
Dans nos souvenirs des années de lycée et de collège, on se rappelle des amis, de nos professeurs, bref de tous ceux qui ont laissé une marque dans nos vies d’ados, mais pour certains d’entre nous, il y a des choses qui nous ont marqué plus que tout. Ce sont les femmes qui vendaient des beignets et quelques friandises devant nos écoles. Ces mères-courageuse ont façonné nos vies d’adultes, car pour beaucoup d’entre nous, elles ont été des psychologues, des amies, des oreilles attentives. Dans ce texte, nous voulons rendre hommage à ces femmes, qui ont souvent été ignorées, mais qui, d’une façon ou d’une autre, ont partagé des instants de vie privilégiés avec les enfants qu’elles ont côtoyés durant des années.

Pour la génération Z, il y a une chose qu’ils ne connaitront jamais, ce sont la chaleur et la bonté des femmes qui vendaient les beignets devant nos écoles publiques. Le matin, dès que l’on arrivait, elles étaient là, avec leurs petits bacs bien remplis. Pour nous, ceux qui ont aujourd’hui 40 ou 50 ans, leurs bacs représentaient un petit paradis. Elles y mettaient tout ce que les enfants aimaient. Des bonbons, des chewing-gums, des sucettes, des beignets, des œufs, bref plein de bonnes choses qui ne sont plus recommandées de nos jours. Mais pour nous, c’était un véritable paradis.

Des psychologues avant l’heure.
Une fois à l’école, vous aviez deux catégories d’élèves. Les riches qui, en descendant de leurs belles voitures, allaient tout droit acheter leurs goûters, avec en poche 100 FD, une somme qui faisait tourner les têtes à l’époque. Et puis vous aviez ceux qui avaient à peine 20 FD ou 10 FD et qui gardaient leur argent bien au chaud au fond de la trousse. Cette petite somme, ils y pensaient tout le long des cours.
Fiers d’avoir un peu d’argent, ils se demandaient ce qu’ils pourraient acheter. Ils hésitaient entre un verre de jus, à 10 FD, et un bonbon. L’enfance dans toute sa splendeur.

Cette époque, qui semble si lointaine, a forgé les adultes que nous sommes devenus, car ces femmes, elles aussi mères de familles nombreuses, savaient ce que chacun d’entre nous désirait au plus profond de son être. Elles connaissaient les classes de chaque élève, elles nous appelaient par nos noms. Pendant la récréation, quand tous les enfants se jetaient sur elles pour acheter des friandises, elles savaient quoi donner à chacun. Elles savaient comment nous attirer, en ramenant chaque jour des nouvelles friandises assorties d’un gadget. Et pour ceux qui les achetaient, ils savaient que tous leurs camarades allaient venir jouer avec eux. Quel beau souvenir !
Et pour ceux qui n’avaient rien, en fin de matinée, elles leur donnaient un petit bonbon pour qu’ils ne se sentent pas délaissés.
Pour certains enfants, elles étaient leurs premières confidentes. Rien qu’à la première vue, ces femmes savaient quels enfants avaient besoin d’être écoutés. À l’époque, certains étaient toujours bien habillés et les poches bien remplies, et les autres, pour ceux qui restaient dans leurs coins, elles savaient de quoi ils avaient besoin.
Elles affichaient toujours des larges sourires, elles invitaient chaque enfant à s’assoir sur des vieux réchauds qui leur servaient de tabourets. Ces femmes représentaient pour nous des oreilles attentives. Elles nous écoutaient, et nous prodiguaient toujours de bons conseils.
Le cœur sur la main
Pour ceux dont les parents n’avaient pas assez de sous, elles leur offraient gratuitement leurs petits déjeuners, elles savaient que ces enfants tenaillés par la faim ne pouvaient supporter de longues journées de classe. Que cela ne tienne, elles préféraient donner sans rien demander en retour.
Elles savaient que ces enfants n’avaient pas les moyens de s’acheter à manger et qu’ils devaient, tout comme leurs autres camarades, poursuivre leurs études. Et pour les aider, elles leur racontaient des histoires de réussite tout droit sorties de leurs imaginations. Pourtant, elles avaient elles aussi des bouches à nourrir. Souvent mères de familles nombreuses, elles élevaient leurs propres enfants grâce à ça. Et elles ont réussi. Combien de hauts cadres, de directeurs, de médecins ont été élevés par ces femmes courageuses. Elles se levaient aux aurores pour cuire les beignets, bouillir les œufs, préparer les jus, et pourtant elles arrivaient avant tout le monde. Une fois, leurs affaires déposées, elles nettoyaient leurs petits espaces, et attendaient l’arrivée des enfants. Chacune fidèle à son poste, elles ne s’absentaient jamais, car elles, aussi, elles devaient nourrir leurs familles. Pour les plus démunis, rien que s’asseoir à leurs côtés était déjà quelque chose de grandiose, car certaines n’acceptaient pas que certains enfants squattent leurs tabourets sans rien acheter en retour.
Cette époque, qui semble si lointaine, fait remonter en chacun de nous des souvenirs d’une autre époque, celle de l’innocence.
Maintenant, on interdit à nos enfants de discuter avec des inconnus, on leur interdit les friandises et on leur rabâche les oreilles de manger des fruits et des légumes, mais en ce temps-là, un petit bonbon ou un biscuit représentait beaucoup à nos yeux.
Les récréations étaient des instants de vie précieux, pour les élèves comme pour elles. Bien avant le retentissement de la sonnerie, elles étaient sur les starting-blocks à préparer leurs affaires. Elles aimaient ces rencontres avec ces petits êtres affamés que nous étions. Et pourtant, ces souvenirs, qui semblent si lointains, pour certains, ont laissé en nous des marques indélébiles.
Il nous est impossible de passer devant nos anciens collèges et lycées sans nous souvenir de Dahabo, de Mariam ou d’Amina, ces femmes souvent mal habillées, mais avec des cœurs immenses. Elles ont été pour nous des confidentes, des marraines, qu’on ne retrouve plus de nos jours. Ces femmes, qui méritent des distinctions, ont été bien plus que de simples vendeuses, elles ont aidé nos parents à forger les adultes que nous sommes devenus. Elles nous ont appris l’importance du partage, de l’écoute, de la présence. Quand certains enfants étaient tristes, elles nous racontaient des histoires. Et, un détail, aussi surprenant soit-il, elles aimaient toutes chanter, elles oubliaient la chaleur du soleil, en reprenant des vieilles chansons somalies, qui, pour nous, petits enfants que nous étions, nous semblaient étranges.
Pourtant leurs douces mélodies ont bercé notre enfance. Malgré les années passées, les élèves du lycée d’État ou des autres collèges n’ont pas oublié les noms de leurs vendeuses. Il suffit juste de demander, vous verrez, chacun vous sortira une anecdote, un souvenir lointain partagé avec ces vendeuses. D’ailleurs, s’il fallait leur trouver un nom, le seul que l’on pourrait retenir est celui de « vendeuses de bonheur ». Car elles nous ont été d’une aide précieuse, elles ont été pour certains, des personnes formidables qui nous ont écoutés, consolés, aimés alors qu’elles ignoraient tout de nous. Elles ont été, sans le savoir, des personnes qui ont marqué notre enfance, par leur bonté, leur générosité, leur amour.
De nos jours, les mamans mettent des goûters dans le sac de leurs enfants, préparent des petits sandwichs. Mais pour nous, les enfants des années 80, nos meilleurs goûters se trouvaient dans les bacs de ces femmes. Elles nous vendaient du bonheur, et nos yeux d’enfants pétillaient quand nous trouvions le dernier bonbon-gadget dans leurs affaires. Une autre époque que nos enfants ne connaitront pas, car ces femmes, souvent fatiguées par les heures passées sous le soleil, ne sont plus là. Et la relève devant les écoles n’est plus pareille. Des instants de vie, souvent relayés très loin dans nos cerveaux d’adultes très occupés, mais qui au moindre rappel, refont surface. Un papier ne saurait résumer le bonheur que ces dames ont prodigué à chaque élève de ces années-là, leur amour reste ancré en nous, comme les meilleures années de notre enfance. C’est pourquoi il serait peut-être temps de saluer leur mémoire et de dire merci à ces femmes uniques en leur genre !
N. Kadassiya











































