Dans le contexte des défis liés au changement climatique, une réflexion approfondie est essentielle pour identifier des solutions adaptées aux enjeux environnementaux actuels. C’est dans cette perspective que l’ingénieur Samatar Mohamed Isman, spécialiste des énergies renouvelables, de la décarbonisation et de l’efficacité énergétique, partage son expertise et sa vision pour une Afrique en pleine transformation.

Pouvez-vous nous parler un peu de vous et de votre intérêt pour les enjeux du changement climatique ?

Le changement climatique est aujourd’hui une réalité incontournable qui bouleverse profondément nos sociétés, nos économies, mais aussi nos modes de vie. C’est un défi global, mais qui ouvre aussi une formidable opportunité de transformation, en particulier pour les pays en développement comme Djibouti. Mon engagement dans cette cause est à la fois personnel, technique et stratégique.

Ingénieur de formation, j’ai accumulé plus de 15 ans d’expérience dans les domaines de l’énergie, des infrastructures critiques et des énergies renouvelables. J’ai eu la chance de piloter des projets dans plusieurs pays d’Europe, comme la Suède, la Norvège ou la France, mais aussi dans différents pays africains — au Cameroun, en Côte d’Ivoire, en Algérie, et bien sûr à Djibouti. Tout au long de ma carrière, mon objectif a toujours été de contribuer à accélérer la transition énergétique, à améliorer l’efficacité industrielle et à promouvoir des solutions basses carbones adaptées aux réalités locales.

Aujourd’hui, je suis responsable des projets énergétiques au sein de la DPFZA/GHIH (Djibouti Ports & Free Zones Authority / Green Horn Investment holding), où je contribue activement à la mise en œuvre de la vision portée par Son Excellence le Président de la République de Djibouti. Lors de la COP28 à Dubaï, il a lancé un appel fort en faveur de la justice climatique et de la solidarité internationale, proposant notamment la création d’une Alliance africaine pour une industrialisation verte, durable et inclusive.

Djibouti, fidèle à sa Vision 2035, place la transition énergétique au cœur de son développement. Notre pays est prêt à collaborer pour mobiliser rapidement les financements climatiques en cohérence avec les Objectifs de Développement Durable (ODD), l’Accord de Paris, et les recommandations de l’Organisation Maritime Internationale (OMI). Concrètement, Djibouti a déjà initié plusieurs projets structurants : la création de l’Agence Souveraine du Carbone (SCA), le lancement de l’Observatoire Régional pour l’Environnement et le Climat (ORREC), la mise en place d’un guichet digital unique (DPCS) pour la logistique, ou encore la mise en service du premier parc éolien de 60 MW à Ghoubet.

Je pilote aujourd’hui des projets phares qui visent à transformer notre modèle « Port–Parc–City » en un écosystème intégré et durable : Green Port, Green Park, Green City. Ces projets reposent sur l’intégration massive d’énergies renouvelables, l’électrification ferroviaire entre les ports-industries, le développement d’infrastructures « de cold ironing » (permettant d’alimenter les navires à quai sans émissions polluantes) et la valorisation énergétique des déchets. Djibouti dispose d’atouts solides pour attirer les investissements climatiques : stabilité politique, position géostratégique entre trois continents, volonté politique forte, et cadre réglementaire en pleine modernisation. Je suis convaincu que notre pays peut devenir un modèle africain de leadership climatique, pragmatique et ambitieux, et je suis fier d’y contribuer avec nos partenaires publics et privés.

Comment peut-on concilier le travail dans la Free Zone avec une réflexion sur les défis environnementaux ?

La Free Zone de Djibouti est un excellent exemple de cette conciliation possible entre développement économique et préservation de l’environnement. Depuis le lancement du parc éolien de 60 MW, qui alimente progressivement nos infrastructures, nous intégrons pleinement la vision du Président et l’action concrète du Président de l’autorité des Ports et des zones franches, M. Aboubaker Omar Hadi qui souhaite voir nos plateformes logistiques décarbonées et plus responsables.

Chaque projet au sein de la Free Zone est conçu avec une double ambition : performance économique et respect de l’environnement. Cela se traduit par l’optimisation énergétique des infrastructures, la gestion responsable des ressources, la digitalisation accrue pour améliorer l’efficience, et la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Nous faisons ainsi de la Free Zone un espace de croissance durable où la performance économique rime avec l’écologie.

Sous la direction stratégique du Président, la zone franche suit une vision claire et ambitieuse de croissance décarbonée. Nous intégrons activement des énergies renouvelables à travers des projets photovoltaïques innovants, développons des infrastructures dédiées aux véhicules électriques, et construisons des bâtiments éco-conçus répondant aux standards environnementaux les plus exigeants. Par ailleurs, nous accueillons des entreprises engagées dans la réduction des impacts environnementaux, telles que celles spécialisées dans l’assemblage de panneaux solaires. Enfin, nous déployons des systèmes avancés de suivi et de contrôle des émissions de gaz à effet de serre afin d’assurer une gestion rigoureuse et transparente de notre empreinte carbone.

La plateforme digitale DPCS optimise les flux logistiques en temps réel, réduisant ainsi les délais et les émissions inutiles. En collaboration avec l’Agence Souveraine du Carbone, la Free Zone adoptera un modèle économique circulaire, visant à limiter les déchets et à réutiliser les ressources. L’objectif est clair : faire nos Zones Franches de Djibouti, des zones franches vertes de référence, alignée sur les standards internationaux ESG (Environnement, Social, Gouvernance) et attractive pour les investisseurs durables.

Quelle est votre approche face à la problématique du changement climatique ?

Pour moi, le changement climatique n’est pas simplement une contrainte ou un risque, mais une formidable opportunité d’innovation, d’attractivité et de leadership. Ma démarche repose sur une vision intégrée qui conjugue solutions techniques robustes, mobilisation financière et partenariats stratégiques.

D’abord, il faut intégrer la durabilité dès la conception des projets : favoriser des infrastructures sobres en carbone, utiliser prioritairement les énergies renouvelables, et viser une optimisation maximale de l’efficacité énergétique. Ensuite, la mobilisation des financements climatiques est essentielle : subventions, cofinancements concessionnels, labels carbone, tout doit être mis en œuvre pour accélérer la transition. L’Agence Souveraine du Carbone jouera ici un rôle central. Enfin, je crois beaucoup à la force des partenariats public-privé, qui permettent de déployer des solutions adaptées, efficaces et durables à grande échelle.

Nous avons pu démontrer cette approche avec des projets emblématiques comme le parc éolien de Ghoubet ou bientôt le lancement de la mise de politique portuaire verte. Pour moi, le changement climatique est aussi un levier stratégique d’innovation, d’attractivité économique et d’amélioration de la qualité de vie.

En quoi consiste le projet Green Port et quels seront ses impacts sur le port de Djibouti ?

Le projet Green Port est porté par le Président de l’autorité des ports et des zones franches, qui pilote directement la mise en œuvre opérationnelle et la stratégie locale du projet. Cette démarche s’inscrit pleinement dans la vision plus large et ambitieuse définie par le Président de la République, dont l’objectif est de faire de Djibouti un pays « 100 % vert » et d’atteindre la neutralité carbone (« net zero »). L’objectif central est de décarboner nos infrastructures clés du pays et d’établir Djibouti comme un modèle régional de transition énergétique dans le secteur maritime.

Green Port repose sur plusieurs piliers :

– L’intégration massive d’énergies renouvelables pour alimenter les infrastructures portuaires ;

– Le déploiement du cold ironing, qui permet d’alimenter les navires à quai sans recourir à leurs moteurs diesel polluants ;

– L’électrification des corridors ferroviaires entre les ports, réduisant les émissions liées au transport terrestre ;

– La valorisation circulaire des déchets en ressources énergétiques, notamment par la production de biomasse ou la méthanisation ;

– Le renforcement de la digitalisation intelligente de la chaîne logistique via la plateforme DPCS, pour optimiser les flux, réduire les délais et les émissions, et améliorer la performance globale.

Ce projet aura un impact majeur : il réduira significativement l’empreinte carbone du port, améliorera sa compétitivité et positionnera Djibouti comme un hub logistique vert, exemplaire pour toute la région.

Quelles transformations ce projet apportera-t-il à l’économie et à l’écosystème portuaire ?

Sur le plan économique, Green Port favorisera l’attraction d’investissements dits « verts », encouragera la création d’emplois dans les secteurs innovants, et renforcera la chaîne logistique nationale et régionale.

Sur le plan environnemental, il contribuera à réduire la pollution locale, protégera la biodiversité marine et terrestre aux abords du port, et introduira des pratiques durables dans la gestion des déchets et de l’énergie. Ce faisant, il participera à la création d’un écosystème portuaire plus résilient, plus sain, et plus attractif, avec des retombées positives pour la population et l’économie locale.

À votre avis, quelle place occupe le climat dans nos vies aujourd’hui ?

Le climat est devenu une priorité essentielle qui conditionne la sécurité, la santé, la stabilité économique et sociale. Il influence directement nos modes de vie, nos choix politiques et économiques, et impose une transformation profonde et rapide. Djibouti, comme beaucoup d’autres pays, est directement concerné par ces enjeux. C’est pourquoi notre mobilisation est forte, afin de faire face aux défis et de saisir les opportunités que cette transition offre.

L’Afrique est confrontée à de nombreux défis liés au changement climatique. Comment peut-elle s’adapter efficacement ?

L’adaptation passe par la diversification des sources d’énergie, la modernisation des infrastructures, la valorisation des ressources locales et la coopération régionale renforcée. Djibouti illustre cette capacité d’adaptation proactive grâce à ses initiatives innovantes dans les secteurs industrialo-portuaire et énergétique.

À terme, nous envisageons d’aller plus loin : aujourd’hui, nous ravitaillons les navires via notre flotte existante, mais demain, nous souhaitons fournir de l’hydrogène sous forme d’ammoniac, un carburant propre pour le transport maritime qui représente près de 3 % des émissions mondiales de CO₂ – un chiffre susceptible de doubler d’ici 2050 sans une action structurée. Consciente de cet enjeu planétaire, Djibouti assume pleinement son rôle de catalyseur régional pour la décarbonation du transport maritime et la transition énergétique des ports. Anticipant ainsi les normes futures et les besoins environnementaux.

Propos recueilli par Souber