Nous sommes à quelques jours de la fin de l’année 2025. Il y a quelques jours une atmosphère de transition enveloppait le palais du peuple, où se tenait le tout premier forum de l’étranger ; en d’autres termes les djiboutiens du monde géographique. Bien c’était une première a Djibouti, et que bon nombre de Djiboutiens ont eu du mal à saisir le concept, au sein des couloirs ont résonné de conversations mêlant souvenirs, espoirs et promesses d’un retour possible. Dans cette ambiance de passage, le président Ismaïl Omar Guelleh s’est adressé à bien plus qu’une simple assemblée.

Le chef de l’État a prononcé un discours qui n’était pas un rituel de circonstance, mais bien une prise de position, un engagement à inscrire Djibouti dans une nouvelle partition. Notre pays, souvent décrit comme un carrefour stratégique mais exigu, tiraillé entre une géographie qui l’enserre et une démographie éclatée à travers le monde, cherche depuis longtemps la juste harmonie.

Ici, la géographie n’est pas qu’une contrainte: elle est la scène sur laquelle notre pays doit inventer son propre tempo, et les Djiboutiens de l’étranger, cette constellation est devenue l’orchestre invisible capable de faire vibrer l’ensemble.

Déjà, il y a près de quelques années, George Marshall évoquait le “village global”. Aujourd’hui, cette intuition est devenue notre quotidien : nous sommes tous, à des degrés divers, des citoyens de plusieurs mondes, ballotés entre cultures et souvenirs, entre ambitions lointaines et racines profondes. Mais plus on s’éloigne, plus le besoin d’un point d’ancrage devient vital. C’est là que notre pays, lucide sur ses atouts et ses fragilités, joue sa carte la plus subtile : celle du lien, de la réconciliation entre l’ici et l’ailleurs, entre l’hier et le lendemain.

Pourquoi les Djiboutiens de l’Etranger et non la Diaspora ?

Le chef de l’Etat n’a pas réduit la diaspora à une simple réserve de devises ou de compétences à rapatrier. Il a refusé les clichés qui font d’elle une “banque” ou un “réservoir de cerveaux”. À ses yeux, la diaspora est une “famille élargie” d’où l’expression “ les Djiboutiens de l’Etranger”, un souffle nouveau qui vient régénérer la nation. Cette vision dépasse l’économie pour toucher à l’essence même de l’identité : elle invite à repenser la nation non plus comme un territoire clos, mais comme une communauté élargie, tissée de loyautés diffuses et de solidarités multiples. Pourtant, la question demeure : comment faire de cet attachement sentimental une véritable force de transformation, sur les plans économique, social, et diplomatique ? C’est ici que l’innovation institutionnelle prend tout son sens. Les nouveaux “guichets” dédiés à la diaspora ne sont pas de simples bureaux administratifs. Ils incarnent une nouveauté. Un guichet pour l’investissement, qui n’est pas seulement une invitation à placer son argent, mais un appel à croire dans le potentiel du pays, à s’engager dans le changement de visage de la terre-mère. Le guichet logement, lui, symbolise l’idée que celui qui est-absent devienne le propriétaire-présent. Celui-ci peut et doit garder une pierre, une adresse tangible sur la terre de ses ancêtres. Quant au fonds d’assistance aux Affaires étrangères, il traduit la promesse d’un État protecteur, prêt à tendre la main à ses enfants, où qu’ils soient, pour amortir les chocs de l’exil d’un monde changeant et d’un libéralisme sans limite.

Ce projet va bien au-delà du simple rattrapage technologique. Il s’agit de repenser la “Djiboutianité” à l’ère numérique, de la rendre mobile, fluide, inclusive. Plus question d’imposer une identité figée : on la réinvente, on la rend utile, accessible, vivante. Le message ici est limpide : où que tu ailles, quels que soient tes passeports, la clé qui ouvre vraiment les portes de l’avenir, c’est ton lien renouvelé avec ton pays natal, en occurrence Djibouti.

Derrière la modernité apparente consulats mobiles, plateformes numériques, réseaux sociaux se dessine une ambition bien plus vaste : élargir la définition même du territoire national. Djibouti n’est plus seulement ces 23 000 kilomètres carrés resserrés entre désert et mer. Notre pays, désormais, c’est aussi ce réseau djiboutien du monde, d’enfants, de petits-enfants, disséminés de Paris à Minneapolis, d’Australie à Montréal. Chacun devient un relais, une antenne, un ambassadeur informel. Le Djiboutien de l’Etranger n’est plus une périphérie, mais une extension dynamique du centre. Il façonne l’image du pays, l’alimente en idées, en ressources, en énergie.

L’accordéon, dans cette métaphore, prend une dimension nouvelle. La main gauche, c’est la géographie, cette contrainte qui oblige à composer avec l’étroitesse, mais qui, bien maniée, donne du souffle. La main droite, c’est les Djiboutiens de l’étranger, vaste, mouvante, capable d’improviser mille mélodies. Et le développement, c’est l’air qui circule entre les deux, cette dynamique qui pousse à l’innovation, à la solidarité, à la construction patiente d’un avenir commun.

Le pari du président de la république est audacieux : faire de Djibouti, malgré son exiguïté, un centre névralgique dans le village global. Refuser la marginalité, refuser l’oubli, et, au contraire, faire de la dispersion une force, de l’exil un pont, du souvenir un moteur.

Nourrir le pays du regard de ceux qui sont partis, mais qui, par leurs projets, leurs investissements, leurs rêves, ou simplement par la fidélité de leur cœur, continuent de faire vivre la patrie, là où ils se trouvent. C’est ainsi que les djiboutiens de l’Etranger ne sont pas un manque, mais une chance. Et que, dans le vaste concert du monde, la république de Djibouti peut jouer une partition originale, portée à la fois par la mémoire et par l’avenir.

Said Mohamed Halato