
En 1945, Djibouti, alors connue sous le nom de Côte Française des Somalis (CFS), était une colonie française stratégique située à l’entrée de la mer Rouge. La Seconde Guerre mondiale avait laissé des marques profondes sur la région, avec une occupation britannique temporaire en 1942-1943, suivie du retour des Français libres. Le développement de l’éducation qui était déjà limité et inégalitaire a été fortement impacté lors de la Seconde Guerre mondiale.

Situation de l’éducation en 1945
À la fin de la guerre, l’éducation à Djibouti restait embryonnaire et fortement influencée par le modèle colonial français. Elle était principalement dispensée en français et visait à former une élite loyale à la métropole. Les écoles étaient rares, et l’analphabétisme touchait la majorité de la population autochtone. L’enseignement primaire était prioritaire, avec un accent sur les valeurs républicaines françaises, mais les ressources étaient insuffisantes pour une couverture étendue. Les filles étaient particulièrement marginalisées, avec un accès limité aux écoles.
En 1945, la CFS comptait un nombre très limité d’établissements scolaires. Selon les archives, il y avait seulement 2 écoles primaires publiques à Djibouti-ville (école de la République et école de quartier 6). Suite à l’arrêté du 15 juin 1935 portant sur la création d’écoles primaires dans les districts, chaque région de l’intérieur a été dotée d’une école primaire (la région administrative d’Arta n’existait pas à cette époque) : écoles primaires d’Obock (1936), Ali Sabieh (1937), Dikhil (1939). Le chef de lieu de Tadjourah disposait déjà d’une école primaire dès 1932.

Ces écoles accueillaient environ 1 500 élèves, dont une majorité d’enfants européens et métis, et seulement une minorité d’autochtones. Il n’y avait pas d’enseignement secondaire public ; les élèves les plus avancés étaient envoyés en France ou à Madagascar pour poursuivre leurs études.
Les écoles coraniques traditionnelles, gérées par des communautés locales, ainsi que les écoles catholiques, existaient parallèlement, mais n’étaient pas intégrées au système officiel.
Impact de la Seconde Guerre mondiale sur le développement éducatif de la CFS
La guerre a gravement perturbé le développement éducatif de la CFS. De 1939 à 1945, les ressources financières et humaines ont été détournées vers l’effort de guerre, réduisant les budgets alloués à l’éducation. Après la défaite de la France en juin 1940, le gouvernement de Vichy a maintenu le contrôle de ses colonies, y compris Djibouti, un port stratégique. Les Britanniques, alliés des Français libres de Charles de Gaulle, craignaient que Djibouti ne serve de base aux forces de l’Axe présentes dans la région (Italie et Allemagne). Ils ont donc décidé d’isoler la colonie pour la forcer à se rendre. Le 21 juillet 1940, la Royal Navy britannique bombarde Djibouti-Ville, causant des dommages et des victimes civiles. À partir de juillet 1940, les Britanniques établissent un blocus maritime complet autour de Djibouti, empêchant l’arrivée de ravitaillements, de carburant et de nourriture.
L’intervention militaire britannique a interrompu les activités scolaires, et de nombreux enseignants français ont été mobilisés ou évacués. À la reprise des hostilités, les écoles ont souffert de pénuries de matériel et de personnel, exacerbant les inégalités. De plus, la guerre a aggravé la pauvreté et la malnutrition, rendant l’accès à l’éducation encore plus difficile pour les populations locales. En effet, la guerre a causé une inflation et une pénurie de nourriture, forçant de nombreuses familles à retirer leurs enfants de l’école pour travailler ou fuir les zones de conflit. Selon des rapports de l’époque, le nombre d’élèves a chuté de 50 % dans les écoles primaires.
Sur le plan psychologique, elle a renforcé le sentiment de dépendance coloniale, mais a aussi semé les graines d’un désir d’émancipation, influençant les réformes post-guerre. La guerre a freiné le développement éducatif de la CFS, retardant les investissements prévus dans les années 1930. Avant 1939, des efforts modestes avaient été faits pour étendre l’éducation aux populations locales, avec la création de quelques écoles rurales. Cependant, les destructions matérielles et la reconstruction post-guerre ont détourné les fonds vers d’autres priorités, comme les infrastructures portuaires et militaires. Cela a perpétué un système éducatif élitiste, où l’éducation servait davantage à maintenir le contrôle colonial qu’à promouvoir le développement humain. L’éducation des populations locales a été encore plus négligée, tandis que les écoles pour les Européens ont été préservées autant que possible, creusant le fossé colonial.Paradoxalement, la guerre a mis en lumière les faiblesses du modèle colonial.
Nouvelles ambitions après 1945
L’après-guerre a marqué un tournant avec l’avènement de la Quatrième République en France, qui a adopté une politique plus interventionniste dans les colonies. En matière d’éducation, de nouvelles ambitions ont émergé, inspirées par les idéaux démocratiques post-guerre et les pressions internationales pour la décolonisation. Le gouvernement français a lancé des plans pour étendre l’accès à l’éducation primaire, avec un objectif de lutter contre l’analphabétisme.
À Djibouti, cela s’est traduit par la création de nouvelles écoles dans la capitale et dans les zones rurales et l’augmentation des subventions pour former des enseignants locaux. Les ambitions incluaient également une plus grande inclusion des filles. Des arrêtés ont été pris aussi pour moderniser notamment les écoles rurales (arrêté du 12 novembre 1955). Mais la reconstruction a été lente et la construction de nouvelles infrastructures scolaires a pris des années. En 1955, le taux d’alphabétisation restait stagnant à environ 10% de la population autochtone estimé à 50 000 habitants.
Spécifiquement à Djibouti-ville en 1949 (date de l’arrêté n° 1145), la création d’un “cours complémentaire annexe” vise à proposer aux élèves djiboutiens, un niveau d’études qui prolongeait l’école primaire au-delà du certificat d’études primaires. Les cours complémentairesouvraientl’accès à des études secondaires (collège et lycée pour les élèves autochtones).
À partir des années 1950, le nombre d’écoles primaires a commencé à augmentermarquant le début d’une expansion éducative durable. D’autres structures éducatives nouvelles ont vu le jour un peu plus tard tel qu’un collège, un lycée et un cours normal pour former les enseignants locaux (nous parlerons de ces structures dans un article à venir). Ces réformes ont été globalement positives, mais insuffisantes pour changer significativement la situation de l’éducation dans le territoire.
La Seconde Guerre mondiale a eu un effet dévastateur sur l’éducation à Djibouti, marquée par des interruptions immédiates et des retards à long terme. La guerre a exposé les faiblesses du système colonial en matière de politiques éducatives. Les cicatrices de l’inégalité persistent encore aujourd’hui à Djibouti-ville et dans les régions rurales.Après la guerre, des réformes ont été mises en œuvre pour développer l’éducation dans l’ensemble du territoire. Mais ces réformes sont intervenues tardivement par rapport aux besoins de la Colonie et ont été lentes dans leur exécution.Néanmoins, cette période a posé les bases d’un système éducatif plus inclusif, bien que les défis persistent encore aujourd’hui. Indirectement, cette période difficile pour la population locale, a aussi nourri les mouvements nationalistes de lutte pour l’indépendance.
Abdallah Hersi











































