La littérature djiboutienne d’expression française a occupé une place fondamentale dans la lutte pour l’indépendance. Nombre d’écrivains ont utilisé leur plume pour dénoncer les injustices, la répression, les brimades et les humiliations du système colonial. A travers les romans, les poèmes et les journaux, ils ont mis en lumière la violence du pouvoir colonial et affirmé la dignité du peuple djiboutien colonisé. La littérature, devenant ainsi le souffle du pays en quête de souveraineté autant qu’un instrument majeur dans la lutte pour l’indépendance, s’est en effet imposée comme un outil de contestation, de résistance culturelle et de dénonciation mais aussi d’affirmation identitaire et de mobilisation des esprits. Brandie comme une arme pour éveiller les consciences, elle a accompagné le mouvement de l’indépendance du pays.

Dans la décennie qui précédé l’indépendance de Djibouti, le 27 juin 1977, on a assisté à une prise de conscience collective des Djiboutiens, certes dans les actes, mais aussi et surtout dans les écrits littéraires. C’est dans un climat d’effervescence politique et intellectuelle qu’émerge la littérature djiboutienne d’expression française. Arme majeure de contestation et d’affirmation qui nourrit le mouvement d’indépendance à venir, la littérature djiboutienne s’est imposée comme une arme de résistance et de mobilisation, portant haut la voix du peuple colonisé en quête d’émancipation et d’indépendance.

En effet, nombre d’écrivains ont pris la plume pour dénoncer l’oppression, les injustices et humiliations subies par le peuple djiboutien sous la domination coloniale mais aussi pour affirmer les identités culturelles bafouées et mobiliser les consciences. A travers les poèmes, les romans ou la création des journaux littéraires ainsi que des associations culturelles, les écrivains se sont imposés comme des voix puissantes de la résistance et ont pris part, de par leurs discours et engagements, à la lutte pour l’indépendance nationale. Ainsi, ils portent ou se font l’écho des aspirations du peuple djiboutien à la liberté et mettent leur art au service de la lutte contre l’oppression, autrement dit pour la libération.

La littérature djiboutienne d’expression française s’inscrit donc dans ce mouvement général et participe à cette prise de conscience collective des Djiboutiens luttant pour l’indépendance du pays. Elle devient alors un instrument de dénonciation et d’affirmation identitaire. En effet, c’est dans ce contexte que l’on situe généralement l’émergence de la littérature francophone. Une date charnière – presque inaugurale – reste clairement indissociable de l’émergence de la littérature djiboutienne francophone : 1959.

C’est précisément en 1959 que William Joseph Farad Syad publie un recueil de poésie intitulé Khamsin, qui signe l’acte de naissance de la littérature djiboutienne d’expression française. Préfacé par le président-poète – et l’un des papes de la négritude –, Léopold Sédar Senghor, le livre a la réputation d’être le premier ouvrage francophone écrit et publié par un Djiboutien et pose les jalons de la littérature djiboutienne francophone. Dans ce recueil de poèmes, William Syad déploie la puissance de sa plume pour explorer déjà la condition d’un peuple en quête d’identité et d’émancipation. Si son style d’écriture poétique imprégné de lyrisme étonne et la force du verbe séduit, il n’en demeure pas moins que ce recueil renferme des poèmes sur la souffrance, l’amour de la terre natale et la liberté d’un peuple opprimé qui entend affirmer son identité et reconquérir sa dignité.

Après cette publication pionnière, une autre voix émerge sur la scène littéraire djiboutienne quelques mois après : il s’agit d’Abdi Houssein Gouled. Il publie Abdi, enfant de TFAI, un récit autobiographique dans lequel l’auteur raconte son enfance et les conditions de vie des enfants de son pays. Dans un style fort simple, il raconte le parcours d’Abdi, un jeune garçon issu d’un quartier défavorisé aux prises avec les difficultés de la vie quotidienne, qui plus est d’injustices et de discriminations dans le contexte colonial. Au travers de ce récit, l’auteur livre une critique sociale de la vie qui n’est plus la vie et fustige les méfaits du colonialisme, un système inique fondé sur l’exploitation, l’exclusion et le mépris des Djiboutiens. En somme, Abdi Houssein se sert de la littérature comme d’un outil de résistance culturelle et cherche à éveiller les consciences face aux abus du régime colonial.

Peu de temps après, un autre jeune instituteur, Abdillahi Doualeh Waiss, a utilisé la littérature pour dénoncer l’oppression coloniale et mobiliser les consciences. Acteur important de la prise de conscience collective et militant actif complètement impliqué dans la libération du pays, il a mis son écriture au service de la résistance et de la lutte pour l’indépendance. Ainsi, il rejoint William Syad et Abdi Houssein Gouled sur le podium des précurseurs de la littérature djiboutienne d’expression française.

Mais il faut dire qu’Abdillahi Doualeh Waiss s’illustre par une autre particularité et par son engagement littéraire autant que militant total. Sa particularité est qu’il a réussi à faire cohabiter la littérature et la presse et est devenu l’un des contributeurs du journal de l’administration coloniale Le Réveil – l’ancêtre du quotidien La Nation. Si Le Réveil était considéré par d’aucuns comme un instrument de propagande endoctrinant, il n’en demeure pas moins qu’il offrait aux jeunes manieurs de la plume la chance de publier leurs textes. C’est ainsi qu’Abdillahi Doualeh Waiss, chroniqueur talentueux, a publié des histoires somalies dans ce journal et écrit une série de chroniques, les plus célèbres d’entre elles sont Entendu en flânant (1970) et Les paroles ne passent pas (1972). Son écriture puise déjà dans le terroir et cherche à redonner de la voix aux récits oraux, aux langues locales, en un mot à la culture djiboutienne.

Par ailleurs, Abdillahi Doualeh Waiss fait partie de l’avant-garde intellectuelle du pays et participe ou lance des initiatives pour mobiliser des consciences. En déployant son génie littéraire au service de la libération du pays, il devient ipso facto la voix des sans-voix et cherche par là à éveiller les consciences à la nécessité de la souveraineté nationale. Ce faisant, il entreprend de mieux organiser ses actes de militance et décide de s’exprimer un peu librement, en s’éloignant du journal de l’administration coloniale.

Convaincu que les journaux sont des moyens d’information et de mobilisation de l’opinion publique djiboutienne pour forger une conscience collective face au pouvoir colonial, il fonde son propre journal Iftiin (Lumière en français), qui s’appuie particulièrement sur la jeunesse scolarisée. Du reste, il fera partie de l’association culturelle L’Association des Consommateurs, qui dénonce la cherté de la vie sous le joug colonial et dont il deviendra le rédacteur.

La littérature, un instrument de prise de conscience

Enfin, la littérature est un instrument de prise de conscience et de réappropriation linguistique ou d’affirmation culturelle, d’autant qu’elle permet l’affirmation de l’identité et de la culture djiboutienne. C’est à travers les nombreux numéros que publie le journal Iftiin crée par Abdillahi Doulaeh Waiss qu’apparaît cette volonté de réappropriation culturelle, qui donne aux écrivains la possibilité de raconter leur propre récit, de valoriser leurs traditions et de puiser dans l’imaginaire de leur culture.

Par le biais de l’écriture, les écrivains se réapproprient non seulement la culture djiboutienne et lui redonnent sa légitimité propre mais tentent également de réhabiliter les langues nationales – afar, somali et arabe – souvent minorées et marginalisées pendant la période coloniale.

Ainsi, en traduisant des proverbes en somali, en racontant des contes en somali, l’intellectuel Abdillahi Doulaeh Waiss donne non seulement une portée plus large à ses écrits mais il permet aussi de renforcer la vitalité de la culture djiboutienne en lui conférant tout son prestige. Face à l’aliénation culturelle imposée par le pouvoir colonial au peuple djiboutien dont il bafoue la culture traditionnelle, Abdillahi Doualeh Waiss redonne voix aux traditions locales, aux récits oraux et aux langues locales injustement dévalorisées, qui deviennent un instrument d’expression créative et critique, contribuant à l’éveil des consciences. Bref, la littérature a occupé une place cruciale dans la lutte pour l’indépendance de notre pays. En se faisant le souffle du pays en quête de souveraineté, la littérature devient un espace de résistance et d’affirmation identitaire. Elle accompagne le mouvement du peuple qui aspire à la liberté tout en préparant le terrain pour l’indépendance.

SOG