Djibouti – C’est dans la chaleur vibrante de cette journée historique du 27 juin 1977 que la République de Djibouti fit son entrée solennelle dans le concert des nations. Une nation jeune par son indépendance, mais déjà forte par son ancrage territorial, sa diversité sociale et sa cohésion harmonieuse. L’accession à la souveraineté, fruit de longues années de mobilisation, fut aussi le point de départ d’un chantier ambitieux : celui de la construction d’un État pleinement opérationnel, enraciné dans les réalités nationales.

L’indépendance n’a pas été une rupture brutale, mais une transmission ordonnée et progressive des responsabilités. Grâce à une administration bien structurée, organisée autour d’institutions rodées et centralisées dans la capitale, Djibouti a pu asseoir les bases d’un fonctionnement étatique efficace dès les premiers mois. Cette transition s’est appuyée sur un partenariat rigoureux entre les cadres locaux et les coopérants techniques, dans un esprit de continuité et de professionnalisation. En s’appropriant les outils de gestion administrative, en formant une élite républicaine compétente et en assurant la relève dans les domaines-clés de l’État — justice, sécurité, éducation, santé, finances — Djibouti a su poser, avec méthode, les premières pierres de son édifice national.

C’est ainsi que, dans un contexte régional exigeant, le jeune État a pu préserver sa stabilité, affirmer son identité et jeter les fondations solides de son développement.

Dès les premiers jours de l’indépendance, les autorités de la jeune République ont fait un choix stratégique : assurer la continuité administrative afin de garantir la stabilité du nouvel État. Ce choix, prudent et visionnaire, a permis de maintenir les services publics essentiels en fonctionnement, tout en amorçant une montée en puissance des compétences nationales.

Dans cette phase de transition, le rôle des coopérants techniques, principalement français, a été déterminant. Leur mission, encadrée et clairement définie par l’État djiboutien, consistait à accompagner la formation des premiers cadres administratifs nationaux, en transmettant leur expertise dans les domaines de l’administration, de l’enseignement, de la santé ou encore de l’ingénierie des infrastructures.

À travers les premiers concours de la fonction publique, les sélections rigoureuses dans les lycées puis dans les instituts supérieurs, Djibouti a entrepris, dès 1977, de former une administration nationale qualifiée, capable d’assumer l’ensemble des fonctions régaliennes et de répondre aux besoins concrets de la population.

Contrairement à certains États africains qui, à la même époque, furent confrontés à un vide administratif ou à des transitions chaotiques, Djibouti a fait le choix de la compétence, de la méthode et de la transmission maîtrisée. Ce choix a porté ses fruits : les institutions de la République, dès leur mise en place, ont fonctionné avec efficacité et rigueur.

Gouverner un jeune État : les premiers défis structurels

Si l’enthousiasme de l’indépendance soufflait sur la République naissante, l’heure était également à la lucidité. Le président Hassan Gouled Aptidon, dans son discours d’investiture, avait rappelé avec clarté les enjeux à venir : « Nous avons conquis la liberté. À présent, il nous faut la traduire en actes concrets pour nos concitoyens. »

Ce défi était immense. Il s’agissait non seulement d’assurer la continuité des services publics, mais aussi de bâtir une administration moderne, unifiée, tournée vers le développement. Parmi les premiers enjeux, trois domaines cruciaux s’imposaient : La structuration territoriale, avec l’intégration équilibrée des régions et de la capitale dans un même ;  cadre institutionnel ; La gestion des ressources humaines et budgétaires, dans un contexte de moyens limités mais de grandes attentes populaires ; La construction de l’unité nationale, dans une société marquée par la diversité culturelle et linguistique.

L’absence de ressources naturelles majeures, combinée à un environnement désertique et à une population en croissance rapide, plaçait d’entrée Djibouti face à des contraintes structurelles sévères. Pourtant, loin de céder au découragement, les autorités ont su mettre en place une politique fondée sur la rationalité administrative, la coopération internationale et l’ancrage régional.

À l’échelle des premières années, les priorités furent ainsi hiérarchisées : sécurité, santé, éducation, infrastructures.

À chaque fois, des stratégies ciblées furent développées, souvent en collaboration étroite avec des partenaires internationaux, mais toujours sous pilotage national.

Ce pragmatisme, rare à l’époque dans la région, permit à Djibouti d’éviter bien des écueils. Tandis que certains États du continent souffraient de désorganisation ou de conflits internes après leur indépendance, la République de Djibouti fit le choix de la stabilité et de l’investissement humain.

Coopération et savoir partagé : le pari réussi de la transmission

Dès les premières heures de son indépendance, Djibouti a fait le choix clair de ne pas tourner le dosà l’expertise étrangère, mais de l’inscrire dans une démarche nationale, encadrée, orientée vers la formation locale. Dans ce contexte, les coopérants techniques, principalement issus de la coopération française, mais aussi de plusieurs autres pays partenaires, ont joué un rôle structurant.

Sous l’autorité des ministères nouvellement constitués, ces coopérants furent intégrés aux services publics non comme détenteurs d’un savoir à imposer, mais comme passeurs de connaissances, formateurs et conseillers. De nombreux cadres djiboutiens de première génération ont été directement encadrés, sur le terrain, dans les bureaux, les lycées, les hôpitaux ou les centres techniques, par ces professionnels expérimentés.

Ce modèle de coopération orientée vers le transfert de compétence s’est révélé particulièrement efficace. Dans l’administration publique, mais aussi dans les domaines de la justice, de la santé ou des finances, les coopérants ont œuvré aux côtés de leurs collègues djiboutiens, formant une génération qui a peu à peu pris la relève.

Parallèlement, l’État a mis en place des programmes de bourses d’études à l’étranger, permettant à de nombreux étudiants djiboutiens de se former dans des universités partenaires — notamment en France, au Maroc, en Égypte et dans d’autres pays aussi . À leur retour, ces jeunes diplômés sont venus renforcer les rangs de l’administration, de l’enseignement supérieur et du secteur technique.

Cette démarche, fondée sur la progressivité, la pédagogie et la confiance, a distingué Djibouti de plusieurs pays voisins qui, parfois, ont vu leurs systèmes se gripper faute de transmission structurée. Ici, au contraire, le mot d’ordre fut toujours clair : apprendre pour transmettre, transmettre pour bâtir.

Comparaisons africaines : entre continuité maîtrisée et ruptures précipitées

L’histoire de l’indépendance du continent africain est marquée par des trajectoires diverses. Si Djibouti accède à la souveraineté en 1977, à une période où l’Afrique francophone a déjà presque toute quitté l’ère coloniale, cette indépendance plus tardive lui offre un avantage comparatif discret mais décisif : celui de l’observation et de l’apprentissage.

Là où certaines anciennes colonies ont dû gérer une transmission abrupte, parfois en l’absence de cadres formés ou de structures administratives fonctionnelles, Djibouti a pu tirer profit de l’expérience des autres, pour mieux anticiper ses propres défis. Plusieurs experts y voient un facteur clé de sa stabilité institutionnelle durable.

Le cas de la Guinée, par exemple, qui proclama son indépendance dès 1958, fut très différent. Dans un contexte de rupture totale avec l’administration coloniale, l’État guinéen a dû faire face à un retrait massif des cadres techniques. Résultat : plusieurs années de difficultés à remettre en place un appareil administratif solide.

Le Congo (Brazzaville), indépendant en 1960, a lui aussi connu une phase de forte instabilité dans les années qui suivirent, marquée par une succession de réformes administratives parfois contradictoires et par l’alternance rapide des gouvernements.

À l’inverse, Djibouti a privilégié la voie de la continuité méthodique, en s’appuyant sur un socle administratif structuré, un capital humain progressivement renforcé et une stratégie claire de formation des compétences nationales. Cette approche réaliste et apaisée a permis au pays d’éviter les déséquilibres vécus par d’autres jeunes États africains.

Héritages et promesses : de la transmission à la projection républicaine

Presque un demi-siècle après l’indépendance, la République de Djibouti reste fidèle à l’esprit de rigueur, de stabilité et d’exigence qui a marqué sa fondation. Le passage de l’administration coloniale à un État souverain n’a pas été un simple transfert de pouvoirs, mais un véritable acte de construction nationale, pensé, structuré et assumé par les dirigeants de l’époque.

Aujourd’hui, les institutions héritées de cette transition historique et éclairé continuent de porter la vision d’un État au service des Djiboutiens. C’est cette assise solide qui permet à Djibouti d’être un acteur diplomatique respecté, un pôle de stabilité dans une région parfois tourmentée, et un partenaire fiable dans les organisations régionales et internationales.

Le chef de l’État, SEM Ismaïl Omar Guelleh, l’a rappelé à plusieurs reprises :

« C’est notre responsabilité première de préserver jalousement cette souveraineté acquise après tant de sacrifices et de la transmettre comme un flambeau aux générations futures. »

À travers les générations, l’administration djiboutienne s’est transformée : informatisation des services, numérisation des procédures, montée en puissance des jeunes cadres issus de l’Université de Djibouti ou formés à l’étranger, ouverture à la société civile et renforcement des capacités locales dans les régions. Tous ces changements témoignent d’une volonté d’adaptation constante, dans le respect de la tradition républicaine.

Dans le même temps, la mémoire de la transmission – celle des coopérants, des formateurs, des premiers hauts fonctionnaires djiboutiens – demeure vivante. Elle irrigue encore les pratiques administratives, les normes de gestion publique et la culture de service au public.

Cette capacité à conjuguer histoire et modernité, à ancrer la gouvernance dans des fondements solides tout en regardant vers l’avenir, constitue l’une des principales richesses de Djibouti. Un pays qui, dans le tumulte du monde, a su faire du passage du pouvoir non pas une fracture, mais une continuité active, éclairée par la mémoire et guidée par la vision. En cela, l’expérience djiboutienne demeure, aujourd’hui encore, un modèle d’intelligence étatique et de responsabilité républicaine sur le continent.

HOUSSEIN KENE-DID

Sources photos : MAECI, Getty-images.