
Le deuxième jour du Forum Africain sur le Renforcement de la Chaîne d’Approvisionnement des Produits de Santé (FARCAPS) aura marqué une étape déterminante pour les ambitions sanitaires du continent. Réuni au Palace Kempinski, l’événement a rassemblé des ministres de la Santé, des directeurs généraux de centrales d’achats africaines, des experts internationaux, des représentants d’organisations multilatérales et des responsables de haut niveau venus de toute l’Afrique. Cette diversité d’acteurs a donné au forum une résonance particulière, d’autant plus qu’il a été présidé par le Premier ministre de la République de Djibouti, Abdoulkader Kamil Mohamed, dont l’intervention a fixé avec clarté les enjeux du moment.

Le Premier ministre a ouvert les travaux en rappelant le caractère crucial de ce rendez-vous continental. Devant une assemblée composée de responsables politiques et institutionnels de premier plan, il a souligné que ce forum intervenait à un moment charnière, « à l’aube de ce qui pourrait être le chapitre le plus transformateur de la santé publique en Afrique ». Ses propos introductifs ont immédiatement donné le ton : l’Afrique se trouve à un tournant, et la maîtrise de son approvisionnement pharmaceutique constitue l’un des leviers majeurs de son avenir sanitaire.
L’intervention du chef du gouvernement a mis en lumière l’urgence d’une transformation structurelle. Les crises sanitaires récentes, dont la pandémie de Covid-19, les épidémies d’Ebola ou encore la flambée du Mpox, ont profondément marqué les systèmes de santé africains. Elles ont révélé à quel point les États du continent demeurent dépendants d’un approvisionnement extérieur souvent instable et imprévisible. À plusieurs reprises durant son discours, le Premier ministre a insisté sur cette vulnérabilité devenue trop manifeste, rappelant que, lors de la pandémie, l’Afrique s’est retrouvée reléguée à la marge lorsqu’il s’agissait d’accéder aux vaccins ou aux produits médicaux essentiels. Selon lui, cette situation a imposé une évidence incontestable : aucune nation ne peut prétendre à une souveraineté politique pleine et entière si elle ne maîtrise pas sa souveraineté sanitaire.

Cette vérité, désormais partagée au sein de la communauté politique africaine, constitue l’un des fondements du FARCAPS. Pour le Premier ministre, il est impératif de faire émerger « une ère de résilience pharmaceutique africaine ». Les chiffres qu’il a rappelés ont révélé l’ampleur des défis. Le continent représente près de 17 % de la population mondiale mais ne produit que 2 % des médicaments qu’il consomme. Il supporte pourtant plus de 23 % de la charge globale de morbidité. Cette disproportion traduit une dépendance structurelle devenue insoutenable. Les perturbations récentes des chaînes mondiales d’approvisionnement ont mis en lumière le risque de maintenir ce déséquilibre.
Pour le Premier ministre, la réponse doit être claire : l’avenir de l’Afrique réside dans la production locale. Celle-ci ne doit pas se limiter au conditionnement final, mais englober tous les maillons stratégiques, de la fabrication à la distribution. Il a plaidé pour un investissement massif dans la formation des pharmaciens, ingénieurs, biologistes et techniciens, ainsi que pour la création de pôles pharmaceutiques régionaux capables d’assurer une production compétitive et adaptée aux besoins du continent. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) a été présentée comme un levier majeur, puisqu’elle ouvre un marché intégré de 1,3 milliard de consommateurs, rendant possible la viabilité économique d’une industrie pharmaceutique africaine ambitieuse.
Le Premier ministre a par ailleurs salué le rôle des centrales d’achats, représentées notamment par l’ACAME, appelées à devenir l’un des piliers de cette transformation. Il a insisté sur la nécessité de moderniser ces institutions, de renforcer leurs capacités de planification, d’améliorer la prévision des stocks et de mettre en place des systèmes d’information robustes. Sans investissements déterminants dans ces domaines, a-t-il averti, aucune autonomie pharmaceutique ne sera possible. Son appel a résonné comme une invitation à un engagement collectif, car selon lui, même avec une volonté politique continentale forte, aucun pays ne pourra accomplir seul la transition attendue.
Au-delà de cette vision stratégique, la présence du Premier ministre a également souligné l’importance du rôle de Djibouti, qui met à profit sa position géographique exceptionnelle pour devenir un hub logistique stratégique. Cette capacité à servir de plateforme pour le continent offre une opportunité de contribuer activement à la transformation des chaînes d’approvisionnement en produits de santé. Il a assuré que le pays poursuivrait son engagement et continuerait de soutenir, aux côtés de l’Union africaine et des institutions partenaires, les efforts destinés à renforcer la résilience sanitaire collective.
Pour conclure son intervention, le Premier ministre a exprimé une conviction forte : l’Afrique ne doit plus être le continent dépendant des solutions extérieures, mais celui qui produit et innove pour répondre à ses propres besoins. Il a affirmé que l’Afrique deviendra « le continent de la santé de l’avenir », capable de soigner ses populations grâce à ses propres ressources, à son génie propre et à son immense pharmacopée traditionnelle.
Les travaux du forum ont été enrichis par l’intervention du ministre de la Santé de Djibouti, Robleh Ahmed Abdilleh, qui s’est déclaré satisfait de l’issue des échanges. Il a salué l’engagement des participants, dont les contributions ont permis d’aborder avec lucidité les défis socio-sanitaires et sécuritaires liés à l’accès aux produits de santé. Pour le ministre, la chaîne d’approvisionnement constitue « l’épine dorsale invisible mais absolument vitale » de tout système de santé. Il a rappelé que la meilleure des politiques publiques comme les infrastructures les plus performantes restent inutiles si l’approvisionnement en médicaments et équipements essentiels demeure irrégulier ou insuffisant.
Le ministre a insisté sur les effets dramatiques d’une chaîne d’approvisionnement défaillante : ruptures de stock, retards dans la prise en charge, pertes occasionnées par la péremption, coûts excessifs des achats d’urgence. Autant de situations qui pèsent lourdement sur les systèmes nationaux et sur la population. Il a reconnu que cette dimension logistique avait été trop longtemps le parent pauvre des investissements en santé, avant d’appeler à une nouvelle ère où la planification, la fiabilité et la qualité doivent devenir les maîtres mots.
Renforcer les chaînes d’approvisionnement sanitaires à l’échelle continentale
Les autres intervenants ont également enrichi les échanges. Le président du bureau général du FARCAPS a remercié le chef de l’État djiboutien Ismaïl Omar Guelleh et l’ensemble du gouvernement pour leur soutien et leur leadership. Il a souligné l’importance de l’engagement du pays hôte dans la vaste entreprise de renforcement des chaînes d’approvisionnement sanitaires à l’échelle continentale.
Les discussions ont ensuite abordé des thèmes majeurs tels que la coordination régionale des chaînes pharmaceutiques, la lutte contre les médicaments falsifiés, les stratégies de financement et les modèles logistiques innovants. L’équité d’accès, la persistance des marchés informels et les difficultés spécifiques rencontrées par les pays enclavés ont également été évoquées. Les participants ont examiné les infrastructures, les ressources humaines et les technologies nécessaires pour bâtir des chaînes d’approvisionnement résilientes. La contribution du secteur privé, des bailleurs internationaux, des institutions panafricaines et des organisations de la société civile a été largement débattue. L’importance d’impliquer les communautés de pratiques et les usagers a aussi été soulignée, car la réussite d’un système d’approvisionnement passe par l’adhésion et la mobilisation de tous les acteurs concernés.
Au terme des travaux, une vision commune s’est dégagée : l’Afrique dispose du potentiel, des compétences et de la volonté politique nécessaires pour bâtir une autonomie sanitaire réelle. Le FARCAPS 2025 en aura été l’illustration. En plaçant la chaîne d’approvisionnement au cœur des stratégies de santé publique, le forum a permis de faire émerger un consensus sur l’urgence de moderniser, de régionaliser et de sécuriser la distribution des produits de santé. L’enjeu dépasse la logistique : il relève de la dignité, de la souveraineté et de la stabilité des nations africaines.
Le Premier ministre l’a rappelé avec force : l’Afrique ne pourra écrire son avenir qu’en maîtrisant ses outils de santé. À l’issue de cette rencontre, l’espoir d’une transformation durable paraît plus tangible que jamais. FARCAPS 2025 aura ainsi posé une pierre essentielle dans la construction d’un continent plus autonome, mieux préparé et résolument tourné vers un avenir où chaque citoyen pourra accéder aux produits dont dépend sa santé.
Djibril Abdi A











































