La modernité, autrefois synonyme de progrès occidental, se trouve aujourd’hui au cœur d’une profonde mutation.  Les anciens paradigmes craquent, laissant place à une redéfinition globale de ce que signifie “être moderne”.  Ce n’est pas une simple contestation, mais une véritable quête de sens planétaire, où la mosaïque culturelle mondiale joue un rôle crucial.  Imaginez un kaléidoscope, chaque facette représentant une culture, une expérience unique… c’est cette complexité qui façonne la nouvelle modernité.

De nouveaux acteurs, tel un cortège flamboyant, émergent sur la scène internationale, bousculant l’ordre établi.  Ces nations, avec leurs modèles économiques singuliers, remettent en question la suprématie des dogmes libéraux occidentaux.  Prenons la Chine, par exemple: son approche centralisée et ses investissements pharaoniques dans les infrastructures dessinent une alternative fascinante pour les pays en développement.

Li Wei, économiste chinois, résume la situation avec une phrase lapidaire : “La Chine n’a pas besoin de copier l’Occident pour innover.”  Son initiative des “Nouvelles Routes de la Soie”, dont les investissements à l’étranger ont dépassé le trillion de dollars entre 2013 et 2023 selon la Banque Mondiale, en est la preuve éclatante.  Un véritable réseau tissé de fer et d’acier, reliant l’Asie, l’Europe et l’Afrique, une stratégie géopolitique et économique audacieuse.

L’Inde, elle aussi, trace sa propre voie.  “Nous pouvons être modernes et profondément indiens,” a déclaré le Premier ministre Narendra Modi, une affirmation qui résonne avec force.  Son essor fulgurant dans les technologies et les services démontre qu’il est possible de moderniser une société tout en préservant son âme.  Le secteur informatique indien, avec ses 227 milliards de dollars de revenus en 2023 (source : Nasscom), incarne cette réussite éclatante, une symbiose fascinante entre tradition et innovation.

L’Afrique, souvent perçue à travers le prisme déformant du sous-développement, surprend par sa résilience.

Le Rwanda, par exemple, figure parmi les dix pays à la croissance économique la plus rapide (Banque Africaine de Développement, 2024).  Le président Paul Kagame l’exprime avec clarté: “Nous voulons une modernité adaptée à nos besoins locaux.”  “Smart Kigali” en est une illustration concrète, une initiative qui démontre comment la technologie peut être mise au service du développement local, une approche pragmatique et efficace.

Les BRICS, quant à eux, tentent de se libérer de l’emprise financière occidentale. Leur Nouvelle Banque de Développement (NBD), selon DilmaRousseff, sa présidente, est une “banque pour le Sud, par le Sud”.  Depuis 2015, elle a financé des projets pour 30 milliards de dollars, principalement dans les infrastructures et les énergies renouvelables.  Le sommet de 2024 a vu s’intensifier les discussions sur une monnaie commune BRICS.  Anton Siluanov, ministre russe des Finances, a clairement exprimé l’objectif : “Réduire notre dépendance au dollar pour une économie mondiale plus équilibrée.”  Un défi colossal, mais porteur d’espoir pour une redistribution des cartes géoéconomiques.  L’avenir, en somme, s’écrit en plusieurs langues, en plusieurs alphabets, et en plusieurs modèles de développement. Le monde se transforme à une vitesse vertigineuse, et la montée en puissance d’une modernisation extra-occidentale creuse un fossé géopolitique et économique de plus en plus profond entre le Nord et le Sud.  Ce n’est pas une simple tendance, mais le reflet d’approches du développement diamétralement opposées, comme le souligne l’économiste Jeffrey Sachs : “Il existe un clivage croissant entre les visions du développement du Nord et du Sud.”

Le Sud explore des voies alternatives

D’un côté, le Nord, ancré dans des modèles historiques libre-échange, protection de la propriété intellectuelle, institutions financières classiques comme le FMI et la Banque mondiale continue de promouvoir un ordre mondial à son image.  Ces systèmes, bien que globalement efficaces pour réguler le commerce international, sont souvent accusés d’être inadaptés aux besoins spécifiques des économies émergentes.  C’est un peu comme vouloir chausser des souliers de taille 45 à un pied de taille 40: ça ne marche pas. De l’autre, le Sud, confronté à des défis structurels et désireux d’autonomie, explore des voies alternatives.  On observe une recherche de modèles économiques plus résilients, moins dépendants des structures occidentales.  L’émergence d’institutions comme la Nouvelle Banque de Développement connu dans son acronyme la NBD des BRICS symbolise cette quête d’indépendance, une véritable déclaration d’intention.

Ces initiatives, bien que récentes, marquent un tournant stratégique majeur. Elles offrent aux pays du Sud la possibilité de financer leur développement sans passer par les canaux financiers traditionnels, un changement de paradigme assez spectaculaire.

Cette divergence ne se limite pas à l’économie. Elle témoigne d’une remise en question profonde des priorités en matière de modernisation et même de la définition même du développement. Le Sud privilégie des approches inclusives, adaptées à ses réalités locales, souvent axées sur la réduction des inégalités, le développement durable et l’intégration régionale.  On pourrait dire qu’ils privilégient la qualité de vie à la simple croissance quantitative.

Toutefois, cette fracture Nord-Sud n’est pas sans conséquences. Elle redéfinit les alliances géopolitiques et met les institutions internationales face à un défi de taille: s’adapter à un monde multipolaire.  Si cette modernisation “sans l’Occident” peut être perçue comme un acte d’émancipation, elle pose aussi la question cruciale de la coopération internationale face aux crises climatiques et économiques interconnectées. Cette nouvelle donne géopolitique est à la fois une opportunité et un défi. Elle appelle à repenser les modèles traditionnels de développement et à imaginer des solutions transcendant les clivages historiques.  Seul un dialogue renouvelé et sincère entre le Nord et le Sud permettra, espérons-le, de construire un avenir réellement inclusif et durable.  Un avenir où la coopération, et non la compétition, sera la clé du progrès.

L’économiste Parag Khanna résume bien cette situation : “Nous assistons à une déglobalisation de la modernité”.  Cette “modernité plurielle” montre que les pays cherchent à intégrer les avancées technologiques mondiales tout en préservant ou en réinventant leurs identités propres.  

La modernisation “sans l’Occident” n’est pas un rejet pur et simple du progrès occidental, mais plutôt une adaptation, une réinterprétation selon des termes locaux.  L’avenir de la modernité ne sera plus un modèle unique, mais une mosaïque riche et diversifiée de pratiques et de philosophies.

Said Mohamed Halato