Un massacre sans précédent, direz-vous ? Les mots eux-mêmes semblent reculer, timides, face à l’ampleur de ce qui échappe à notre compréhension ou, pire, à notre volonté de voir. Comment nommer l’innommable alors que le lexique de la conscience collective semble avoir perdu les pages décrivant l’agonie d’un enfant palestinien ?

Amnésie collective ? Ou anesthésie sélective ? La mémoire, voyez-vous, est une faculté étrangement docile. Elle se souvient avec une clarté fulgurante de certaines souffrances, érige des monuments à certaines victimes, n’affirme « plus jamais ça » pour des épisodes sombres particuliers. Nelson Mandela nous rappelait que « priver les gens de leurs droits fondamentaux revient à contester leur propre humanité ».

Cette dénégation n’est pas un accident, mais le fruit d’un système méthodique, rappelant l’apartheid. Son compagnon de lutte de Mandela, après avoir visité les territoires palestiniens, l’a constaté: « Durant notre bref séjour ici, nous avons vu et entendu assez pour conclure que l’apartheid prend vie ici. Dans sa nouvelle incarnation, il est pire que son prédécesseur. » Mais alors, pourquoi ce silence assourdissant ? Pourquoi cette amnésie sélective ? La réponse est terrifiante : toutes les vies n’ont pas la même valeur dans l’arithmétique macabre de notre monde. Certaines morts nous révoltent, d’autres sont reléguées au rang de simples statistiques, de dommages collatéraux. La question, lancinante et terrible, se pose alors : toutes les vies ont-elles la même importance ? Oh, les lieux d’expression n’ont qu’une réponse : les chartes universelles le proclament avec une noble intention qui force l’admiration sur le papier glacé. Mais dans le creuset brûlant de la réalité, là où les corps souffrent et le sang est versé, cette universalité si fièrement affirmée devient-elle une illusion cruelle ? Un enfant de Gaza, dont les rêves sont ensevelis sous les décombres avant même d’éclore, pèse-t-il le même poids sur la balance de notre humanité qu’un enfant né sous une étoile plus clémente ?

Si sa larme n’émeut pas de la même façon, si son cri ne rompt pas le voile du confort occidental, si sa mort n’est qu’une statistique dans un “conflit complexe”, alors non. Alors, la réponse effroyable est que certaines vies sont, de fait, moins précieuses.

Deux poids deux mesures érigés en dogme

Non par décret divin ou loi naturelle, mais par le silence complice, l’indifférence calculée, le deux poids deux mesures érigé en dogme par ceux qui ont le pouvoir de parler, et de ne pas parler. Martin Luther King nous avertissait pourtant : « La moindre injustice, où qu’elle soit commise, menace l’édifice tout entier ». Cette vérité semble oubliée lorsqu’il s’agit de la Palestine, où l’injustice quotidienne est traitée comme une exception regrettable. Pouvons-nous encore plaider l’ignorance face aux images, aux témoignages, aux rapports documentant les violations du droit international ? Desmond Tutu l’a proclamé avec force : « Si vous êtes neutres dans des situations d’injustice, vous avez choisi le camp de l’oppresseur ». Notre silence nous rend collective complice. La Palestine n’est pas seulement un conflit parmi d’autres. Elle est le reflet de notre humanité fracturée, de notre incapacité à vivre les valeurs universelles que nous prétendons défendre.   

Angela Davis souligne cette responsabilité partagée: «Les militants palestiniens soutiennent depuis longtemps la lutte du peuple noir contre le racisme. Nous avons la profonde responsabilité de soutenir les luttes des Palestiniens ». En acceptant que certaines vies valent moins que d’autres, nous légitimons toutes les formes d’oppression, toutes les dominations.

Irène Khan, ancienne secrétaire générale d’Amnesty International, le rappelle : « Il ne peut pas y avoir de paix sans justice et respect des droits humains ». La véritable paix est à l’opposé du silence des cimetières que certains souhaitent imposer au peuple palestinien.

Le massacre en Palestine n’est pas seulement une tragédie pour les Palestiniens, c’est une tragédie pour l’humanité entière. Cette indifférence collective révèle une vérité dérangeante: nous avons accepté, tacitement, que certaines vies valent moins que d’autres. Cette acceptation nous diminue tous. Cela dit, une lutte qui ne place pas la dignité humaine au cœur de ses préoccupations n’en est pas une. En fermant les yeux sur de telles atrocités, nous nous dépouillons de cette part d’humanité qui fait de nous des êtres liés par une conscience commune.

À force de détourner le regard, nous éteignons l’essence même de ce qui nous rend humains : la capacité à aimer notre prochain, à reconnaître en l’autre un frère dont nous sommes les gardiens.

Si nous laissons l’indifférence nous réduire à des âmes sans conscience, nous renonçons à la vocation la plus haute de l’humanité : celle de porter, ensemble, la flamme fragile de la justice et de la compassion.

En abandonnant la Palestine, c’est nous-mêmes que nous abandonnons, et avec nous, l’espoir d’un monde où chaque vie serait enfin reconnue comme sacrée.

Said Mohamed Halato