C’est un ballet quotidien aussi dangereux qu’inacceptable qui se joue chaque jour sous nos yeux, aux heures de pointe, au cœur de notre capitale. Des bus et minibus de transport en commun, véritables mastodontes d’acier, se livrent à une course effrénée, créant leur propre code de la route au mépris de toute sécurité.

L’un des théâtres privilégiés de cette anarchie urbaine se situe, ironie tragique, devant les sanctuaires des enfants: les écoles. Tous les collèges, comme Boulaos, Ambouli, et tant d’autres établissements scolaires et grandes artères de la capitale, sont aux premières loges de ce spectacle désolant où des chauffeurs, pressés par des impératifs économiques, transforment les abords des routes et en occurrence des écoles en véritables coupe-gorges.

Le mode opératoire est souvent le même, et d’une audace folle. Alors que les automobilistes patientent sagement au feu rouge, les bus et minibus surgissent de nulle part, se déporte sur une voie de gauche, voire sur le bas-côté, créant une troisième, voire une quatrième voie improvisée.

D’un coup d’accélérateur, il double toute la file de voitures pour se rabattre brutalement quelques mètres plus loin, bloquant la circulation et créant des embouteillages monstres sans s’embarrasser de la moindre réflexion préalable. Cette manœuvre, d’une dangerosité inouïe, se déroule sous les yeux de toute le monde mais aussi devant les enfants, qui sortent de l’école, traversent la rue, insouciants.

Derrière cette folie au volant se cache une réalité économique implacable: le système de la recette journalière. Nombre de chauffeurs de bus ou minibus ne sont pas salariés au sens classique du terme.

Ils sont soumis à un contrat verbal avec le propriétaire du véhicule qui leur impose de verser une somme fixe chaque jour. Ce qui reste, après l’achat du carburant, est partagé entre le chauffeur et son receveur.

Cette pression financière constante est le moteur de l’incivisme routier. Elle pousse à une compétition féroce pour “s’accaparer des clients”, transformant les artères de la ville en une piste de course.

Les heures de travail sont excessives, les conditions précaires, et la course au profit prend le pas sur la prudence la plus élémentaire. Les chauffeurs sont ainsi incités à multiplier les rotations le plus rapidement possible, au détriment de la sécurité des passagers et des autres usagers de la route.

Cette course au profit engendre une “indiscipline” qui est devenue la norme. Il n’est pas rare de voir un quelconque bus bloquer délibérément toute une voie de circulation pour attendre des passagers, provoquant l’indignation et l’exaspération des autres automobilistes.

L’indiscipline de certains chauffeurs est régulièrement mise en cause dans les nombreux accidents qui endeuillent nos routes. Ces mauvaises pratiques ont contaminé le reste de la population qui suivent tête baissée.

Face à cette situation, les autorités semblent dépassées. Malgré les efforts de la gendarmerie et de la police pour réguler la circulation et sanctionner les comportements dangereux, le phénomène persiste.

Le manque de sanctions fermes et dissuasives, ainsi que les lacunes dans le contrôle technique des véhicules, souvent vétustes, laissent la voie libre à des abus répétés. Les contrôles sporadiques et les campagnes de sensibilisation peinent à endiguer un problème profondément ancré dans les pratiques du secteur.

Il est urgent de repenser en profondeur le modèle économique du transport en commun. La sécurité de la population et surtout des enfants ne peuvent être la variable d’ajustement d’un système qui pousse des hommes à risquer leur vie et celle des autres pour quelques francs de plus.

Il en va de la responsabilité des pouvoirs publics, des propriétaires de véhicules et des syndicats de transporteurs de mettre fin à cette anarchie mortifère avant qu’un drame de plus ne vienne endeuiller nos familles. La rue est un espace partagé, et non une piste de formule 1 où la vie de la population et surtout les pupilles de la nation est mise en jeu.

Said Mohamed Halato