À l’approche  de l’inauguration du Mémorial de la Paix d’Arta, prévue le jeudi 30 octobre 2025, la ville d’Arta s’apprête à renouer avec une page majeure de l’histoire régionale. Vingt-cinq ans après la Conférence de réconciliation somalienne de 2000, ce haut lieu du dialogue retrouve sa vocation première : être un symbole vivant de paix, de mémoire et d’espérance partagée. À quarante-deux kilomètres au sud-ouest de la capitale, dans une région aux reliefs apaisés, s’élève la petite ville d’Arta.

Connue pour son climat tempéré, perchée à environ 700 mètres d’altitude, Arta a longtemps été un havre de fraîcheur et de quiétude, un refuge naturel où l’air se fait plus léger et les esprits plus sereins. Aujourd’hui, ce décor enchanteur abrite un monument dont la portée dépasse les frontières nationales : le Mémorial de la Paix d’Arta, symbole vivant d’un tournant historique dans la diplomatie régionale et la quête de réconciliation dans la Corne de l’Afrique.

Dans la mémoire collective, Arta incarne à la fois l’âme tranquille de Djibouti et le berceau d’un événement majeur qui a redonné espoir à un peuple meurtri : la Conférence de réconciliation somalienne de 2000. Le mémorial qui y est désormais érigé rend hommage à cette page lumineuse de l’histoire africaine, écrite sous le signe du dialogue et de la paix.

Arta, berceau du dialogue et de la réconciliation

Arta n’est pas seulement une ville au climat agréable. Elle est aussi un lieu de symboles et de convergence. Son altitude lui confère un souffle particulier, presque spirituel, que ses habitants aiment comparer à une bénédiction. Ce caractère paisible, loin du tumulte de la capitale et des tensions politiques, en a fait, à la fin des années 1990, le théâtre idéal pour une entreprise audacieuse : réconcilier la Somalie avec elle-même.

En mai 2000, alors que la Corne de l’Afrique était minée par l’instabilité et les divisions, le gouvernement de Djibouti, sous l’impulsion du président Ismaïl Omar Guelleh, prit une initiative sans précédent. En concertation avec l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), Djibouti invita des centaines de représentants somaliens — membres de la société civile, chefs de clans, responsables religieux et figures de la diaspora — à se rassembler à Arta pour un dialogue inclusif.

Ce fut une première dans l’histoire récente de la Somalie : pour la première fois depuis la chute du régime de Siad Barre en 1991, la voix du peuple somalien se faisait entendre hors du prisme des factions armées. Cette démarche, que l’on baptisera plus tard le « Processus d’Arta », s’appuyait sur une conviction forte : la paix ne peut naître que du consensus, et la réconciliation ne peut se construire que par la parole. Durant plusieurs mois, les pourparlers se tinrent dans une atmosphère à la fois studieuse et fraternelle. Les délégués venus de tout le pays débattirent librement des causes profondes du conflit et envisagèrent un avenir commun. Sous la médiation bienveillante de Djibouti, un texte fondateur vit le jour : la création du Gouvernement national de transition somalien, adoptée à Arta en août 2000. Cet accord marqua la première tentative réussie de réunification politique de la Somalie depuis une décennie. Il fut également salué par la communauté internationale comme une réussite diplomatique exemplaire. L’approche djiboutienne, fondée sur l’écoute, la neutralité et le respect des acteurs locaux, fit école dans la région. En plaçant la société civile et la diaspora au cœur du processus, Djibouti démontra qu’une solution durable ne pouvait venir que de l’intérieur du pays, et non d’impositions extérieures. Cette philosophie du dialogue, chère à la diplomatie djiboutienne, allait devenir une marque de fabrique reconnue au sein de l’Union africaine et des Nations unies.

Un monument pour la mémoire et l’avenir

Vingt-cinq ans plus tard, Djibouti a souhaité graver dans la pierre cette page d’histoire en érigeant le Mémorial de la Paix d’Arta, inauguré en octobre 2025. Selon le ministère djiboutien des Affaires étrangères, « le mémorial représente plus qu’un bâtiment : il rend hommage aux efforts déployés par notre population et nos autorités lors de la Conférence d’Arta de 2000, qui a marqué un tournant décisif dans la réconciliation somalienne ».

Le monument se veut à la fois sobre et majestueux. Construit sur les hauteurs de la ville, il s’ouvre sur une vaste esplanade qui domine la vallée, symbole d’ouverture sur l’avenir. En son centre, une flamme de bronze perpétue le souvenir du dialogue, tandis qu’une salle d’exposition retrace les étapes du processus d’Arta à travers documents, images et témoignages.

Un musée d’archives complète l’ensemble. Il rassemble les textes fondateurs, les procès-verbaux des discussions, les photographies et les discours qui ont jalonné le processus. L’objectif est double : préserver la mémoire collective et transmettre aux jeunes générations les valeurs de paix et de solidarité qui ont guidé cette initiative.

Le choix d’Arta pour accueillir ce mémorial revêt une dimension presque spirituelle. Ville de montagne et de silence, Arta incarne la sérénité nécessaire à la réflexion et au pardon. Loin des capitales politiques et des pressions extérieures, elle offre un espace propice au recueillement et à la réconciliation. Autrefois destination prisée pour ses paysages et son climat, Arta devient aujourd’hui un sanctuaire du souvenir et du dialogue.

Le mémorial s’inscrit dans une démarche plus large du gouvernement djiboutien visant à institutionnaliser la culture de la paix. À travers cette initiative, Djibouti rappelle son engagement constant en faveur de la stabilité régionale et de la médiation pacifique. Depuis Arta 2000, le pays n’a cessé de jouer un rôle moteur dans les efforts de paix en Afrique de l’Est. Siège de l’IGAD, plateforme de coopération internationale, Djibouti s’est imposé comme un pont entre les peuples et les cultures, un lieu où se négocient et s’élaborent les solutions africaines aux crises africaines.

Cette tradition diplomatique s’enracine dans une vision claire, portée par le président Ismaïl Omar Guelleh : celle d’un Djibouti solidaire, ouvert et tourné vers la paix. En soutenant la réconciliation somalienne, en accompagnant les transitions politiques régionales et en accueillant de multiples conférences internationales, le pays a bâti une crédibilité rare sur le continent.

La paix comme héritage durable

Mais le Mémorial d’Arta n’est pas seulement tourné vers le passé. Il s’adresse avant tout à l’avenir. À travers ses programmes éducatifs, ses archives ouvertes et ses activités culturelles, il ambitionne d’éveiller chez les jeunes Djiboutiens et Africains une conscience de paix et de responsabilité collective. Le site accueillera prochainement des séminaires sur la diplomatie, la médiation et la gestion des conflits, ainsi que des échanges régionaux entre étudiants et chercheurs. L’idée est simple : faire d’Arta un laboratoire du vivre-ensemble, où la mémoire devient un levier d’action.

« Le mémorial vise à éduquer et sensibiliser les générations futures à l’importance de la paix et de la solidarité entre les peuples de notre région », souligne encore le ministère des Affaires étrangères.

Dans un monde encore marqué par les tensions, le Mémorial de la Paix d’Arta rappelle que la paix est un choix, non une évidence. Il invite chacun à méditer sur la fragilité du dialogue et sur la nécessité de préserver les ponts entre les communautés.

En redonnant vie à l’esprit d’Arta, Djibouti envoie un message fort à la région : celui d’un pays qui croit que la réconciliation n’est pas un épisode ponctuel, mais un processus permanent.

À travers le vent léger qui souffle sur les hauteurs d’Arta, on entend encore l’écho des voix de 2000 — celles d’hommes et de femmes qui, malgré les blessures du passé, choisirent de se parler pour mieux se comprendre. Leur héritage, désormais inscrit dans la pierre, continue d’inspirer.

Arta n’est plus seulement une ville ; elle est devenue un symbole universel de courage, de dialogue et d’espérance. Et dans la lumière dorée de ses montagnes, un message résonne encore : la paix n’est pas un rêve lointain — elle est une promesse à tenir, chaque jour.

Asma Ahmed Mohamed