
Avec plus de 1400 ans regorgeant d’histoires, d’événements, de faits et de personnages méconnus, nous allons ensemble sonder les profondeurs du temps pour en faire ressortir quelques perles durant ce mois béni du Ramadan.
« Ô, mon Seigneur, accroît mes connaissances ! » Combien d’étudiants de Djibouti et du reste du monde musulman ont prononcé cette « dou’a » (invocation) du signe de la 20ème sourate du Saint-Coran avant des examens cruciaux pour leur réussite scolaire ? L’éducation de manière générale et l’éducation religieuse de manière particulière, sont des piliers sur lesquels se sont toujours basées les sociétés musulmanes. La pérennisation de ces dernières repose en grande partie sur la robustesse de ces piliers, raison pour laquelle l’effondrement de ces piliers provoque inéluctablement une décadence sociétale qui met en péril l’avenir des futures générations. Nous allons parler ici d’une femme musulmane érudite et philanthrope qui a édifié, il y a environ 1200 ans, un pilier sur lequel repose toutes les universités du monde, rien que ça.
Fatima bint Muhammad Al-Fihriya, plus connue sous le nom Fatima Al-Fihri, est née dans la ville de Qayrawaan (Kairouan, actuelle Tunisie) vers l’an 800 de notre ère. Selon la chronique historique Rawd al-Qirtas (Le Jardin de Papier), écrite au 14ème siècle par Ibn Abi Zar, le père de Fatima, Muhammad al-Fihri al-Qayrawwani, était un marchand arabe prospère. Durant son adolescence, elle émigra avec sa famille jusqu’à Fès (actuel Maroc). Quelques années plus tard, elle fut endeuillée par les décès consécutifs de son père, de son frère et de son mari. Par conséquent, elle et sa sœur Mariam héritèrent d’une grosse fortune. Femmes pieuses et sensibles aux besoins de leur communauté, Fatima et Mariam al Fihri voulaient utiliser cette fortune à bon escient. C’est ainsi que les deux sœurs multiplièrent les œuvres de charité. Tout d’abord, Mariam construisit la mosquée Al-Andalous. Ensuite, Fatima planifia la construction d’une mosquée et d’une « madrassa » (lieu d’enseignement). Le premier jour du Ramadan 859, elle et sa sœur déposèrent les premières pierres de la mosquée de Qarawiyyin dont le nom était un clin d’œil à leur ville natale. N’étant pas du genre à lésiner sur les moyens, Fatima al-Fihri s’entoura des architectes et des artisans les plus qualifiés pour construire un complexe ambitieux : de grandes arcades, une cour en céramique avec une fontaine destinée aux ablutions, une grande salle de prière, un haut minaret, une bibliothèque et un espace de prière destinés aux femmes. Le nombre restreint de sources historiques nous empêche d’en savoir plus sur la vie de Fatima Al-Fihri, sa mort aurait eu lieu aux alentours de l’an 878. Dans le contexte de l’époque, la vision et la contribution à l’essor de sa communauté révèlent l’altruisme et la grandeur d’esprit d’une grande femme musulmane. Elle n’avait sans doute pas imaginé que son institution se transformerait au fil du temps, au point de devenir une université de renom et un vestige de la civilisation islamique. L’historien Mohammed Al-Manouni a écrit que la mosquée de Qarawiyyin devint un lieu officiel d’enseignement supérieur délivrant des diplômes entre 1040 et 1147. Bien que le corps étudiant n’était composé que de garçons et d’hommes, les filles et les femmes intéressées par l’apprentissage disposaient d’espaces d’où elles pouvaient écouter les discussions et rédiger des questions à envoyer à l’enseignant. Si elles manifestaient leur intérêt, elles pouvaient bénéficier d’un enseignement personnalisé. Fatima al-Fihri y aurait elle-même étudié la jurisprudence islamique et les mathématiques. Servant de pont de connaissances entre l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe, l’université al-Qarawiyyin est considérée, selon l’UNESCO et le Guinness World Records, comme la plus ancienne université du monde encore en activité. La date de référence est l’an 859, ce qui implique que son caractère éducatif remonte à ses débuts. Elle précède de plus d’un siècle la mosquée Sankoré de Tombouctou, fondée en 989, et de plus de deux siècles l’université de Bologne, fondée en 1088. L’histoire de Fatima Al-Fihri est une perle de l’Islam dont la modeste contribution a influencé l’humanité dans sa globalité. Parmi les personnages les plus célèbres ayant étudié dans cette prestigieuse institution, on peut nommer l’historiographe et penseur Abdourahman Ibn Khaldun, le médecin et philosophe Abu Walid Ibn Rushd (Averroès), le diplomate et géographe Hassan al-Wazzan (Léon l’Africain), le philosophe juif Moïse ben Maïmon (Maïmonide) ainsi que le poète et philosophe soufi Ibn Hazm. Le médecin Ibn Beja, le grammairien Ben Ajrum, l’orientaliste et mathématicien néerlandais Jacob van Gool, le chef soufi Muhammad al-Jazuli, ainsi que Gerbert d’Aurillac (qui devint le pape Sylvestre II de 999 à 1003), à qui l’on attribue l’introduction des chiffres arabes en Europe, auraient également étudié à al-Qarawiyyin.
ABI-PAUL LACLé