Le «Djiboutois» dans le monde du travail. Quelles sont ses attitudes ? Son comportement. Est-il bosseur ou fainéant ? Quelle idée a-t-il du travail ? Sommes-nous tous des partisans du moindre effort ? Ou au contraire des « Japonais  » qui s’ignorent. Petit tour dans le milieu professionnel et les habitudes des uns et des autres.

Il est 6h30 du matin, quelque part au quartier 7, Ali, fonctionnaire de l’Etat depuis presque 20 ans se presse pour regagner son bureau à la cité ministérielle. La veille, comme d’habitude, il a brouté jusqu’à tard dans la nuit. Il a la gueule de bois. En attendant le bus qui l’amène vers son lieu de travail, il grille coup sur coup deux cigarettes afin de lutter contre le sommeil qui le tenaille. Comme de nombreux Djiboutiens, la vie d’Ali est rythmée par trois facteurs : le boulot, le Kkat et le dodo. Dodo ? Pas tant que cela. Car le sommeil d’Ali ne dure que trois heures depuis plusieurs décennies.  Sous l’effet du « mirkan » il ne ferme l’œil qu’à partir de 3heures du matin. Le boulot, il s’y rend les yeux mi-clos.  A peine franchie la porte, il pointe à la petite machine installée depuis quelques mois et censée enregistrer l’heure d’arrivée et de départ des travailleurs. La journée d’Ali est simple. Comme il est « bras cassés » depuis bientôt 4ans, il assure la présence. Son temps au travail, il le passe à surfer sur internet. Ecouter de la musique. Et parfois jouer aux cartes sur son PC.  Nullement sollicité pour une quelconque tâche, il se tourne les pouces à longueur de journée. « Que voulez vous  que je fasse ? Nous dit-il. Plusieurs fois j’ai demandé à être muté dans un autre service. Mais j’attends toujours. Le chef a toujours raison et personne ne veut m’écouter. ».

Autre lieu de travail, autre personne, Nourria est une employée d’une société privée de la place spécialisée dans l’import export. Depuis bientôt une décennie, elle est secrétaire de direction. Ses tâches quotidiennes consistent à préparer les dossiers du directeur : réunions, rendez-vous important, suivi et transmission du travail des autres services, archivages. Mère de quatre enfants, elle concilie merveilleusement vie familiale et vie professionnelle. « J’adore mon travail, et j’exécute méthodiquement  toutes les tâches qui me sont confiées. Parfois j’anticipe les volontés du chef, et lorsqu’il me demande de faire certaines choses, il est agréablement surpris que j’aie eu le réflexe de le faire avant que le besoin ne se  fasse sentir. » Nourria est un bourreau de travail.

Les papotages, les tensions et autres relations exécrables qui sont légion dans le monde du travail ne sont pas de son genre. Elle s’entend avec tout le monde. Du directeur au planton en passant par la femme de ménage, tout le monde apprécie sa courtoisie, ses respects et son sens de l’organisation.

Elabeh est un employé du port, il est en poste comme mécanicien au service de la maintenance. Il a roulé sa bosse depuis 20 ans dans ce service. Il déclare que depuis deux décennies, il ne s’est absenté qu’une semaine pour un repos médical. C’était il y a de cela 9 ans car dit-il, il  avait contracté le paludisme. « Le travail, c’est ma vie. Je pense tout le temps à améliorer mon rendement et gagner la satisfaction de mes supérieurs hiérarchiques. » Père d’une ribambelle d’enfants, Elabeh est fier de sa progéniture dont l’ainé vient de réussir cette année le bac. « Pour mes  enfants,  je rêve d’un grand avenir, je souhaite qu’ils deviennent médecin, avocat,  journaliste et pourquoi pas des grands politiciens etc…. ». Pour ses collègues, il demeure un exemple. Tout le monde ne tarit pas d’éloge à son endroit. Que pense t-il du djiboutien ? Est-il bosseur ou fainéant ? Pour Elabeh,, nos compatriotes sont différents comme les doigts d’une  main. On trouve certains travailleurs acharnés tandis que d’autres ne considèrent pas le travail comme quelque chose d’important. Les négligences, le manque de dévouement, le travail bâclé sont légion.

Pour lui, il y a aussi les simulateurs et adeptes du « Wax ba ha u qaban, qawda maqashi ».  « Le travail est quelque chose de très important,   il permet à chacun d’être acteur du développement de son pays. Travailler c’est accéder à la dignité. Travailler c’est exister ! Pouvoir tenir sa place dans la société, avec dignité et considération. Les vertus du travail ne sont plus à démontrer. », souligne Abdi, son collègue de travail.

Le travail : un acte d’adoration

Dans notre religion,  le travail est par excellence un acte de d’adoration car l’Islam sanctifie le travail et reprouve l’oisiveté. Il encourage toute activité intellectuelle ou manuelle. Il incite à la recherche des moyens de subsistance par les voies licites et légitimes. Le vrai musulman est celui qui lutte et qui affronte les difficultés de la vie pour se nourrir et nourrir sa famille. Le Prophète a dit : «  vous êtes tous des bergers et tout berger est responsable de son troupeau ». Le musulman authentique est celui qui contribue au progrès, au développement de la société islamique soit au moyen de son travail manuel ou intellectuel, soit par son activité professionnelle, artisanale ou commerciale. Selon un hadith du  prophète  il a été dit que lorsque la fin du monde approche, et que le cataclysme se fait sentir, si tu as un arbre à planter fini de le planter et tu seras récompensé par Dieu.

Dans le monde du travail à Djibouti les habitudes des uns et des autres varient. Il y a les adeptes du travail bien fait, toujours présents, soucieux de leur carrière, qui souhaitent gravir les échelons  dans leur métier. Et souhaitent que le mérite l’emporte sur toute autre considération. Ceux là ne sont pas hélas très nombreux. A les entendre, ils sont convaincus que les efforts finissent par payer un jour. Tôt ou tard, on récolte les fruits de son dur labeur. « Il  faut gagner son pain à la  sueur de son front au lieu de quémander ses semblables. », nous lance Moussa, un jeune djiboutien qui est « Kouli » dans un chantier. Les jeunes générations qui jadis ne voulaient pas  exercer  les petits métiers comme par exemple  gardien, serveur dans un restaurant, « krich boy »  etc… sont aujourd’hui contraint de faire ces types d’activités car la dureté du chômage est passée par là.  Moussa nous indique que depuis 10 ans il exerce des petits boulot pour subvenir aux besoins de sa famille.

Bras cassés,  bras croisés et autres improductifs

S’il y a  un phénomène qui persiste depuis très longtemps dans notre pays, c’est le rendement au travail qui donne  du fil à retordre aux managers. Fainéantise, inaction sont les maux qui gangrènent notre administration.

De la secrétaire qui passe son temps à regarder des films, à tchatter et à  jouer aux cartes et papote à longueur de journée, de l’employer qui ne vient que pour pointer et qui rebrousse chemin pour s’endormir, des agents bras cassés, bras croisés et autres improductifs, la liste des   tares est longue. Faut-il pour autant culpabiliser tout le monde ? Loin d’être tous des « pourris» sans conscience professionnelle, les comportements de certains de nos compatriotes vis-à-vis de leur travail est indigne de leur statut.

Ces derniers temps, dans la plupart des services de l’Etat, des machines de pointages ont été installés. Elles sont censées détecter les retardataires, absentéistes et les employés adeptes de la grasse matinée.

Les nominations à l’emporte pièce, le favoritisme, le népotisme sont aussi de nature à décourager les employés méritants. Certains  disent que le savoir faire n’est pas des fois une priorité pour l’attribution des postes et des promotions. Il y a aussi le « faire-savoir » ou l’art d’informer son supérieur ou responsable afin de recevoir en contrepartie ses faveurs. C’est dire tellement les délations, les renseignements sont aussi des raccourcis qui mènent au succès.

Qui n’a pas entendu qu’untel est  les yeux et   les oreilles du chef ?  Certains font  figure de flic, d’inquisiteur. Et au bout du compte cela paie   et ils sont récompensés pour leur «loyauté». Alors pourquoi bosser, pourquoi se surpasser si d’autres voies moins éprouvantes peuvent mener au succès ? Si des critères pour le moins incompréhensibles sont usés pour les avancements.

Docteur, je veux trois jours de repos !

C’est la formule des absentéistes qui se rendent dans les hôpitaux pour la seule obtention de jours de repos. Et tous les moyens sont bons pour les obtenir.    Il  y a certains qui en toute franchise demandent  au médecin  de leur prescrire quelques jours de dispenses professionnels. « Chaque jour je rencontre une dizaine d’employés qui viennent me voir uniquement pour justifier leur absence.  Cela se constate facilement, tellement qu’il ya des habitués » nous indique M., médecin au SMI.

Si beaucoup de Djiboutiens font leur travail avec amour, passion et dévouement, d’autres se laissent gagner par la paresse, la fainéantise au grand dam  de la rentabilité professionnelle. Alors le djiboutien bosseur ou fainéant? Les deux à la fois, sommes-nous tenté de le dire.

Kenedid Ibrahim