Bien avant de devenir une figure centrale de la République de Djibouti, Ismaïl Omar Guelleh fut un jeune homme animé par un profond sens de la justice et de la liberté. Dans un territoire encore sous domination coloniale française, il s’illustre dès son plus jeune âge par ses talents linguistiques et ses capacités d’analyse, qui attirent rapidement l’attention des autorités françaises. Pourtant, loin de se ranger du côté du pouvoir en place, il choisit de se tenir aux côtés de son peuple et d’embrasser le combat pour l’émancipation. Ce parcours, entre collaboration initiale, rupture idéologique et engagement résolu au sein de la Ligue Populaire Africaine pour l’Indépendance (LPAI), éclaire une facette souvent méconnue de celui qui deviendra plus tard le président de la République de Djibouti.

En 1965, à l’âge de 18 ans, Ismaïl Omar Guelleh entre dans le monde professionnel dans un contexte politique tendu. Le Territoire français des Afars et des Issas, colonie française en Afrique de l’Est, vit sous une administration rigide, marquée par une forte présence des services de renseignement français qui scrutent les moindres signes d’agitation nationaliste. À cette époque, les autorités coloniales cherchent des profils prometteurs pour servir leurs intérêts, notamment parmi les jeunes issus de familles respectées.

Ismaïl Omar Guelleh attire leur attention pour une qualité rare : sa maîtrise exceptionnelle des langues. Outre le français et l’arabe, il parle l’amharique, le somali, l’italien et l’anglais.

Cette aptitude polyglotte, doublée d’une vive intelligence et d’une bonne connaissance des dynamiques sociales locales, fait de lui un candidat idéal pour les services des Renseignements généraux. Il est recruté dans l’appareil colonial, où il acquiert une connaissance approfondie des rouages de l’administration et des méthodes de surveillance.

La rupture avec l’administration coloniale

Cependant, cette collaboration initiale ne durera pas. Très vite, Ismaïl Omar Guelleh est confronté à la dure réalité de la colonisation : arrestations arbitraires, répression des militants nationalistes, discrimination structurelle. Témoin des humiliations infligées à ses compatriotes, il développe une aversion croissante envers les pratiques coloniales françaises. Son sens de la justice l’empêche de rester silencieux. Les tensions s’accumulent entre lui et ses supérieurs. Son engagement personnel le pousse à entretenir des liens discrets mais solides avec des milieux indépendantistes.

Cela finit par éveiller les soupçons des autorités françaises, qui l’accusent d’activités subversives. Il est arrêté, puis relâché, mais sa situation professionnelle devient de plus en plus fragile. En 1974, après plusieurs avertissements et surveillances étroites, il est officiellement suspendu de ses fonctions. Cette mise à l’écart marque une rupture définitive avec l’administration coloniale et ouvre un nouveau chapitre dans sa vie : celui du militantisme actif.

L’influence familiale et le tournant militant

Ismaïl Omar Guelleh n’est pas seul dans cette trajectoire politique. Il grandit dans une famille déjà engagée dans la lutte pour l’émancipation nationale. Son grand frère, Idris Omar Guelleh, est une figure très active au sein de la LPAI. Orateur charismatique, capable de galvaniser les foules lors des rassemblements, Idris joue un rôle clé dans l’organisation des mouvements populaires. C’est à son contact qu’Ismaïl se forme au discours politique, à la stratégie et à la mobilisation.

Inspiré par son frère, Ismaïl rejoint officiellement la Ligue Populaire Africaine pour l’Indépendance (LPAI), dirigée par Hassan Gouled Aptidon. La LPAI, fondée en 1975, incarne l’espoir d’un peuple qui aspire à l’autodétermination. Elle milite pour une indépendance pacifique mais ferme, dans un contexte de pressions françaises croissantes, notamment après les référendums de 1958 et 1967, marqués par la fraude et la manipulation.

Dans la LPAI, Ismaïl Omar Guelleh met à profit son expérience des renseignements et son habileté à dialoguer avec des interlocuteurs multiples. Il devient un membre influent du mouvement, jouant un rôle de conseiller discret mais stratégique. Il participe à l’élaboration des discours, à la sensibilisation de la jeunesse, et renforce les liens entre les militants locaux et les soutiens à l’étranger.

La marche vers l’indépendance : 1977, une année décisive

L’année 1977 marque un tournant historique pour le territoire des Afars et des Issas. Sous la pression populaire et diplomatique, la France accepte enfin de négocier l’indépendance. Une délégation djiboutienne est formée pour mener les pourparlers avec les autorités françaises. Ismaïl Omar Guelleh en fait partie. À seulement 30 ans, il participe aux discussions cruciales qui vont aboutir à la création d’un nouvel État.

La proclamation officielle de l’indépendance a lieu le 27 juin 1977, dans une atmosphère de liesse populaire. Le peuple djiboutien célèbre la fin d’un long cycle de domination et de luttes. Hassan Gouled Aptidon devient le premier président de la République de Djibouti. En reconnaissance de son engagement et de sa loyauté, il nomme Ismaïl Omar Guelleh chef de cabinet. Ce poste stratégique permet à ce dernier d’avoir une vue d’ensemble sur les affaires de l’État et de continuer à jouer un rôle moteur dans la construction du pays.

Le socle d’un destin présidentiel

Le parcours d’Ismaïl Omar Guelleh entre 1965 et 1977 révèle bien plus qu’un simple itinéraire personnel. Il illustre le cheminement d’un jeune homme en quête de sens, confronté aux contradictions du pouvoir colonial, et qui finit par s’inscrire dans le mouvement historique de libération nationale. Cette période fonde les bases de son avenir politique : connaissance du terrain, réseau solide, fidélité aux idéaux de justice et de souveraineté.

Ce chapitre de sa vie, souvent occulté par sa carrière présidentielle, mérite d’être mis en lumière pour comprendre la profondeur de son engagement initial. Car avant d’être chef d’État, Ismaïl Omar Guelleh fut d’abord un militant, un témoin des souffrances de son peuple, et un artisan de l’indépendance.