
Dans le cadre du 48ᵉ anniversaire de la souveraineté de notre pays, nous allons retracer dans cet article le parcours du père fondateur de la nation djiboutienne. Celui que les artistes de la troupe ‘‘Gacan-Macaan’’ accompagnaient, à chacune de ses apparitions publiques avec la chanson ‘‘HALKAAD NOO DIRTABA HAYE, AABO, HAYE’’ — « Où que tu nous envoies, nous acceptons, Père. » Il s’agit d’El Hadji Hassan Gouled Aptidon (Paix à son âme), le Premier Président de la République. Son histoire se confond avec celle de la nation djiboutienne. Il s’est éteint le 21 novembre 2006, à son domicile de Haramous (Allah Yarhamu), après avoir transmis le flambeau, en 1999, à son successeur, élu par un suffrage universel, Son Excellence M. Ismaïl Omar Guelleh. De son ascension politique à son habileté stratégique, en passant par sa présidence fondatrice, Hassan Gouled Aptidon figure parmi les politiciens africains qui ont marqué le XXe siècle. Portrait d’un sage qui, contre vents et marées, a conduit sa nation avec détermination.
El Hadji Hassan Gouled Aptidon (Paix en son âme) est né le 15 octobre 1916 à Djibouti, en ce temps, « Côte française des Somalis ». Il a fait ses études limitées à l’époque aux six premières classes du primaire, à l’école publique. En 1935, sous un empire colonial en apogée, il débute sa vie professionnelle, comme apprenti préparateur en pharmacie à l’hôpital colonial avant de devenir quelques années plus tard, entrepreneur.
Quelques mois d’emprisonnement pour des suppositions concernant son implication dans des incidents politiques en 1941, ont réveillé sa conscience. Rapidement, il s’exile en France. À Paris, il comprend les rouages de la République, observe le fonctionnement des institutions, apprend à composer, à négocier. Son regard s’élargit au sort des siens. De retour au pays en 1946 il fonde, avec Mahmoud Harbi, Mohamed Kamil Mohamed et Ali Aref Bourhan le « Club de la jeunesse somalie et dankalie ».
Élu au Conseil représentatif du Territoire, où il en devient vice-président En 1950 puis membre entre du Conseil de la République en 1952, Hassan Gouled Aptidon s’est distingué au cours de son mandat au sein du groupe du Rassemblement d’Outre-mer, par sa défense constante des intérêts de la Côte française des Somalis. Au Sénat, sous la bannière du RPF de Charles de Gaulle, il devient une voix incontournable des territoires d’outre-mer, porté par son éloquence et sa détermination. Il plaide pour la modernisation des infrastructures, la promotion de l’enseignement, la reconnaissance des victimes des répressions coloniales, notamment celles de la tuerie de 1941.
Le 12 juin 1956, il dépose une proposition de résolution visant à promouvoir le progrès économique et social de son territoire. Devenu ministre de l’Enseignement après les accords d’Arta en 1963, il est emprisonné en 1967 avec d’autres figures du PMP. Mais le destin s’accélère : élu à l’Assemblée territoriale en 1968, il devient ministre de l’Intérieur.
À l’aube de l’indépendance, il préside la Ligue populaire africaine pour l’indépendance (LPAI), et émerge comme l’homme providentiel. Le 18 mai 1977, il est nommé président du Conseil de gouvernement. Le 27 juin suivant, la République de Djibouti voit le jour, et Hassan Gouled Aptidon en devient le premier Président.
Le bâtisseur d’une République
Durant plus de deux décennies, le président Gouled façonne les fondations d’un État encore fragile et instaure pour y renforcer sa base, un système de parti unique, une décision critiquée mais justifiée, par l’urgence de maintenir l’unité nationale.
Dans son discours historique du 27 juin 1977, le Président Hassan Gouled Aptidon proclame solennellement l’indépendance de la République de Djibouti.
« Djiboutiens, Djiboutiennes, Frères et sœurs de la capitale et des cercles d’Ali Sabieh et de Tadjourah, de Dikhil et d’Obock. Rendons grâce à Dieu, le Tout Puissant, le Miséricordieux.
Car nous voilà enfin réunis pour la liberté.
Voici qu’un peuple nouveau s’est levé dans la Paix, l’Unité et la Fraternité.
Oui voici Djibouti enfin libre et indépendant
Oui Djibouti vivra libre et indépendant
Voilà le fruit de notre victoire » a déclaré El Hadji Hassan Gouled Aptidon (Allah Yarhamu), dans son premier discours prononcé la nuit même des changements officiels des deux drapeaux, aux alentours de minuit 5, sous un ciel éclairé par des feux d’artifices multicolores et notamment sous un drapeau djiboutien qui flotte pour la première fois au dessus de sa tête.
Dans ce discours historique, le premier Président de la nation djiboutienne a rendu un hommage vibrant aux femmes djiboutiennes, saluant leur courage, leur fidélité et leur rôle essentiel dans le combat pour l’indépendance.
« Vous avez toujours été présentes à nos combats, toujours premières à répondre à l’appel de la Patrie. (…) Vous avez vu vos maris, vos frères et vos fils emmenés et disparaitre, mais vous avez gagné l’Indépendance!
Vous avez vu vos familles déchirées par le barbelé, mais vous avez gagné l’Indépendance!
Vous avez vu vos enfants maltraités et humiliés, mais vous avez gagné l’Indépendance!
Vous avez vu vos frères et vos sœurs déportés, mais vous avez gagné l’Indépendance! » Une déclaration qui confirme l’importance de la femme dans les coutumes ancestrales des communautés djiboutiennes.
Mettant en garde, la population contre les dangers du tribalisme, le père fondeur de la nation djiboutienne. « Le tribalisme est l’ennemi et le contraire de l’indépendance nationale et il ne profite qu’à ceux-là même qui se sont opposés jusqu’aux derniers jours de notre souveraineté pour s’assurer le pouvoir, pour favoriser les uns contre les autres, pour perpétuer l’humiliation de notre peuple en donnant au monde, le spectacle artificiel de nos divisions » a-t-il bien insisté.
Evoquant par la suite le développement de cette nation qui venait tout juste de naitre: « Ne croyez pas que le combat pour l’unité populaire soit pour autant terminer ! Cette indépendance nous permet seulement de mieux continuer notre lutte » a-t-il souligné avant de rappeler les grands traits de sa politique. « Souvenez-vous! Au début de ma vie politique et voulant résumer qu’elle avait été mon action pour mieux en conduire la suite, je m’étais assigné trois but :
La Paix entre les différentes populations.
Le développement économique et social.
L’évolution politique devant conduire progressivement jusqu’à l’émancipation du territoire » a-t-il précisé.
Et pour parvenir à cette unité, socle de la nation, il crée le 4 mars 1979, à Dikhil, ville qui symbolise l’unité nationale, le Rassemblement Populaire pour le Progrès (RPP), un parti qui deviendra le pilier de la vie politique djiboutienne.
Sous sa présidence, plusieurs orientations avaient dominé sa politique étrangère : la volonté d’une entente étroite avec la France, la neutralité, la recherche d’appuis auprès des pays arabes et un équilibre délicat avec les voisins. Cherchant toujours à renforcer la politique de Djibouti en Afrique orientale, Hassan Gouled crée en 1986, l’Autorité intergouvernementale sur la sécheresse et le développement (devenue I.G.A.D. en 1996, comprenant Djibouti, l’Éthiopie, la Somalie, le Kenya, le Soudan et l’Ouganda l’Érythrée puis le Sud Soudan), dont le siège est à Djibouti. Par ailleurs, la R.D.D. intégrait, en 1993, le Comesa, organisation d’intégration économique régionale.
En 1991, alors que la guerre civile éclate, il amorce un virage démocratique et organise en mai 1993, les premières élections multipartites. Le Front pour la restauration de l’unité et de la démocratie (FRUD) signe un accord de paix avec son gouvernement en décembre 1994, scellant la fin d’un conflit fratricide.
Hassan Gouled se retire en 1999. «Mon cœur est rempli de fierté en contemplant ma nation réconciliée, sa mémoire reconstruite et son histoire libérée de ses ressentiments», a-t-il déclaré dans son message au congrès du RPP, lu par un responsable du parti. Il a 83 ans. La République qu’il laisse est stable. Avec l’humilité tranquille qui l’a caractérisé toute sa vie, il s’efface dans la discrétion. Il vivra encore sept années loin des projecteurs. Son épouse, fidèle compagne de route, Aicha Bogoreh s’éteint en août 2001, à l’âge de 73 ans. Lui-même rend son dernier souffle le 21 novembre 2006, à son domicile à Haramous, entouré des siens. Il avait 90 ans. En hommage à son rôle fondateur, Plusieurs infrastructures portent son nom : Le Stade Hassan Gouled Aptidon le boulevard El Hadji Hassan Gouled Aptidon…..etc.
Allah Yarhamu, El Hadji Hassan Gouled était un conciliateur, un homme d’équilibre dans une région en conflits. Son parcours était tiraillé entre héritage colonial, renforcement de l’unité et de la cohésion sociale. Père fondateur de la nation djiboutienne, Hassan Gouled Aptidon figure parmi les politiciens africains les plus emblématiques du XXᵉ siècle. Il était un sage qui, contre vents et marées, a conduit sa nation avec détermination. Qu’Allah l’accueille dans Son paradis éternel.
RACHID BAYLEH