
Jadis symbole de pollution, le plastique trouve aujourd’hui une seconde vie à Djibouti, grâce à un projet de recyclage aussi ambitieux qu’ingénieux. L’initiative émane d’un écosystème de partenariat : ADDS, OVD, UNICEF, MENFOP et OIM, qui dans le cadre du projet d’appui du Plan d’action genre accompagnant la construction du Centre d’Enfouissement Technique (CET), compte faire des plastiques collectés en matériaux de construction écologiques tels que des briques, des pavés, des équipements scolaires. Des constructions pilotes commencent à prendre forme. Des salles aux murs faits de briques… en plastique recyclé, surgissent à Djibouti notamment au siège de l’ADDS, de l’OVD, du MENFOP, de l’UNICEF ainsi que sur le site du refuge animalier DECAN à une dizaine de km du centre-ville. Reportage sur ce projet novateur transformant une problématique écologique d’envergure en un levier de développement économique et social.

Il est neuf heures du matin, et déjà le soleil tape fort au siège de l’Agence Djiboutienne de Développement Social (ADDS) sis au plateau du Serpent dans la commune de Ras-Dika. Sur un chantier juxtaposé au bâtiment servant de direction générale à cette agence, des ouvriers s’activent à assembler des blocs rectangulaires de couleurs foncées et d’aspect étrange. Rien ne les distingue d’une brique traditionnelle… sauf leur origine, du plastique recyclé.
« Cette salle, c’est une première pour nous. Elle est intégralement construite avec des briques recyclées issues de déchets plastiques », explique avec fierté Mahdi Mohamed Djama, directeur général à l’ADDS. Son doigt pointe le mur encore frais de la salle en cours d’achèvement, la première du genre à Djibouti. « La valorisation et le recyclage des déchets en plastiques jouent un rôle essentiel pour la protection de l’environnement que pour la création d’emploi » nous dit-t-il enthousiasmé de voir les premiers fruits du projet de recyclage des déchets plastiques. Un projet qui tire également son importance dans le domaine de création d’emplois.
Conçu à partir d’un modèle déjà opérationnel à Abidjan en Côte d’Ivoire, le projet, semblait au départ presque utopique. Pourtant, sur le terrain, les preuves s’accumulent, les constructions pilotes prennent forme, au siège de l’ADDS mais également à l’OVD, au MENFOP, à l’UNICEF et au refuge DECAN à Douda. À l’origine de ces murs, il y a pourtant tout un travail laborieux.
Tout commence en juin 2023, lorsqu’une délégation djiboutienne composée de hauts cadres de l’Agence djiboutienne de Développement sociale (ADDS), de l’Office de la Voirie de Djibouti (OVD), du Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFOP), du Ministère de l’Environnement et du Développement Durable (MEDD), se rend en Côte d’Ivoire. Initiée et financée par l’UNICEF, cette visite où également des membres du bureau local de l’OIM ont pris part, a permis aux membres de la délégation djiboutienne de s’imprégner du processus de transformation des objets usagés en plastique, en matériaux de construction durables et adaptés à des environnements difficiles.

Vers une production à grande échelle… Aussitôt, de retour à Djibouti, les institutions impliquées s’associent et entreprennent une étude de faisabilité du projet. Cette évaluation technique et économique a permis de déterminer les conditions nécessaires à l’implantation d’une unité de production locale. Les premières briques produites localement affichent une solidité impressionnante. Elles résistent mieux à la chaleur que les matériaux traditionnels, et leur coût de production est maîtrisé. Forts de ce constat, les partenaires ont lancé la mise en place de plusieurs constructions pilotes à base de briques plastiques, installées sur des sites à l’ADDS, au MENFOP, à l’OVD et au refuge DECAN. Ces premiers édifices ont servi de bancs d’essai permettant d’évaluer la résistance des matériaux, leur comportement face à la chaleur, aux intempéries, et leur intégration dans le tissu urbain local. Les résultats ici aussi sont probants.
Face à ce succès fulgurant, l’ADDS qui a bénéficié d’un financement de l’UNICEF dans le cadre de ce projet d’appui à la mise en œuvre du Plan d’action genre, envisage déjà un passage à grand échelle.
Pour y parvenir, il s’avère nécessaire pour l’ADDS de l’intégrer à celui de construction du futur centre d’Enfouissement Technique (CET) financé de l’Union européenne via l’AFD à hauteur de 16 millions d’euros, dont elle a débuté les travaux, il y a quelques mois de cela, à Chebelley.
D’une pierre deux coups, l’ADDS maître d’œuvre de ces deux projets compte installer une unité de transformation des déchets en plastique, à proximité de ce centre. Les objectifs sont les uns plus importants que les autres.
En effet, l’initiative permettra selon ses concepteurs, d’une part de réduire la pollution plastique, un enjeu crucial pour préserver l’environnement et les ressources naturelles du pays et d’introduire sur le marché de la construction des produits bioclimatiques issus du plastique recyclé, notamment des briques en plastique, des pavés et divers équipements scolaires mais elle est également porteuse d’opportunités d’emploi tout en améliorant les conditions de travail des chiffonniers qui récupèrent et trient les déchets sur la décharge actuelle.
À terme, ce seront des dizaines d’écoles, de dispensaires, et même de bureaux administratifs qui pourraient sortir de terre, bâtis avec ce que la société rejetait hier.
Dorénavant, si autrefois les déchets plastiques étaient synonymes de pollution et de risques sanitaires, ils sont aujourd’hui au cœur d’un projet novateur qui suscite déjà un vif engouement.
Des connexions internationales… En février 2025, un entrepreneur allemand spécialisé dans le recyclage a fait le voyage jusqu’à Djibouti. Séduit par les avancées rapides du projet, il a exprimé un vif intérêt pour l’installation d’une unité de production en partenariat avec les autorités locales. Des discussions sont en cours avec l’ADDS, l’OVD et l’UNICEF pour formaliser cette collaboration qui pourrait ouvrir la voie à d’autres investissements internationaux.
Pour sa part, l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) qui réalise un projet similaire à Obock, a soutenu deux missions d’échange, respectivement à Abidjan et à Dakar. Ces déplacements, dirigés notamment par le président du Conseil régional d’Obock, ont permis aux autorités locales de s’immerger dans d’autres expériences africaines de recyclage et de valorisation des déchets.
Au fond, ce projet dépasse la seule logique du recyclage. Il dessine une vision intégrée de l’économie circulaire, où chaque bouteille, chaque sachet usagé peut devenir une brique. Il s’inscrit aussi dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, en limitant l’incinération et l’enfouissement qui polluent l’air et épuisent les sols.
RACHID BAYLEH