Certains textes de loi sont destinés à administrer, d’autres à raconter. Le projet de loi relatif au patrimoine culturel national, adopté cette semaine en Conseil des ministres, appartient résolument à la seconde catégorie. Il ne se limite pas à organiser un secteur ou à combler un vide juridique. Il dit quelque chose de profond sur la manière dont une nation se pense, se transmet et se projette.

Dans notre monde pressé et dominé par l’éphémère, protéger le patrimoine culturel peut sembler, à certains esprits superficiels, un luxe ou une nostalgie. Pourtant, c’est tout le contraire. C’est un acte de lucidité politique, car le patrimoine n’est pas un décor figé. Il est une mémoire vivante qui relie les générations et donne à la modernité des racines solides.

À Djibouti, cette question est d’autant plus cruciale que notre histoire est plurielle. Traditions orales, sites archéologiques, manuscrits, expressions artistiques, savoir-faire ancestraux, paysages culturels :  tout concourt à dessiner une identité riche mais fragile, exposée aux effets conjugués de l’urbanisation rapide, de la mondialisation culturelle et, surtout, de l’oubli.

La portée de la loi adoptée réside précisément dans cette prise de conscience que le patrimoine n’est pas seulement l’affaire des historiens, ou des conservateurs, mais une responsabilité nationale. En lui donnant un cadre juridique clair, l’État affirme que ce legs collectif mérite protection et transmission, car la culture n’est pas une variable d’ajustement, mais un pilier de la souveraineté. À l’ère du marché mondial des œuvres et des appropriations abusives, une nation qui ne définit pas ce qu’elle protège s’expose à la dépossession, à voir son histoire se disperser, se diluer et finir  par se perdre.

L’autre mérite de ce texte est de ne pas opposer tradition et modernité. Bien au contraire. En reconnaissant le patrimoine matériel et immatériel, il ouvre la voie à une valorisation intelligente : éducation, recherche, tourisme culturel, industries créatives. Le patrimoine devient alors un levier de développement, un facteur de cohésion sociale et un outil de rayonnement.

Reste, bien sûr, l’épreuve décisive : celle de la mise en œuvre. Une loi, aussi ambitieuse soit-elle, ne vit que par les moyens qu’on lui consacre, les institutions qui l’incarnent et les femmes et les hommes qui la portent. Protection effective des sites, inventaires rigoureux, sensibilisation des citoyens, implication des collectivités locales et j’en passe. Le défi est vaste, mais à la mesure de l’enjeu. En adoptant ce projet de loi, le gouvernement envoie un message clair : ce qui constitue l’héritage collectif de la nation n’est ni négociable ni abandonnable. Le développement ne se construit pas sur l’amnésie, pas plus que l’avenir ne s’écrit sans mémoire. Protéger le patrimoine culturel national, c’est faire le choix d’une modernité enracinée, consciente de son histoire et confiante dans sa singularité.  

C’est, au fond, un acte de fidélité envers ceux qui nous ont précédés. Et de responsabilité envers ceux qui viendront.