
Le 9 décembre 2025, à New Delhi, l’UNESCO a inscrit le Qibna Orobi — rituel central du mariage traditionnel afar — sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Cette distinction, portée par Djibouti avec le soutien de plusieurs pays partenaires, consacre un héritage vivant qui raconte l’histoire, la sensibilité et la cohésion du peuple Afar.
Une reconnaissance qui honore un peuple et une histoire
L’annonce venue de New Delhi a eu l’effet d’une onde de joie dans les communautés Afar. L’inscription du Qibna Orobi au patrimoine immatériel de l’humanité est une reconnaissance rare et précieuse. Elle célèbre une tradition dont la portée dépasse largement le cadre du mariage. Elle honore un mode de vie, une vision du monde, une manière d’être ensemble.
Le dossier présenté par Djibouti, soutenu par les Comores, les Émirats arabes unis, l’Iraq, la Jordanie, la Mauritanie et la Somalie, a été salué pour la qualité de sa documentation et pour l’engagement des communautés qui font vivre ce rituel. Pour le monde Afar — présent à Djibouti, en Éthiopie et en Érythrée — cette inscription est une reconnaissance internationale de pratiques ancestrales transmises avec patience et fidélité.
Le Qibna Orobi : un rituel où la communauté se rassemble
Au cœur du mariage afar, le Qibna Orobi occupe une place unique. Il ne s’agit pas simplement d’un cortège : c’est un moment où toute la communauté se mobilise autour de la mariée. Les femmes la conduisent en procession, avancent à ses côtés, portent les chants et les rythmes qui accompagnent sa marche.
Ces chants, hérités de générations de musiciennes et de poétesses, rythment le déplacement du cortège. Ils racontent la joie de l’union, les responsabilités qui attendent les époux, et la fierté de transmettre la tradition. La marche est un symbole : elle représente à la fois la protection de la mariée, le passage vers une nouvelle étape, et la force collective qui porte la vie communautaire.
Dans le Qibna Orobi, chaque détail compte : les parures finement travaillées, les étoffes traditionnelles, les gestes précis, la proximité entre les femmes. C’est un rituel qui dit l’importance du lien social, de la solidarité et de la mémoire partagée.
Un patrimoine transmis par les femmes
Le Qibna Orobi n’aurait pas traversé les siècles sans l’engagement des femmes afar. Elles en sont les gardiennes, les artistes, les porte-voix. Ce sont elles qui transmettent les chants, qui enseignent les pas, qui veillent à ce que les gestes soient justes. Elles connaissent l’ordre des étapes, la signification des parures, le sens du cortège.
Cette transmission s’est toujours faite oralement, dans les foyers, les campements, les réunions familiales. Elle suit un rythme qui échappe aux manuels et aux archives, mais qui imprime profondément l’identité du groupe. Protéger le Qibna Orobi, c’est donc aussi reconnaître la place essentielle des femmes dans la préservation culturelle afar.
Une inscription qui engage l’avenir
L’entrée du Qibna Orobi au patrimoine immatériel de l’humanité est un honneur, mais c’est aussi un engagement. Car un rituel peut s’éteindre si les conditions de sa transmission disparaissent. La modernisation, les transformations sociales, les migrations peuvent fragiliser ce type de pratiques.
L’UNESCO encourage aujourd’hui Djibouti et les pays partenaires à accompagner les communautés dans la sauvegarde du rituel : soutenir les artisanes, enregistrer les chants, documenter les gestes, encourager la jeunesse à s’approprier ses traditions. Il s’agit de préserver la vitalité du Qibna Orobi sans le figer, en respectant son caractère vivant et évolutif. Pour les Afar, cette reconnaissance est aussi une invitation à continuer de faire vivre leur patrimoine, à le transmettre avec la même patience et la même dignité que les générations précédentes.
Une fierté nationale pour Djibouti
Pour Djibouti, l’inscription du Qibna Orobi dépasse largement le cadre culturel. Elle renforce l’image d’un pays attaché à ses racines, fier de la richesse de ses communautés, et décidé à valoriser son héritage immatériel. Elle rappelle que la culture vivante d’un peuple a autant de valeur que les monuments ou les sites archéologiques.
Cette décision met également en lumière la contribution du peuple Afar à l’identité nationale, ainsi que la place déterminante des femmes dans la transmission du patrimoine. Elle renforce la cohésion d’un pays qui reconnaît la diversité de ses traditions comme une force, non comme une fragmentation.
Avec l’inscription du Qibna Orobi au patrimoine immatériel de l’humanité, Djibouti et le monde Afar voient un pan essentiel de leur mémoire reconnu et protégé. Ce rituel, qui accompagne depuis des générations l’un des moments les plus importants de la vie, devient désormais un patrimoine partagé avec l’ensemble de l’humanité. Une manière de dire que la beauté d’une tradition, lorsqu’elle est vivante et sincèrement transmise, appartient à tous — et qu’elle a, désormais, sa place dans le livre universel de la mémoire des peuples.
Ali Salfa













































