L’évolution ou tout simplement le changement est une caractéristique de la vie humaine. L’évolution des institutions et des lois doit suivre l’évolution des idées et des systèmes de valeur. Les Constitutions sont les outils qui adoptent ses deux processus d’évolution. Puisque les gens et les temps changent, les constituants ont tout intérêt à prévoir une Constitution malléable et flexible pour suivre les inévitables mutations qui frappent les sociétés humaines modernes. En clair, la Constitution est le reflet vivant de la société, donc nécessairement évolutive.
Une constitution qui se révise prouve sa vitalité et sa capacité d’adaptabilité aux évolutions politiques et institutionnelles du pays
Plus d’un quart de siècle après l’adoption de la Constitution de 1992, il est devenu impératif de réexaminer la norme fondamentale en vue de son amélioration. Réviser la Constitution, c’est procéder à une modification de cette Constitution selon les formes qu’elle a elle-même prévue. Cela signifie que le principe ainsi que la procédure de révision constitutionnelle sont inscrits dans le texte de la Constitution. Les révisions entreprises sont conçues comme un puissant mécanisme d’ajustement destiné à permettre l’approfondissement du processus démocratique. Autrement dit, c’est le plus efficace pour adapter le texte constitutionnel à l’évolution de la société.
Toute révision est licite si elle est opérée suivant la procédure prévue par la Constitution et à condition qu’elle aboutisse à une modification consolidante. Ainsi, les modifications apportées depuis 1992, date d’adoption de la Constitution djiboutienne, sont assez fortifiantes pour la consolidation de l’État de droit, la démocratie et la modernisation des institutions
La Constitution de 1992 : Un Texte stable, marqueur de l’identité politique des Djiboutiens
La Constitution est manifestement une norme qui se distingue de toutes les autres normes juridiques. C’est la base du fonctionnement d’un État. Les principes qui la fondent et les dispositions qui en découlent font l’objet d’un enseignement spécifique dans nos facultés et constituent pour nos étudiants la toute première approche des disciplines de droit public
À Djibouti, la Constitution de 1992 s’inscrit depuis son adoption dans une certaine stabilité en termes de fréquence de révisions, comparée à celle des autres pays africains qui font, défont et refont la Constitution.
D’entrée de jeu, il est nécessaire de rappeler que les premières générations des lois fondamentales ont été adoptées au lendemain de l’indépendance du pays en juin 1977. Afin d’assurer le fonctionnement régulier des institutions républicaines après l’indépendance du pays, le pays s’est doté d’une Constitution qui aura pour but de définir les pouvoirs publics et de fixer les attributions de différents appareils et organes de l’État, d’établir les rapports existants entre eux et d’assurer enfin la protection des droits et libertés après l’indépendance du pays.
Au détriment d’une véritable Constitution, le pays avait fait le choix, après l’indépendance, d’adopter deux lois constitutionnelles. Un choix extrêmement rare dans les pays africains nouvellement indépendants.
Quinze ans après l’adoption des lois constitutionnelles de 1977, les circonstances ont conduit le gouvernement djiboutien à procéder à des réformes démocratiques à savoir l’établissement d’un État de droit et d’une démocratie pluraliste dans laquelle les droits fondamentaux de l’homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice seraient garantis.
De plus, les deux lois constitutionnelles et organiques, qui faisaient chacune deux pages, ne permettaient plus de réglementer toutes les nouvelles situations juridiques, et ne pourraient jamais représenter à long terme des textes de référence.
C’est dans ce contexte d’obsolescence et d’inefficacité des lois constitutionnelles et organiques, mais aussi dans un climat politique national assez tendu, que sera finalement adoptée par référendum une nouvelle Constitution en 1992. Dans cette consultation, le peuple est appelé à se prononcer sur deux questions : la première, « pour approuver ou non une nouvelle Constitution instaurant un nouveau régime politique ? » et la seconde est relative « à la limitation à quatre des partis politiques durant une période de dix ans ? ».
Les apports juridiques de la nouvelle Constitution sont importants, notamment les valeurs véhiculées en matière de modernisation des institutions et surtout de démocratisation du système politique. Elle instaure une démocratie pluraliste et un État de Droit dans lequel les droits fondamentaux de l’homme, la liberté de communication, la dignité de la personne humaine et les libertés sont garantis comme la condition nécessaire au développement harmonieux de chaque Djiboutien. Enfin, elle proclame son attachement aux valeurs démocratiques, à l’État de droit ainsi qu’aux droits et libertés reconnus à la personne humaine.
La Procédure de révision constitutionnelle
À Djibouti, la Constitution de 1992 a consacré dans son titre XI (articles 87 et 88) le processus de révision. Dans la plupart des textes constitutionnels, on retrouve une disposition identifiant le titulaire de ce pouvoir et précisant aussi la procédure à suivre.
La loi fondamentale de 1992 précise les conditions et les modalités de sa propre révision dans ses articles 87 et 88.
Initiative : Elle appartient concurremment au président de la République (projet de révision) et aux députés (proposition de révision). Une proposition parlementaire de révision doit être signée par un tiers au moins des membres de l’Assemblée nationale.
Procédure : Ensuite, le projet ou la proposition de révision doivent être votés à la majorité des membres composant l’Assemblée nationale. Cela signifie qu’on distingue le vote du principe même de la révision et le vote du texte qui modifie la norme fondamentale. Dans la première phase, l’Assemblée nationale intervient en premier lieu pour se prononcer pour ou contre la révision à la majorité des membres de l’Assemblée nationale. La seconde phase consiste au vote des changements qui ne deviennent définitifs qu’après avoir été approuvés par référendum à la majorité simple des suffrages exprimés.
Toutefois, la procédure référendaire peut être évitée sur décision du Président de la République ; dans ce cas le projet ou la proposition de révision ne sont approuvés que s’ils réunissent la majorité des deux tiers des membres composant l’Assemblée nationale.
Ainsi, il ressort à la lecture des dispositions constitutionnelles précitées que l’adoption définitive de la révision est conditionnée par la mise en œuvre d’un référendum et que ce dernier peut être évité sur décision du chef de l’État qui pourrait opter, s’il le souhaite, pour un vote à la majorité de deux tiers des députés.
Les limites à l’exercice du pouvoir de révision
Il est nécessaire de souligner que le pouvoir de révision est confié à un organe souverain chargé de réviser la Constitution, mais son champ d’action est encadré et limité.
Une constitution peut faire l’objet de révision, mais tout n’y est pas révisable parce que les constitutions établissent parfois des règles qu’elles interdisent de réviser. Ainsi, pour qu’il y ait révision, il faut en effet que les lois constitutionnelles respectent l’identité globale de la Constitution. Cela signifie que la révision ne pourra remettre en cause certaines dispositions particulièrement fondamentales.
La Constitution de 1992 établit les modalités de sa propre révision en précisant les organes habilités à réviser la Constitution, ce qui est susceptible de faire l’objet d’une révision et la procédure à suivre. Cette dernière prescrit certaines limites au pouvoir de révision afin d’empêcher une manipulation de la norme fondamentale : des limites procédurales, circonstancielles et matérielles.
Ces limites interdisent expressément la révision de la Constitution dans des situations particulières. Il s’agit tout d’abord de l’interdiction de modifier la norme fondamentale si elle porte atteinte à l’intégrité du territoire(art.88). Une autre limite circonstancielle est prévue à l’article 40 relative à la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels du président de la République. Une autre limitation est prévue par l’article 29 de la Constitution : il s’agit de celle relative à la période d’intérim de la présidence de la République (empêchement définitif), aucune modification, ni dissolution des institutions ne peuvent avoir lieu durant cette période. Enfin, certaines dispositions constitutionnelles sont qualifiées des “normes intangibles » ou « des clauses réformables » : il s’agit par exemple de l’existence de l’État, la forme républicaine du gouvernement et le caractère pluraliste de la démocratie djiboutienne.
La République de Djibouti reste un pays très attaché à sa stabilité constitutionnelle. La Constitution de 1992 a montré sa longévité et sa stabilité. Notre pays fait ainsi parti des rares pays africains qui révisent très peu la norme fondamentale en touchant explicitement et de manière répétitive à l’équilibre politique et institutionnel.
La norme fondamentale a toujours besoin d’être adaptée à l’évolution de la situation politique et économique à travers les amendements constitutionnels mais cela doit se faire de manière suffisamment espacée et équilibrée sans altérer le compromis originel et surtout sans ruiner les acquis démocratiques.
Construire et consolider le processus de démocratisation du système politique djiboutien par la révision de la Constitution paraît très important et nécessaire dans un contexte de transformation économique et sociale.
Dr Obsieh Ali Djama
Bio express

Dr. OBSIEH ALI DJAMA, Directeur des études des sciences juridiques et politiques à l’université de Djibouti. Maitre de conférences en Droit public, il est titulaire d’un doctorat en droit public obtenu à l’université de Poitiers. Ses travaux de recherche portent sur le droit constitutionnel djiboutien. Il a publié plusieurs articles dans des revues juridiques de références , et a participé à divers colloques nationaux et internationaux consacrés au conseil constitutionnel de Djibouti et aux dynamiques constitutionnelles.
Révision de la Constitution
Quel est l’enjeu ?

Aujourd’hui dimanche 26 octobre 2025, le parlement djiboutien va tenir une séance publique pour se prononcer sur la quatrième révision de la constitution de la République de Djibouti. La première a eu lieu le 2 février 2006, la deuxième le 19 janvier 2008 et la troisième le 21 avril 2010.
Avant d’aborder le vif du sujet, il est important de faire un bref rappel historique de l’évolution institutionnel de notre pays. Entre le 27 juin 1977 date d’accession à l’indépendance et le 4 septembre 1992, notre pays n’avait pas de Constitution au sens strict.
« Le pays fonctionnait sur la base de textes provisoires, notamment :
-La Loi fondamentale du 27 juin 1977, qui servait de cadre juridique transitoire ;
-Des ordonnances et décrets présidentiels qui réglaient l’organisation des pouvoirs. »
Cette Loi fondamentale tenait lieu de Constitution provisoire, mais elle n’était pas le résultat d’un véritable processus constituant démocratique. Et pourtant personne n’avait le sentiment de vivre dans un Etat de ni droit, ni loi. Au début de l’année 1992, Djibouti décide de se doter d’une constitution en bonne et dû forme. « Le 21 janvier 1992, le Président de la République Hassan Gouled Aptidon (Paix à son âme) a émis le décret n° 92-0010/PR/CAB instituant une Commission pour la préparation et la rédaction de la Constitution. Cette Commission était présidée par Abdoulkader Waberi Askar (alors président de l’Assemblée Nationale) », (Paix à son âme).
Qu’est-ce qu’une constitution ?
« Une Constitution est l’acte juridique fondamental qui organise l’État. Elle est le cadre légal et politique qui régit la dynamique entre une nation et ses gouvernants, et qui se situe au sommet de la hiérarchie des normes dans un État de droit (d’où son appellation fréquente de « loi fondamentale » ou « loi suprême »). Elle peut se présenter sous la forme d’un ou plusieurs textes écrits.».
Quelles sont les principales fonctions de la constitution dans l’architecturejuridique d’un pays :
« Organiser les pouvoirs publics: Elle définit les principales institutions de l’État (Parlement, Gouvernement, pouvoir judiciaire, chef de l’État) et fixe leur organisation ainsi que leur fonctionnement.
Régler les rapports entre les pouvoirs : Elle garantit la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) et établit les règles de leurs relations et de leur contrôle mutuel, visant à éviter l’arbitraire.
Garantir les droits et libertés fondamentaux : Elle énonce et protège les droits essentiels des citoyens (liberté d’expression, égalité devant la loi, etc.), jouant ainsi un rôle de protection contre l’abus de pouvoir de l’État.
Affirmer la légitimité et les principes de l’État : Elle peut définir les principes fondateurs du régime politique (République, démocratie, laïcité, etc.) et les bases de la communauté politique.
Limiter le pouvoir de l’État : En définissant clairement les attributions et les limites des institutions, elle assure la prévisibilité de l’exercice du pouvoir. »
Peut-on réviser une constitution ?
La constitution n’est pas un texte immuable, gravé dans le marbre. Elle n’est pas un texte sacré d’essence divine, comme la Torah, l’Evangile ou le Coran. La constitution est le résultat d’un projet politique qui répond à un moment donné à l’organisation juridique d’un pays. Toute société est en constante évolution.
« Amender la Constitution, c’est modifier la norme suprême afin de l’adapter à de nouvelles réalités politiques, sociales ou économiques ». Selon les constitutionnalistes: « Si la procédure de révision est conforme à la procédure prévue, il s’agit d’un exercice normal de la souveraineté constitutionnelle.Dans ce cas, il n’y a pas atteinte à l’État de droit, mais plutôt une manifestation de celui-ci : le droit permet son propre ajustement par des moyens légitimes».
A titre indicatif, la constitution française a été révisée vingt-cinq fois depuis sa promulgation le 4 octobre 1958, la dernière révision a eu lieu le 8 mars 2024. La réalité d’hier, par exemple celle de 2022 n’est pas celle d’aujourd’hui, 2025. Et chaque réalité draine sa propre vérité, parce qu’elle est née d’un contexte particulier sur le plan politique, géopolitique, social, culturel, économique et technologique.
Les bons choix de Djibouti
Les dirigeants de notre pays, que ce soit le Président Gouled (Paix à son âme) ou le Président Guelleh ont fait les bons choix aussi bien sur le plan interne qu’externe :
-Sur le plan interne, au niveau politique, économique et social, avec sagesse, dextérité, sens des réalités et intelligence, ils n’ont jamais permis à nos fragilités internes de prendre le dessus. Aucune communauté n’a été exclu, du champ nationale, ni de leurs actions. Résultat une paix interne et une stabilité d’un demi-siècle que beaucoup nous envient dans la région.
-Sur le plan externe, ils ont amplifié avec l’Ami et Allié de toujours la France, l’alliance militaire, économique et culturel ; depuis 2001, avec les Etats-Unis d’Amérique, nous avons conclu une alliance militaire ; et enfin avec la Chine depuis 2011 une alliance économique, commerciale et maritime. Ces choix ont assurénotre sécurité et notre souveraineté et ont boosté notre développement économique. Dans un monde en constante évolution, où la tectonique géopolitique mondiale provoque déjà des secousses profondes, nous devons plus que jamais faire preuve de lucidité et de sang-froid. Les équilibres se redessinent, les alliances se transforment, et les rapports de force s’intensifient. Le monde d’hier s’efface, un nouveau monde est en train d’émerger avec ses incertitudes et ses défis.
Dans le tumulte planétaire, le hasard de la géographie a voulu que notre Nation se trouve au cœur de l’une des plaques les plus stratégiques de la planète. Nous sommes à la croisée des chemins, à la jonction des grandes puissances et des grands intérêts. Cette position, à la fois enviée et exposée, exige de nous vigilance, clairvoyance et sens de l’État.
Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus et dans une période aussi décisive, notre pays a besoin d’un homme d’État d’expérience, d’un dirigeant capable de comprendre les enjeux mondiaux, de défendre nos intérêts avec fermeté, et de préserver notre stabilité tout en préparant l’avenir. Car gouverner aujourd’hui, ce n’est pas seulement administrer le présent : c’est anticiper les secousses à venir, tenir la barre avec assurance, et faire de notre position géographique un atout pour la paix, la prospérité et le rayonnement de notre Nation.
Dans le paysage politique actuel et face aux multiples risques qui nous entourent, nul, mieux que le Président Ismail Omar Guelleh n’est en mesure de tenir la barre solidement et d’éviter tous les écueils à notre pays objet de mille et une convoitises.
Certes, il y a encore tant à dire et bien des efforts à faire afin de construire un avenir plus radieux. Cela ne peut se réaliser que uni, dans la paix, la sécurité et la stabilité.Tous ensemble, dans un élan collectif, nous devons chacun à son niveau, apporter sa contribution pour concrétiser cet avenir que nous ambitionnons pour nos enfants. Le rôle de l’Etat est de libérer les énergies, d’être un facilitateur du progrès collectif en mettant les outils nécessaires à la disposition de tous les talents.
Aujourd’hui, les Représentants du peuple auront la lourde responsabilité en leur âme et conscience de choisir le meilleur pour le pays. Puissent-t-ils le faire.
Enfin un dernier point comme disent les anglais, « last but not least », ce n’est pas la constitution qui élit le Président, mais le Peuple, lui et lui seul qui en avril 2026, décidera en dernier ressort.
Mohamed Said Seif
Citoyen Djiboutien











































