Le mardi 3 février 1976, à Djibouti, capitale du Territoire Français des Afars et des Issas (TFAI), quatre jeunes djiboutiens, combattants du Front de Libération de la Côte des Somalis (FLCS) prennent en otage un autobus rempli d’enfants des militaires français. L’affaire se termine dans le sang, à Loyada, à la frontière entre Djibouti et la Somalie. Derrière ce fait dramatique, une revendication : l’indépendance immédiate de ce territoire encore sous tutelle coloniale française. Cette opération spectaculaire révèle au monde entier la profondeur de la contestation anticoloniale à Djibouti et marquera un tournant dans le processus vers l’indépendance, acquise un an plus tard.

Retour, sur ce tournant de l’histoire d’un peuple en quête de liberté.

C’était un mardi matin, d’une époque de la guerre froide où il y avait d’une part, une empire colonial qui ne voulait pas céder cette position stratégique et de l’autre une jeunesse djiboutienne en quête d’une liberté. Las de voir tous les jours des victimes parmi les leurs, ils adoptèrent une nouvelle forme de revendication de l’indépendance: celle de la lutte armée. Assassinats, enlèvement de l’ambassadeur de France à Mogadiscio (1975), attaques contre des postes de gendarmeries,…les actions se multiplient et les représailles aussi.

Le FLCS créé en 1960 par Mahamoud Harbi attire une jeunesse militante, convaincue que seule une action spectaculaire peut réveiller les consciences. C’est dans cet esprit que quatre jeunes hommes âgés de 19 à 24 ans, Yacoub Dirir Diraneh, Abdourahman Waïs Farah, Moussa Barkad Bouraleh (Bacadu), et Houssein Abdillahi Bouh dit «Moukalkal» décident, de frapper un grand coup. Ils sont peu expérimentés, mais déterminés.

Un mardi 3 février 1976, ils passent à l’action. Il est 6h 30 du matin, les grands bus de transports d’enfants, commencent à s’aligner, sur le terrain, en face de l’entrée de la gigantesque base aérienne 188, de l’armée française sise à Ambouli près de l’aéroport de Djibouti. Parmi eux, le car n°5 qui devait emmener les plus jeunes, ceux de l’école primaire, alors âgés de 6 à 12 ans. A son bord une trentaine enfants de militaires français et un militaire non armée qui assure l’ordre dans le bus. Celui-ci prend la route circulaire et se dirige vers la cité ‘‘Progrès’’, un quartier résidentiel où logent des familles françaises pour récupérer des enfants et les emmener vers les établissements, en plein centre-ville. Il s’arrête devant un Kiosque à proximité du 3ème arrondissement.

Soudain, quatre hommes armés font irruption, maîtrisent le militaire, prennent le contrôle du véhicule et ordonnent au chauffeur de prendre la route de Loyada, à la frontière avec la Somalie.

Arrivés à Loyada,  ils espèrent passer en territoire somalien. Mais, contre toute attente, le gouvernement de Mogadiscio leur ferme la frontière. Cette décision, place les ravisseurs dans une impasse. Coincés, encerclés, mais résolus, ils se préparent à un bras de fer avec Paris.

Leur revendication est claire : le départ de 6000 ressortissants français de Djibouti ; l’indépendance immédiate de Djibouti et la libération des tous les prisonniers politiques.

Dans la nuit du 4 février, un avion militaire transportant 9 tireurs d’élite du groupement d’intervention de la gendarmerie, se pose sur le tarmac de l’aéroport de Djibouti. Pendant près de 30 heures, les négociations s’enlisent. Les autorités françaises refusent de céder aux exigences du FLCS. En coulisse, elles cherchent à gagner du temps. Une infirmière militaire est autorisée à monter dans le bus pour distribuer de l’eau. De la part des preneurs d’otage c’était un acte humain car celle-ci devait leur fournir de l’eau, de la nourriture et des soins, mais sa mission réelle est tout autre : elle doit observer. Elle découvre que l’autobus n’est pas piégé, que les armes sont rudimentaires, et que les ravisseurs sont peu expérimentés. C’est le déclic.

La France décide d’en finir par la force. Malgré la difficulté du terrain, désertique, sans couverture, à proximité immédiate de la frontière somalienne, les tireurs d’élite prennent position.  Hassan Gouled, alors chef de file incontesté de la LPAI, qui avait condamné cet acte, proposa au commissaire par l’intermédiaire de son ami et avocat français Maître Alain Martinet de s’interposer pour que les otages soient libérés sains et saufs et éviter ainsi que ce détournement ne se termine par une tragédie. Mais cette proposition ne sera malheureusement pas retenue par le pouvoir colonial qui évitait sans doute de l’admettre comme un leader incontournable sur l’échiquier politique. Son parti, la LPAI, sera même accusé d’être responsable du détournement et ses principaux dirigeants, dont Ahmed Dini, seront mis sous les verrous.

À 15h45, l’assaut est donné. Les tirs claquent. En quelques minutes, l’enfer s’abat sur le bus. Le bilan est tragique, deux enfants français sont tués. Une petite fillette, Nadine, meurt sur le coup, une autre, Valérie Geissbuhler succombe quelques heures plus tard à ses blessures. Un petit garçon, Franck Rutkowski, est emmené jusqu’à Mogadiscio par les indépendantistes avant d’être libéré une semaine plus tard.

Du côté des preneurs d’otages, seul Houssein Abdillahi Bouh (Mukhalkhal), est touché en pleine tête et décède sur le coup. Abdourahman Waïs Farah est légèrement blessé.

À Djibouti, dans le TFAI, l’émotion est vive. La communauté française est sous le choc. Dans les quartiers populaires, on salue le courage de ces jeunes qui, au péril de leur vie, ont voulu attirer l’attention sur le sort de leur peuple.

Depuis cette histoire le GIGN, entre dans la légende. Mais au-delà de cette opération, c’est la cause de l’indépendance qui gagne en légitimité et en visibilité. Elle a également mis en lumière l’incapacité de la France à répondre des revendications légitimes autrement que par la force.

Mais ce que nous pouvons retenir de cette histoire c’est l’acte héroïque de ces quatre jeunes hommes qui, sans réelle formation militaire, ont par leur geste imposé à la communauté internationale de se pencher sur la réalité d’un peuple en quête d’indépendance. Leur action, aussi controversée soit-elle, a brisé le mur du silence et a accéléré le processus de la souveraineté nationale.

En mai 1977, un référendum supervisé par l’ONU est organisé. Cette fois, l’indépendance l’emporte à une majorité écrasante. Le 27 juin 1977, la République de Djibouti est proclamée. La dernière colonie française d’Afrique devient un État souverain.

RACHID BAYLEH