Certaines images, à force d’être vues, finissent par ne plus choquer. Et c’est précisément là que commence le drame. À Djibouti-ville, les tas d’ordures qui serpentent le long de certaines grandes artères, les eaux usées qui débordent des caniveaux et se répandent sur les trottoirs, ou encore les décharges sauvages qui poussent comme des champignons en plein cœur de la capitale, ne provoquent plus l’indignation qu’ils devraient susciter. La banalisation de l’insalubrité est devenue notre pire ennemie.

Le constat est dur, implacable, mais nécessaire : la capitale se dégrade à vue d’œil et tout le monde semble s’y être habitué. Les citoyens, d’abord, qui continuent de jeter à même le sol ce qu’ils pourraient mettre dans un receptacle disposé quelques mètres de plus. Les commerçants, ensuite, qui laissent s’accumuler devant leurs boutiques des détritus qu’ils estiment ne pas leur appartenir. Les autorités concernées, enfin, dont l’action reste trop souvent ponctuelle et fragmentée.

Pourtant, la propreté d’une ville n’est pas un luxe, encore moins un caprice esthétique. C’est une responsabilité collective et une condition de santé publique. C’est aussi un indicateur de civilisation. Lorsque des eaux usées traversent la chaussée, lorsque des détritus bloquent les canalisations, lorsque les nuisances deviennent le décor quotidien, ce n’est pas seulement le paysage urbain qui se dégrade, mais la qualité de vie, la sécurité sanitaire et même l’image du pays tout entier.

On aurait tort de penser que cette situation relève uniquement des services publique. Certes, on ne peut pas dire qu’ils veillent à leur mission avec un zèle particulier, car par manque de suivi, de coordination ou parfois de vision. Mais la plus grave faillite est d’ordre civique. Car aucune commune, aucune agence publique ou aucune stratégie nationale ne pourra durablement lutter contre l’insalubrité tant que l’incivisme demeurera un sport collectif.

Aujourd’hui, l’urgence est double : un sursaut institutionnel et un sursaut citoyen. Les autorités doivent agir avec fermeté, en planifiant et modernisant d’un côté, en surveillant et sanctionnant de l’autre. Les infrastructures doivent être entretenues et les collectes régulières. Mais – on ne le répètera jamais assez ! – ce travail sera vain si, dans le même temps, la population ne fait pas preuve d’un minimum de discipline et de conscience.

Il est temps, plus que temps, de rappeler que la ville appartient à ceux qui y vivent. Réhabiliter notre capitale n’exige pas des miracles, mais une volonté : que chacun assume sa part, que chacun se sente responsable, que chacun refuse désormais la fatalité de l’insalubrité.

Cela commence par un geste, puis un autre, puis par un refus unanime : celui de laisser notre capitale sombrer dans l’indifférence.