Dans les méandres de la littérature de la Corne de l’Afrique, la figure d’Omar Osman Rabeh se détache avec une singularité puissante. Écrivain, penseur et homme de lettres djiboutien, il laisse derrière lui une œuvre dense et visionnaire, au croisement de la mémoire personnelle, de l’histoire collective et de la quête de sens dans un monde en mutation.

Né en 1946 à Dembel, dans la région du Shinilé, Omar Osman Rabeh grandit dans une société nomade marquée par les traditions orales, les récits initiatiques, et les tensions politiques d’une région déchirée entre aspirations à l’émancipation et héritages coloniaux. Cette matrice culturelle nourrira l’ensemble de son œuvre, empreinte de symboles, de réflexions sur l’identité, et d’un regard lucide sur les trajectoires humaines.

Formé d’abord au métier d’infirmier, il embrasse très tôt les sentiers escarpés de l’engagement intellectuel et politique. Ce chemin le conduira à la fois vers les profondeurs de la méditation philosophique et vers les sommets de la création littéraire. Exilé à plusieurs reprises, notamment en France et au Canada, il n’abandonne jamais l’écriture, qui devient pour lui le véritable lieu de résistance, d’exil intérieur et de transmission.

Son œuvre la plus célèbre, Le Cercle et la Spirale, publiée en 1984, est à la fois une autobiographie intellectuelle, une fresque historique et une méditation poétique sur la condition de l’exilé et la complexité des appartenances. L’auteur y déroule le fil de son existence avec une intensité rare, usant d’un style allusif, dense, parfois elliptique, mêlant les souvenirs personnels aux réflexions philosophiques. Le titre lui-même est emblématique : le cercle évoque le retour cyclique des épreuves, tandis que la spirale suggère l’élévation, la fuite vers l’inconnu, le dépassement.

Dans cette œuvre, Rabeh convoque les grands penseurs de la modernité, tout en puisant dans l’imaginaire somali, dans les récits nomades et les rites ancestraux. Il interroge les frontières – celles des États, des langues, des cultures – et en montre l’artifice, les tensions, mais aussi les possibles ponts. Parmi ses autres écrits, on compte des essais pénétrants sur les structures de pensée dans les sociétés de la Corne de l’Afrique, des travaux sur la mémoire collective et les dynamiques historiques, ainsi que des textes théoriques autour du pan-somalisme et de la formation des identités nationales. Son langage, toujours rigoureux, emprunte autant à la rhétorique philosophique qu’à la poétique soufie, dans une tension constante entre l’intellect et le sensible.

Docteur en philosophie, il rédigea également une thèse remarquable intitulée Examen de conscience et autocritique philosophiques, dans laquelle il explore les fondements de la responsabilité individuelle et collective, à travers une lecture croisée des traditions africaines et des courants de pensée occidentaux. Ce texte, encore peu connu, mérite d’être relu aujourd’hui à l’aune des défis contemporains liés à l’éthique, à la mémoire et au vivre-ensemble.

De retour à Djibouti dans les années 2000, Omar Osman Rabeh contribue à la réflexion intellectuelle nationale en dirigeant notamment un Institut de recherche dédié aux enjeux géopolitiques de la région. Il poursuit parallèlement son travail de réflexion et de transmission, jusqu’à ses derniers jours. Décédé en 2013, Omar Osman Rabeh appartient désormais au panthéon discret mais essentiel des grandes consciences littéraires de la Corne de l’Afrique. Son œuvre, encore trop peu diffusée, mérite une redécouverte attentive. Elle éclaire les chemins d’un homme habité par la parole, le silence et le devoir d’écrire. Elle rappelle, avec force et subtilité, que la littérature n’est jamais un refuge, mais un acte de présence au monde.

Mohamed Aden Djama