Lors de la conférence du mercredi soir à l’Institut Français de Djibouti, une rencontre profondément humaine et littéraire, l’écrivain et éditeur djiboutien Idris Youssouf Elmi a proposé une réflexion sensible et engagée sur l’écriture comme espace de réparation intime et collective. Une parole rare, à la croisée de la littérature, de l’expérience vécue et de la transmission.

Il arrive un moment, dit-il, où la parole ne suffit plus. Les mots sont là, pressés, encombrés, mais aucun ne trouve l’issue. La douleur est trop ancienne, trop dense, trop intime pour être livrée à voix haute. C’est précisément à cet endroit que l’écriture surgit, non comme un exercice académique ou une performance esthétique, mais comme un geste vital.

Écrire, rappelle Idris Youssouf ELMI, ce n’est pas seulement raconter : c’est se maintenir debout.Parler de réparation suppose une cassure. On ne répare que ce qui a été fissuré, brisé, blessé. Or, chacun porte en soi des silences hérités, des humiliations tues, des deuils sans cérémonie, des exils intérieurs.

Le conférencier soutient que l’écriture n’efface pas ces blessures et ne les nie pas. Selon lui, elle leur offre une forme habitable. Écrire, c’est affirmer : « Cela m’est arrivé, mais cela ne me résume pas. » L’écriture est un lieu paradoxal : on y est seul, mais jamais abandonné. Sur la page, personne n’interrompt, personne ne minimise, personne ne juge. Tout peut s’y déposer : la colère brute, la honte, la confusion, les contradictions. La page devient alors un refuge, un espace sûr où la pensée respire enfin, loin des injonctions et des silences imposés. Une souffrance non dite ne disparaît jamais. Elle s’enfouit, se déplace, se transforme parfois en fatigue chronique, en violence ou en mutisme. L’écriture permet une opération essentielle : mettre des mots là où il n’y en avait pas.Nommer n’enferme pas la douleur ; au contraire, cela lui donne des contours.

Et ce qui a des contours devient partageable, transformable, transmissible. La blessure informe devient alors un récit possible.Un basculement s’opère dès que l’on écrit. On passe de « cela m’est arrivé » à « je raconte ce qui m’est arrivé ». Ce glissement est décisif.

Même dans la fiction ou le poème, le sujet reprend la main. Il n’est plus seulement l’objet de l’histoire : il en devient l’auteur. L’écriture rend une puissance narrative à celles et ceux que le silence avait relégués à la marge.

Idris Youssouf Elmi  maintient que l’écriture ne guérît pas tout. Elle n’est ni potion magique ni substitut à l’aide médicale, sociale ou psychologique. Mais elle accomplit quelque chose d’essentiel : elle empêche la blessure de rester muette.Elle ouvre un chemin, parfois lent, parfois fragile, et transforme la souffrance en matière vivante, capable de dialoguer avec le monde. Une écriture réparatrice n’est pas toujours destinée à être publiée. Mais lorsqu’elle l’est, un phénomène inattendu se produit : la réparation déborde l’individu.

Combien de lecteurs se reconnaissent dans un texte né d’une blessure singulière ? L’écriture devient alors consolation collective, miroir partagé, espace de reconnaissance. Elle répare l’auteur, mais aussi la communauté invisible de celles et ceux qui s’y retrouvent.

En conclusion, l’écrivain rappelle une évidence essentielle : écrire, ce n’est ni oublier ni embellir la douleur. Ce n’est pas pardonner à tout prix. Écrire, c’est refuser la disparition intérieure. C’est accepter de se raconter, même avec des phrases tremblantes, même avec des mots imparfaits. Et parfois, souvent, cela suffit pour que quelque chose se répare. Pas totalement. Mais suffisamment pour continuer à vivre, à aimer, et surtout, à transmettre.