À la veille du 27 juin 1977, une ferveur extraordinaire embrasait chaque quartier de Djibouti. Le référendum du 8 mai de la même année, avec un taux impressionnant de 99,75 % en faveur de l’indépendance, avait ravivé l’espoir et la fierté dans tout le pays. Cette victoire populaire a débouché sur la naissance de la République de Djibouti, scellée solennellement par l’Assemblée nationale.

À une semaine de cet événement historique, une atmosphère unique régnait dans les quartiers populaires. Les habitants, portés par un même élan patriotique, préparaient activement les festivités. Ce souvenir reste gravé dans les cœurs de ceux qui l’ont vécu, symbole d’un combat collectif et d’un rêve devenu réalité.

Les djiboutiens sont très attaché à leur indépendance, ils savent les sacrifices et les souffrances endurés pendant cette période précoloniale.

Dans cet instant de l’histoire du 26 juin,  les ruelles, les enfants couraient entre les jambes des adultes, les yeux pétillants d’incrédulité, inconscients peut-être de la portée historique, mais complètement happés par la joie ambiante. Les anciens racontaient, fiers et émus, les sacrifices consentis et la lutte menée. Il y avait des danses traditionnelles, des youyous, et une communion spontanée entre voisins, amis, et parfois même anciens adversaires.

L’Assemblée nationale, réunie en séance extraordinaire, a solennellement approuvé la loi constitutionnelle proclamant l’indépendance du pays. Ce moment a été vécu avec une grande émotion par la population, qui voyait enfin se concrétiser son aspiration à l’autonomie.

Mais au-delà de la fête à venir, c’était un sentiment profond d’espoir et de dignité retrouvée qui régnait. Les discussions à la lumière des bougies tournaient autour de l’avenir ce que Djibouti pourrait devenir, ce que ses enfants allaient enfin pouvoir bâtir sans joug étranger.

Une mère du Quartier 7 se souvient de cette période comme si c’était hier. Elle évoque les souffrances endurées par la population, en particulier dans les quartiers populaires comme Poudrière, qui ont payé le plus lourd tribut à la violence coloniale. Face à la brutalité, notre réponse était la désobéissance c’était notre signature. Nous avons organisé des manifestations rassemblant toutes les couches de la société : jeunes, personnes âgées, hommes et femmes, unis pour dire non au colonialisme.  « La nuit du 26, je suis restée chez moi, contrainte par mon âge. Mais j’ai vécu cette soirée avec la même ferveur que tout le peuple djiboutien ».

La joie, l’enthousiasme, l’espoir : tout résonnait dans l’air, dans chaque cœur, comme une promesse de liberté enfin accomplie.

« Le  26 juin, les djiboutiens se demandaient  comment fêter cette liberté tant attendue ? Comment honorer les sacrifices passés ? Au fil des ruelles, les enfants s’amusaient insouciants, bercés par les chants, les danses et les éclats de rire. Les anciens, témoins et acteurs de la lutte, racontaient avec fierté les heures sombres et la résistance farouche ».

« Je me souviens, certaines femmes  portaient des tenues traditionnelles et d’autres  des   boubous avec le drapeau national, les hommes  vêtus  le « izar », pagne pour homme  et des t-shirts blanc. « J’entendais  depuis l’espace dédié à la célébration, les chants, et danses folkloriques de notre culture ainsi que les chansons de l’indépendance interprété par  feu Mohamed Ali Fourchete,  Allah yarxmu » ainsi que d’autres chanteurs djiboutiens venus exceptionnellement pour cette belle soirée. Après minuit,  une foule en liesse scandé  avec chœur  l’hymne national et le drapeau djiboutien hissé vers le haut ».

Cette soirée a également marqué Doualeh Djama, alors jeune homme, qui se souvient avec émotion des animations, de l’ambiance chaleureuse et du vivre-ensemble dans les quartiers populaires de la capitale. « Je n’ai jamais vu un tel enthousiasme de toute ma vie », a-t-il souligné.

Les artistes, poètes djiboutiens de la résistance

Ce qui est certain, c’est que sous le joug colonial, les artistes et surtout les poètes ont pleinement assumé leur rôle dans la lutte pour l’indépendance. Les œuvres de cette époque révèlent un lien profond entre les créateurs et leur public. Riche en métaphores et en images évocatrices, cette production artistique relevait d’une poésie pure, souvent mise en musique.

Derrière des chansons aux airs classiques et aux thèmes apparemment banals, comme celui de l’amour, se cachait une puissante incitation à l’insoumission et à la mobilisation collective contre le régime colonial. Ces textes appelaient, avec finesse, à la liberté, à la dignité et à l’indépendance du peuple djiboutien.

Un exemple marquant est la pièce de théâtre emblématique « Nolol ay gerridu dhanto » (« Une vie dont la mort est préférable ») écrite en 1974 par Ibrahim Souleiman, dit “Gadhle” Allah yarxmu, et jouée par la troupe renommée “Gaan-maan”. Cette œuvre s’inspire du massacre survenu après la visite du Général de Gaulle en 1967, et met en scène la violence coloniale avec une puissance émotionnelle saisissante. À cette période, les artistes djiboutiens, en particulier les poètes, avaient recours à la métaphore et au symbolisme pour déjouer la censure coloniale.  Leurs créations, porteuses de double sens, étaient comprises sans difficulté par un public éveillé aux subtilités du langage. Derrière des vers exprimant la peine d’un amour contrarié, se dissimulait un appel vibrant à la révolte.

Des figures majeures comme le regretté Aden Farah Samatar, Hassan Elmi, Said Hamargod et Abdi Ibrahim Bow-Bow ont activement participé à cette entreprise de libération par l’art.

Aujourd’hui encore, chaque 27 juin, le souffle de cette nuit inoubliable résonne dans les rues de Djibouti. Ce n’est pas seulement l’indépendance d’un territoire que l’on célèbre, mais la renaissance d’un peuple debout, digne, et maître de son destin.

Au-delà des chants, des souvenirs et des hommages, l’héritage de 1977 demeure une boussole pour les générations à venir. Un appel silencieux, mais vibrant, à préserver ce qui a été conquis dans le sang, la sueur et l’unité.

Souber Hassan Abdi