La durabilité d’un régime constitutionnel s’apprécie autant à sa capacité à durer qu’à anticiper ses propres évolutions et donc à prévoir ses propres modalités de révision. Il n’y a donc rien de paradoxal à ce qu’une Constitution, qui sacralise les principes institutionnels et les droits les plus importants, prévoie elle-même les modalités selon lesquelles elle peut évoluer.

En effet, deux approches dans la révision d’une Constitution peuvent exister. Soit on envisage la révision de la Constitution de manière simple sur le plan technique, et l’on adopte alors une loi révisant la Constitution comme on adopterait une loi ordinaire (on parle alors de Constitution souple), soit on prévoit un mécanisme de révision plus complexe à mettre en œuvre en considérant que la Constitution n’est pas un texte comme les autres (il s’agit alors d’une Constitution dite rigide). C’est ce dernier cas de figure qui est en vigueur  à Djibouti : la Constitution peut faire l’objet de modifications, mais il faut un consensus politique suffisamment large pour que soient remplies les exigences permettant sa révision, ces exigences étant plus importantes que celles conduisant à l’adoption d’une loi ordinaire. Les articles 87 et 88 de la Constitution, sont consacrés à la révision. Dans l’attente de l’approbation définitive de la proposition de loi  n°001/AN/25/9ème L portant révision constitutionnelle, il est nécessaire d’analyser l’apport des différentes révisions constitutionnelles opérées depuis l’adoption de la Constitution de 1992.

Philosophie derrière tout processus de révision

La philosophie derrière le processus de révision est complexe, mais elle tourne principalement autour de l’idée que la connaissance n’est pas figée, mais doit s’adapter aux évolutions de la pensée et de la société. Cela implique de remettre en question les vérités établies, de passer par un processus de raisonnement rigoureux pour évaluer les arguments, et de reconnaître que la révision   de la Constitution est à la fois un impératif juridique et un enjeu politique et philosophique.

L’établissement de la première Constitution (notamment la loi fondamentale de 1992) constitue parfois un acte juridiquement indéterminé et incomplet. Cette imprécision et incertitude de la nouvelle charte fondamentale ont permis au pouvoir constituant dérivé (habilité à réviser la constitution) d’apporter à travers les modifications constitutionnelles, les corrections nécessaires au texte constitutionnel. En effet, Les imperfections et les oublis du constituant originaire (chargé de créer ou d’établir une nouvelle constitution) dans l’élaboration de la loi fondamentale de 1992 exigent parfois une amélioration et une adaptation de la Constitution à la dynamique de l’évolution politique et institutionnelle de Djibouti.

Rappel chronologique des révisions constitutionnelles adoptées

En réalité, réviser la Constitution est le travail d’un pouvoir institué (habilité à réviser la Constitution) qui a reçu cette compétence du pouvoir constituant originaire (habilité à créer ou à établir une nouvelle constitution pour le pays).

Le pouvoir institué est subordonné au pouvoir constituant originaire; son exercice n’est cependant pas libre mais conditionné par le respect des règles procédurales posées par le constituant originaire pour les amendements constitutionnels.

Les modifications apportées depuis 1992, date d’adoption de la Constitution Djiboutienne, sont assez fortifiantes pour la consolidation de l’État de droit, la démocratie et la modernisation des institutions.

En clair, depuis l’adoption de la Constitution en septembre 1992 jusqu’à de nos jours, la loi fondamentale a subi successivement trois grandes modifications en 2006, 2008 et 2010. Avant 2006, la révision constitutionnelle était une pratique méconnue et jamais utilisée dans l’histoire constitutionnelle et politique du pays.

En 2006, c’est une révision  réorganisant la procédure législative (les séances de travail parlementaire) qui va ouvrir le processus de révision depuis l’adoption de la première Constitution du pays en 1992.

La seconde modification constitutionnelle qui a eu lieu en 2008, est à nouveau une retouche portant sur une disposition constitutionnelle précise. Il s’agit de l’article 66 de la Constitution où le groupe de mots « la Chambre de Comptes et de discipline de la Cour suprême » est remplacé par le groupe de mots suivants « la Cour des Comptes ».

Enfin, La Constitution du 15 septembre 1992 est révisée en 2010 pour la troisième fois. Après son adoption par l’assemblée nationale, par un vote unanime de 59 sur 65 députés, la loi constitutionnelle n° 92/AN/10/67e L a été promulguée le 21 avril 2010 par le Président de la République.

Les différentes réformes démocratiques et institutionnelles réalisées en 2010 constituent une avancée significative du système constitutionnel djiboutien.

Elles vont soit dans le sens de l’approfondissement de la démocratie ou soit dans le sens de la modernisation des institutions. Il est évident que la modernisation de la loi fondamentale doit tenir compte des principes généraux qui ont présidé à l’élaboration de la Charte fondamentale dans la mesure où chaque Constitution possède un esprit, et cet esprit reste fondamentalement l’intérêt général du peuple. En tenant compte de l’intérêt supérieur de la Nation, quelques principes fondamentaux ont été introduits :

– L’attachement aux principes de la décentralisation, la protection des droits fondamentaux, la fin du cumul des mandats et l’introduction d’une limite d’âge dans les conditions d’éligibilité du président de la République, constituent des avancées démocratiques significatives.

En matière de décentralisation, la réforme constitutionnelle a apporté quelques effets positifs sur le principe de la décentralisation. Elle a introduit dans l’article 85 de la Constitution des nouvelles prérogatives. La rédaction de l’article 85 issue de la loi constitutionnelle de 2010 est rédigée comme suit : « Les collectivités territoriales sont des personnes morales de droit public qui jouissent de l’autonomie administrative et financière ». Effectivement, on est convaincu qu’en règle générale la libre administration suppose une autonomie financière et administrative impliquant des ressources dont les collectivités pourraient en disposer librement. Sur le plan pratique, la problématique liée au transfert des compétences, qui a pour corollaire l’autonomie financière et une fiscalité propre, retarde constamment le processus de décentralisation à Djibouti.

Enfin, la constitutionnalisation de l’autonomie financière et administrative des collectivités territoriales participe à la libre administration des collectivités et implique de facto la capacité de ces collectivités à bénéficier de ressources propres.

Les différentes révisions constitutionnelles effectuées sont également porteuses des principes fondamentaux. Elles montrent par exemple :

– L’attachement de la République de Djibouti aux valeurs de la dignité humaine avec notamment l’abolition de la peine de mort, désormais inscrite dans la Constitution. L’article 10 dans sa nouvelle rédaction dispose que « nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

Il est important de souligner également que la loi constitutionnelle de 2010 a mis un terme définitif au cumul des mandats à Djibouti. C’est une innovation constitutionnelle importante au même titre que l’incompatibilité entre un mandat parlementaire et un portefeuille ministériel. Il s’agit d’une revitalisation du principe de séparation des pouvoirs.

La réforme la plus importante reste celle portant sur la suppression de la limitation du nombre de mandats présidentiels et l’introduction d’une limite d’âge dans les modalités de désignation du chef de l’État. L’introduction d’une limite d’âge à 75 ans pour un candidat à l’élection présidentielle a un effet positif sur la participation politique des séniors dans les affaires publiques. Ce plafonnement de l’âge du candidat à l’élection présidentielle se retrouve aujourd’hui dans les constitutions de beaucoup des pays africains.

Enfin, la constitutionnalisation du rôle du Médiateur de la République, le renforcement des prérogatives du Premier ministre ou le passage au bicaméralisme parlementaire sont autant de réformes constitutionnelles s’inscrivant dans la modernisation des institutions politiques.

In fine, il est nécessaire de souligner aujourd’hui la nécessité d’un toilettage partiel du texte constitutionnel quinze années après la dernière modification constitutionnelle opéré en 2010. Ce processus est en cours d’approbation définitive par la Représentation nationale.

Dr Obsieh Ali Djama

Directeur des études des sciences juridiques et politiques à l’université de Djibouti.

Maitre de conférences en Droit public